𝟎𝟐. Rencontre Fortuite

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'altercation s'étant déroulée sur les quais de l'Hudson  et, profitant d'une douce matinée de décembre où les rayons de soleil matinaux venaient réchauffer son visage malgré les températures glaciales, Sasuke s'était installé à la terrasse d'un café afin de savourer un instant de quiétude. Sirotant un café noir dans une petite tasse en céramique tout en lisant le journal froissé résidant dans sa main droite, le brun profitait de la douce fragrance propre à la saison hivernale venir emplir ses poumons et le murmure de la fraîche brise, glissant entre les arbres nus et les routes pavées, soulever quelques unes de ses mèches de jais. 

L'aube venait tout juste d'émerger, et la toile céleste se voyait parée d'une douce teinte orangée dans laquelle voguaient quelques nuages grisés, voyageurs solitaires dans l'immensité du dôme matinal. Progressivement, les lueurs vermeilles de l'astre solaire émergeant vinrent caresser le nacre de sa peau velouté qui, jusqu'ici, tentait tant bien que mal de lutter contre l'air sec et glacial lui mordant l'épiderme de ses pâles traits ; à l'image du givre accumulé durant la nuit qui commença à frémir sous la caresse aurorale. La chaleur de ce halo caramel fit frémir le brun et il commanda un second café afin de prolonger le réconfort prodigué par l'élixir amer qu'il se plaisait à sucrer à outrance, tout en balayant les environs de ses orbes fumeuses, sa première cigarette de la journée pincée entre deux de ses phalanges - chose plutôt étonnante, lui qui était habitué à dégainer son bâton de nicotine dès l'instant où il sortait de son lit. 

Le calme de l'aube se fit bientôt surpasser par l'agitation d'une matinée de semaine et, rapidement, les trottoirs commencèrent à se remplir de toutes sortes d'individus que le jeune homme détailla les uns après les autres, tel un spectacle qu'il se plaisait à observer dès qu'il en avait l'occasion. Se croisant ou se suivant, des âmes solitaires drapées du long voile noir de leur manteau, des âmes éprises qui se baladaient main dans la main et des gamins aux bérets usés qui quémandaient quelques pièces constituaient le tableau animé dans lequel l'Uchiha perdit l'encre de son regard. 

Soudainement, alors plongé en pleine contemplation de cette foule anonyme, il aperçut une silhouette. 

Un battement de cil lui suffit pour reconnaître cet individu qu'il aurait discerné entre mille : vêtu de son éternel manteau aux longs pans qui ondulaient au rythme des bourrasques de vent et coiffé d'un Borsalino en feutre brun, c'était bel et bien Itachi qui se trouvait de l'autre côté de la rue.

Dos à lui, son aîné n'avait aucunement conscience que Sasuke se trouvait ici mais, avant que le cadet n'eut le temps d'entamer un mouvement vers sa direction, un détail le coupa dans son action. Le brun au borsalino était plongé en pleine discussion avec une silhouette rappelant vaguement quelque chose au plus jeune, bien qu'il n'arriva guère à mettre le doigt sur cette information, perdue dans les vagues de sa mémoire. Toutefois intrigué, il les observa l'esprit parsemé de doutes une poignée de secondes supplémentaires avant que les souvenirs ne refassent brutalement surface.

C'était lui. L'espion de l'autre soir. 

Celui qu'Itachi avait refusé d'éliminer pour une obscure raison sur laquelle Sasuke ne s'était guère penché ; il réalisait seulement maintenant qu'il n'avait au final aucune idée de ce que son frère avait voulu faire de l'intrus, et se voyait plutôt étonné de constater que les deux hommes semblaient tenir une conversation on ne peut plus cordiale - du moins, au vu de ce qu'indiquait leur gestuelle étant donné que, de l'autre côté de la route, il ne pouvait entendre quoi que ce soit. Le duo poursuivit leur discussion quelques minutes supplémentaires, altercation que Sasuke ne quitta pas des yeux une seule seconde, pour finir par échanger une poignée de main avant que le plus âgé des deux ne regagne sa voiture qui était stationnée à proximité et démarre aussitôt, se réengageant sur l'avenue principale.

Naruto observa la voiture s'éloigner quelques secondes durant puis, après avoir jeté sa cigarette entièrement consumé sur le bitume insalubre, s'engouffra dans un bar situé juste derrière lui, le tout sous le foudroyant regard du plus jeune des Uchiha. Dès l'instant où l'automobile quitta l'avenue pour s'engouffrer dans une petite ruelle adjacente et que l'écho craché par le moteur ronronnant résonnait au loin, Sasuke quitta précipitamment la terrasse sur laquelle il se prélassait auparavant, plaquant une poignée de pièces sur la table de bois afin de régler sa consommation, et se dirigea avec empressement vers la taverne dans laquelle avait disparu le blond. Déboulant brutalement dans l'établissement, le brun aux iris de givre aperçu immédiatement l'homme qu'il cherchait, ce dernier étant accoudé au comptoir, occupé à faire la conversation au tenancier de ce lieu, un grand sourire courbant ses lèvres et une lueur étincelante miroitant dans l'azur brut du reflet de son âme. L'homme aux mèches de jais s'avança vers son futur interlocuteur, et demanda, avec son tact habituel : 

- Qu'est ce que tu fou avec Itachi ?

Reconnaissant la voix venant de l'apostropher avec toute la délicatesse du monde, l'intéressé vissa légèrement sa nuque vers la gauche afin de faire face au nouvel arrivant sans que son sourire ne quitte son teint hâlé, lui répliquant avec calme, amusé de la situation : 

- Bonjour à toi aussi.

- Tu veux que je te casse de nouvelles côtes ? On reprend ce qu'on a commencé la dernière fois ?

Le taciturne n'avait pas de temps à perdre avec les idioties de cet abruti, et brûlait de savoir ce qu'il pouvait bien préparer avec son aîné. 

- Détend toi l'ami ! s'exaspéra le blond d'un ton exagérément moqueur, puis il s'adressa au barman : Sers lui un truc pour qu'il se détende, il en a besoin.

L'homme acquiesça avec un sourire que le blond lui rendit bien, une pointe de malice dans le regard, ce qui eut le don d'énerver d'avantage le Uchiha, n'ayant aucunement l'habitude de faire face à quelqu'un osant se moquer de lui. Un tintement cristallin vint le tirer de ses ruminations et il constata que deux verres venaient d'être déposés sur la surface marbrée du bar, bientôt rempli d'un liquide ambré dont les effluves lui tordaient l'estomac avant qu'il ne tente même d'y goûter. 

- A la tienne.

L'Uzumaki fit tinter son verre contre celui étant destiné au brun, mais que ce dernier n'avait - ni ne comptait - toucher, et avala le liquide d'une traite. L'élixir vint faire frémir son palais et lui brûla la gorge, ce qui lui arracha une légère grimace.

- Ecoute pour ton frère je ne peux rien dire.

Sasuke s'apprêta à l'incendier une nouvelle fois quand les mots du blond le coupèrent net :

- Pour sa sécurité.

Un silence pesant prit place entre les deux, appuyé par le contraste du brouhaha régnant dans le bar, alimenté par les multiples conversations enjouées, les rires, le tintement des couverts, l'animation venue des cuisines ; l'onyx de l'un de planta férocement dans l'azur de l'autre et, avant de pouvoir poursuivre, le blond sentit son col être violemment agrippé. Légèrement surpris par ce mouvement soudain, Naruto mit quelques secondes à constater que son interlocuteur venant de combler les quelques dizaines de centimètres les séparant, et se tenait désormais à ses côtés, serrant avec hargne le tissu de son haut.

- C'est quoi ces conneries ? pesta le brun en serrant les dents.

L'Uzumaki posa une main sur le poignet de l'Uchiha afin de se libérer de sa poigne féroce, puis se contenta de descendre les quelques centilitres de l'alcool résidant dans le récipient en verre épais qui n'avait pas été touché par l'homme aux mèches de jais, avant de s'exclamer, enthousiaste : 

- Mais on peut bosser ensemble toi et moi ! Je me suis toujours dis qu'agir en duo pouvait être sympa.

Le ton léger employé par son interlocuteur exaspéra profondément le taciturne alors, fidèle à lui même et sa loquacité légendaire, il se contenta de conclure la conversation :

- J'ai aucune envie de bosser avec toi. Si t'as pas envie de cracher le morceau pour Itachi, je n'ai rien à faire ici.

Sans un mot de plus, il tourna les talons et commença à se diriger vers la sortie, sans attendre une réaction du blond ; toutefois ce dernier, bien embêté, se retrouva pris de court. Il aurait tout de même dû s'en douter : le Uchiha ne semblait pas faire preuve de la plus grande des patiences, à l'inverse de son aîné, ainsi cela laissait à Naruto moins de marge pour le faire mijoter. 

- Attends !

Ne sachant quoi lui répliquer pour le retenir, il avait haussé le ton involontairement, d'une voix moins sereine qu'il ne l'aurait souhaité ; il ne voulait vraiment pas que le brun ne lui file d'entre les doigts. S'arrêtant sans pour autant se retourner, l'homme au regard d'encre se contenta de patienter, enclin à écouter ce que le blond avait à dire :

- Si demain tu m'accompagnes pour une affaire, j'aurai peut-être deux trois choses à te dire.

Sentant que le Uchiha était en train de considérer son offre, et sachant pertinemment que le teigneux n'allait pas se donner la peine de lui répondre, il lui fournit toutes les informations nécessaires :

- Je serai à la vingt-troisième Ouest, à huit heures demain matin. Viens si tu as envie.

Il réserva le seul argument pouvant faire pencher la balance pour la fin :

- Car je doute que ton frère te dise quoi que ce soit.

×

- Itachi, qu'est ce que tu me caches ?

Débarquant dans le bureau de l'interpellé sans prendre la peine de frapper, Sasuke ne s'était guère encombré d'une quelconque formule de salutation en poussant la porte boisée de la pièce de prédilection de son aîné, un sobre lieu modestement meublé d'une vaste table de chêne, d'une poignée de fauteuils en velours carmin et d'une immense bibliothèque remplie d'ouvrages méticuleusement ordonnés par les soins minutieux de l'aîné. Situé dans une des multiples salles de la résidence familiale des Uchiha, ce bureau constituait un lieu idéal pour y gérer diverses affaires ou organiser des réunions avec d'autres membres de l'organisation et, bien qu'il n'habitait plus dans cette immense bâtisse depuis de nombreuses années déjà, l'homme aux joues cicatrisées passait de nombreuses heures entre ces quatre murs à se pencher sur l'innombrable quantité d'opérations qu'il se devait de superviser.  

Armé de son tact légendaire, le cadet en était donc directement venu au fait l'ayant conduit ici ; toutefois, bien qu'Itachi s'était attendu à ce que le plus jeune découvre ses petites manigances et cherche à en savoir plus dès l'instant où il en aurait vent, l'impulsivité du jeune homme n'achevait jamais de le surprendre.

- Qu'est ce que tu trafiques avec les Senju ?

Plaçant tous ses efforts dans le but de maintenir le voile impassible recouvrant ses traits fins, l'aîné se décida finalement à relever l'encre de son regard vers celui foudroyant de Sasuke qui l'observait d'un air déterminé, la mine froncée ; son frère détestait au plus au point être mis sur la touche, une force de caractère qui aurait fait sourire l'aîné dans d'autres circonstances mais qui, ici, l'inquiétait plus qu'autre chose.

- Sasuke.. souffla-t-il d'un ton neutre, voilant on ne peut trop bien ses émotions, chose qu'il avait appris à faire avec le temps.

- Non, le coupa net ce dernier avant qu'il n'eut l'occasion de poursuivre. Me sors pas de conneries. Je te laisse gérer tes affaires comme tu veux, mais là tu déconnes sérieusement : les Senju ?! T'étais obligé de vouloir faire des affaires avec la famille nous détestant le plus ? Tu gagnes pas assez de fric avec tes coups ?

Les mots du cadet étaient durs, il en avait pertinemment conscience. D'autant plus que la colère lui inspirant cette situation l'incitait à avancer des suppositions qu'il savait pourtant pertinemment fausses : Itachi n'en avait que faire de l'argent. Malgré cela, espérant vainement faire éclore une réaction sur le visage du plus âgé, Sasuke usait de paroles volontairement blessantes, attente qu'il savait vaine car son aîné ne se laissait pas démonter pour si peu.

Dans le flot de paroles s'échappant des lèvres de son cadet, Itachi percevait que ce dernier était simplement à court d'arguments et ne savait guère réellement quoi inventer pour tenter de lui faire cracher quoi que ce soit. Cependant, l'homme aux longues mèches brunes ne put empêcher une part de lui d'être blessée par les termes employés par le plus jeune. Il savait pourtant qu'il n'en pensait rien, mais cacher des choses à Sasuke demeurait réellement quelque chose qu'il haïssait au plus au point alors, le brun tenta de le rasséréner de ces non-dits frustrants :

- Tu sauras tout en temps voulu, mais pour le moment je peux rien te dire.

Les paroles se voulaient sincères, mais elles sonnèrent comme des promesses qu'on ne tiendrait jamais aux oreilles de Sasuke qui, sans un mot de plus, quitta la pièce non sans claquer la porte derrière son passage, laissant son frère avec pour seule compagnie l'écho de ses pas s'éloignant dans le couloir et l'inquiétude quant à ses plans futurs rongeant ses entrailles.

Itachi en était pourtant certain : il faisait ce qu'il fallait.

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