𝟎𝟏. Par une Nuit de Novembre

Un vent glacial s'abattait sur les rues New York en cette nuit de novembre, faisant glisser son souffle marmoréen sur le béton brut des bâtiments imposants et résonner son hurlement féroce dans la moindre ruelle de la métropole. Le thermomètre indiquait des températures négatives et les horloges une heure plus que tardive, si bien que les rues étaient quasiment désertes ; quiconque ayant tenté de mettre le nez dehors s'était vu contraint de revenir sur ses pas. Toutefois, l'heure bien avancée ou les rudes bises n'étaient guère la raison principale incitant les résidants de la ville à rester cloîtrés chez eux, mais bel et bien les affaires douteuses se tramant à l'extérieur.

Sur un quai reculé bordant l'Hudson River, dans un quartier où, errant sur les trottoirs insalubres, se mêlaient parias, délinquants et prostituées, un groupe de personnes, tous de noir vêtus et coiffés d'un chapeau sombre masquant leurs visages à la perfection, dirigeaient une réception de marchandise toute droit venue d'Europe. Des caisses de bois, au contenu mystérieux, étaient déchargées en quantité importante sur les pavés détrempés par la pluie ayant chuté dans la journée et les vagues du fleuve éclaboussaient de temps à autre le quai où ils se tenaient en raison des fortes bourrasques éclatant de temps à autre.

Détaillant attentivement de ses iris ébènes le déroulé du débarquement des marchandises, l'homme ayant pour mission de s'assurer du bon fonctionnement de cette opération surveillait ses hommes de mains et la façon dont ils manipulaient le chargement, leur intimant d'une voix ferme de faire preuve de plus de soin lorsque ceux-ci agissaient comme des brutes. Il expira et une brume chaude s'échappa de ses pâles lèvres avant de se cristalliser dans l'air pour former un léger nuage grisâtre qui se dissipa aussitôt dans l'atmosphère glacial.

- Itachi, intervint une voix dans son dos avant que le jeune homme venant de l'interpeller ne surgisse à ses côtés et se mette - lui aussi - à observer le groupe d'hommes s'activer dans tous les sens pour réceptionner correctement les biens dont le clan se servirait prochainement pour une juteuse contrebande.

Sans avoir eu besoin de glisser son regard vers le nouvel arrivant, ledit Itachi comprit que son frère se tenait à ses côtés et, de part la seule manière dont le plus jeune avait prononcé les trois syllabes de son prénom, il comprit instantanément qu'il y avait un problème. D'un voix calme, le cadet poursuivit :

- Quelqu'un nous espionne.

Les dires de son acolyte ne surprirent guère l'aîné qui, malgré ses compétences hors norme lui ayant forgé une excellente réputation au sein de son clan - et surtout aux yeux des hauts placés - avait été bien trop absorbé par son observation du déchargement pour faire attention à ce qu'il se déroulait autour de lui. Cependant, il avait toute confiance en son cadet et en son sixième sens pour détecter des intrus lors d'opérations comme celle-ci, et s'enquit :

- Tu saurais me dire où il est ?

- Non, je l'ai juste aperçu quelques secondes puis il s'est enfui, avoua-t-il d'un ton amère, remonté à l'idée qu'un témoin indésirable lui ait glissé d'entre les doigts.

Le plus jeune ruminait. Des nœuds commençaient à se créer dans le tumulte de ses pensées, l'empêchant de réfléchir calmement à la situation. Si l'espion était d'un clan ennemi, ce qui était plus que probable, voir même la seule solution plausible si on excluait les potentiels curieux aux penchants suicidaires - se frotter à la pègre réduisant inexorablement l'espérance de vie - il fallait à tout prix qu'il mette la main sur cet intrus.

La raison de cela étant qu'avec un statut aussi prestigieux que celui qu'ils possédaient au sein de l'organisation criminelle, les Uchiha possédaient un nombre incalculable d'ennemis, et ces derniers pouvaient surgir de nulle part, tapis dans l'ombre d'une ruelle, prêts à abattre leurs hommes de mains comme leurs plus hauts placés d'une simple balle dans la tête, et sans la moindre hésitation.

Et rapidement car le principal clan ennemi, en plus d'être en supériorité numérique, talonnait de très près les Uchiha en matière de puissance et possédait les plus grands casinos de la ville, un privilège qui leur rapportait des sommes colossales en plus du prestige qu'être le propriétaire de ce genre d'établissement représentait. S'ils obtenaient des informations pouvant porter préjudice aux Uchiha, ils n'hésiteraient pas à les dévoiler au grand jour ; une sévère guerre de clan perdurait entre les deux familles depuis une vingtaine d'années déjà.

- Ne t'inquiète pas Sasuke, s'interposa la voix sereine d'Itachi en le tirant de ses pensées tumultueuses. Si l'espion est un Senju, je ne pense pas qu'il se soit déjà enfui avant d'avoir vu quoi que ce soit de nos marchandises, donc on l'attrapera avant de partir d'ici.

Acquiesçant mollement aux paroles de son aîné qui avait, comme toujours, tapé dans le mille et comprit instantanément les doutes le rongeant, le cadet imita son frère qui s'était à nouveau plongé dans la contemplation de l'activité se déroulant face à leurs mines concentrées et silencieuses, avant voiler son regard d'encre de la fine peau de ses paupières.

Une poignée de minutes durant, Sasuke, mains croisées dans le dos et paupières closes, se concentra sur la moindre sensation qui l'entourait. Le froid heurtant son visage, l'odeur de la cigarette et de l'asphalte humide, l'éclat des vagues contre la paroi du quai, le fracas discontinu des caisses déchargées, le murmure des discussions, le ronronnement des quelques taxis nocturnes, les pas environnants.

Une décharge traversa l'entièreté de son corps.

Les pas environnants. Il percevait des pas derrière lui, plutôt lointain, mais trop peu pour ne pas avoir perturbé son acuité auditive plus qu'aiguisée.

L'espion était là. À une dizaine de mètre d'eux.

Croyant naïvement ne pas avoir été repéré, il s'était permis de se rapprocher à une distance trop peu raisonnable des deux Uchiha, et allait bientôt en payer les frais.

N'y tenant plus, le plus jeune rouvrit brutalement ses paupières pour se précipiter vers lui et, avant même d'avoir eu le temps de prendre conscience de quoi que ce soit, l'inconnu les espionnant sentit le col de son manteau être agrippé avec rage, avant d'être projeté sur le sol détrempé. Sans attendre, Sasuke commença à lui marteler les côtes de coups de pieds sans même chercher à comprendre qui il était, furieux à l'idée que quelqu'un ait songé au fait qu'il aurait pu lui échapper. Le malheureux à terre, après quelques secondes de latence durant lesquelles la douleur des coups portés lui fit prendre conscience de ce qui était en train de se dérouler, reprit rapidement ses esprits et tenta de mettre son assaillant à terre en envoyant de toute ses forces son pied valser dans les jambes de ce dernier. Evitant de justesse ce violent croche-pied, le Uchiha plongea avec précipitation sa main dans la large poche de son manteau et en sortit une arme à feu qu'il braqua sur l'inconnu, tout en lui crachant d'un ton venimeux :

- T'es qui enfoiré ?

En visualisant le pistolet à moins d'un mètre de son visage, positionné exactement entre ses deux yeux bleus, l'espion secoua les mains en l'air en signe d'abandon.

- Wow wow calme-toi ! s'exclama-t-il plus nerveux qu'il n'aurait souhaité, quand bien même la panique commençait sérieusement à le gagner.

- Sasuke, s'interposa la voix de l'aîné d'un calme absolu alors que l'auteur de ce murmure déposait sa main sur le revolver du brun, tout en le fixant d'un regard entendu. On se détend.

Les traits déformés par la frustration, le cadet écouta tout de même les dires de son frère et abaissa lentement son arme sans lâcher de son regard ébène l'homme qui était toujours au sol, tandis qu'Itachi entama le dialogue :

- Quel est ton nom ?

Intrigué en constatant qu'on s'adressait à lui d'un ton inhabituellement posé par rapport à la situation, mais surtout en notant que cet homme avait calmé celui le rouant de coups encore trente petites secondes auparavant, et cela en quelques mots seulement, le témoin indésirable resta sans voix.

- On te parle, lui intima le plus jeune du duo.

- Naruto, finit-il par répondre.

- Ton nom de famille enfoiré, on en à rien à foutre de ton prénom. On veut connaître le clan pour lequel tu bosses.

Le blond papillonna des yeux quelques secondes, puis improvisa comme il put, n'ayant pu s'empêcher de vouloir taper sur les nerfs du plus nerveux des deux, acte risqué étant donné qu'il semblait déterminé à lui refaire le portrait :

- Personne. Je.. me baladais.

Piqué au vif par le fait que l'inconnu prenne la situation à la légère, le Uchiha s'apprêta à passer l'espion à tabac une fois de plus mais fut stoppé dans son élan par Itachi qui, par une pression sur l'épaule, lui suggéra d'abandonner ce qu'il était sur le point de faire pour le suivre. S'exécutant malgré l'envie démesurée de refaire le portrait à l'abruti au sol, le cadet rejoignit son frère qui s'était éloigné de quelques mètres afin d'écouter ce qu'il avait à lui dire :

- Il doit travailler pour les Senju, devina l'aîné sans avoir eu besoin de poser la moindre question au principal concerné. Ou des Sarutobi.

Le cadet se raidit en songeant qu'il avait potentiellement faillit laisser filer un individu de ce genre, bien que ce gringalet ne l'impressionnait nullement et faisait presque paraître le camp ennemi comme ridicule ; son devoir était d'éliminer ce genre de d'intrus, et il avait faillit échouer à cette tâche pourtant essentielle. Cependant, il ne put s'empêcher de s'interroger :

- Pourquoi ils enverraient un abruti pareil ? Et seul en plus.

L'aîné hocha les épaules en jetant un coup d'œil au principal concerné qui reprenait difficilement ses esprits, le brun n'y était pas allé de main morte, et peinait donc à ne serait-ce se lever du sol.

- Il doit bien cacher son jeu, j'imagine. Puis il doit être un indépendant s'il est seul.

Il marqua une pause durant laquelle il laissa son regard amer glisser vers le fleuve d'encre.

- Dans tous les cas on peut pas le laisser filer.

- Tu veux pas que je le descende Itachi ? On en serait débarrassé beaucoup plus vite.

Quittant le courant d'eau de ses iris ébènes, le plus âgé se tourna vers son frère et murmura d'un ton que ce dernier ne reconnut guère, une sorte de lassitude teintée d'une pointe de tristesse, comme si les mots de son cadet lui posaient problème :

- Sasuke.. Il y a d'autres façons de régler les conflits.

L'interpellé hocha les épaules, ne comprenant guère la réaction de son aîné. Certes, il s'était aperçu qu'en comparaison avec de nombreux membres de la communauté, Itachi ne prenait visiblement aucun plaisir à ôter la vie à quelqu'un, à voir le sang de l'ennemi couler, à entendre leurs plaintes suppliantes. Pour autant, il avait d'ores et déjà tué un nombre incalculable de personnes, il s'exécutait toujours sans broncher lorsqu'une affaire lui était confiée ; cependant, il prêtait une grande attention dans le fait que la mort soit brève et indolore, pas de coups de poings, ni d'os cassés ou de torture infligée. Toutefois la présence d'un membre du clan ennemi représentait un cas de force majeure et, malgré son goût du sang peu prononcé, l'homme aux joues cicatrisées ne devrait pas hésiter une seule seconde à l'abattre en raison de la quantité d'informations compromettantes pour les Uchiha que l'intrus devait avoir récolté.

Mais il n'en fit rien.

- Écoute, reprit le plus âgé du duo en les tirant de leur mutisme alimenté par le bruissement du doutes et des vagues. J'ai un plan en tête et je ne vais pas le tuer, pas aujourd'hui.

Le plus âgé prit soin d'accentuer les deux derniers mots afin de calmer l'ardeur de son acolyte, sachant que la hargne de ce dernier avait besoin d'obtenir satisfaction et qu'il ne restait jamais sur une frustration. Pour autant, cela ne suffit guère à convaincre le cadet :

- Tu te fiches de moi ? Tu peux pas faire confiance à cet enfoiré !

- Je sais ce que je fais.

Désabusé, Sasuke ne chercha guère à comprendre davantage ce qui se tramait dans l'esprit de l'homme aux longues mèches brunes et retourna exécuter la tâche qu'il était venu faire ici à la base, non sans jeter un dernier regard au témoin indésirable qui s'était finalement relevé de l'asphalte humide, en se tenant les côtes d'une main, et qui le regardait regagner son poste, sans comprendre ce qu'il se déroulait.

Itachi lâcha un discret soupir, une pointe de culpabilité ayant naquis dans sa cage thoracique à l'idée d'avoir menti à son cadet, puis se dirigea à nouveau vers le blond qui ne savait pas réellement ce qu'il devait faire ; son tortionnaire semblait avoir lâché l'affaire, tandis que l'homme s'avançant vers lui ne paraissait guère lui vouloir du mal, du moins il l'espérait.

L'aîné réfléchissait à toute vitesse à mesure qu'il comblait les pas le séparant de l'espion. Une occasion en or de mettre son plan à exécution se présentait face à lui, et Naruto était la clé qui allait lui permettre de réaliser ses idéaux, si du moins il s'avérait de confiance ; mais cela, le brun n'en savait strictement rien. Toutefois, c'était bien la première fois qu'il se retrouvait face à un allié des Senju sans que ça ne finisse en bain de sang, et il avait pertinemment conscience qu'une telle situation ne se représenterait guère de sitôt.

- Écoute moi, commença le brun une fois arrivé à la hauteur de son interlocuteur.

Clope au bec, le blond fut coupé dans son élan alors qu'ils s'apprêtait à embraser son bâtonnet de nicotine, mais le Uchiha fut plus rapide et plaça sous la cigarette la petite flamme du briquet qu'il tenait entre ses doigts, tout en lui soufflant de son éternel ton placide :

- J'ai un marché à te proposer. On peut se faire confiance ?

Naruto se pencha vers la lueur incandescente avant de remercier le brun d'un hochement de tête, mais répliqua tout de même, alors qu'il expirait l'exhalaison de sa première bouffée de tabac :

- Je pense pas que tu sois en position de négocier vu ce que j'ai vu.

Itachi sourit intérieurement face à l'audace de cette réponse, sachant pertinemment que l'espion bluffait ; il n'y avait absolument rien à voir en cette soirée, une simple cargaison de spiritueux n'ayant rien de bien méchant. Toutefois, le temps d'un battement de cil, une sensation aussi brève que sans équivoque traversa le Uchiha, lui faisant prendre conscience qu'il n'allait pas être le seul impliqué dans cette histoire qu'il s'apprêtait à entamer : dans l'azur brut des iris le détaillant, l'homme aux longues mèches ébènes crut y voir son frère cadet. Dans cette lueur mêlant arrogance et fausse confiance se noyait une insécurité que le propriétaire du regard tentait vainement de voiler. L'homme aux yeux de jais glissa un furtif coup d'œil vers Sasuke qui mâchouillait sa sempiternelle cigarette en surveillant leurs hommes de main, puis redirigea à nouveau l'ébène de ses iris vers le blond qui l'observait, un sourcil haussé.

L'instant n'était guère propice aux réflexions et Itachi savait ce qu'il faisait : qu'il le veuille ou non, Naruto allait l'aider à mettre son plan à exécution.

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