Ma journée a été bien remplie. Je n'ai pas eu le temps de souffler. Ce qui n'est pas plus mal, ça m'a évité de trop penser à ce magnifique week-end. Notez un peu l'ironie. Je dis au revoir à mes collègues et je pars directement pour mes cours. Ce soir, c'est droit au programme. Un peu assommant, je vous l'accorde. C'est d'ailleurs la seule branche que je n'aime pas mais bon, cela fait partie de la formation, donc je n'ai pas trop le choix. J'arrive tout juste à temps comme d'habitude. Je salue mes compagnons d'un signe de tête et vais m'asseoir.

J'ai du mal à me concentrer, c'est dingue. Mon regard est à chaque fois attiré par mon sac à dos et l'enveloppe qu'il contient. Je n'ai pas encore pu consulter les documents concernant Logan Miller. Malheureusement, je vais encore devoir attendre.

- Hey Gabriella, ça va?

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui vient de murmurer cette question. C'est Andréa. Nous avons fait connaissance en première année. Elle avait l'habitude de toujours oublier quelque chose: un stylo, son syllabus, de quoi prendre note... Jusqu'au jour où elle est venue s'asseoir près de moi et qu'elle a commencé à piocher dans mes réserves. Vu que je suis prévoyante, ça ne me dérangeait pas. De fil en aiguille, nous avons commencer à discuter et aujourd'hui nous sommes amies. Avec mon emploi du temps, nous pouvons nous voir uniquement au cours mais nous communiquons pas mal par sms ou par mail. Je me tourne vers elle et lui répond en murmurant.

- Oui pourquoi ça n'irait pas?

- Tu as l'air à des kilomètres d'ici.

- J'ai juste du mal à me concentrer. Je suis épuisée.

- Ma pauvre. Je t'admire franchement, je n'aurais pas le courage d'en faire autant.

- Je n'ai pas le choix si je veux avoir mon diplôme.

Elle vit toujours chez ses parents et a pu se permettre de prendre un stage à mi-temps. En plus, ce dernier est à deux pas d'ici.

Nous essayons de suivre un peu ce que le prof nous raconte histoire de ne pas être complètement larguées. Vient enfin l'heure de la pause. Ouf, je vais pouvoir aller me chercher un thé.

- Tu veux un café Andréa?

- Tu sais à qui tu t'adresses non? Évidemment que je veux un café. Allez viens, me dit-elle en rigolant.

Et c'est comme ça que nous partons bras dessus bras dessous jusqu'à la machine à café. Nous discutons de tout et de rien pendant un bon quart d'heure. Un peu requinquées, nous sommes prêtes à reprendre le cours.

- Bon, je vais essayer de suivre pour la fin, lui dis-je en reprenant ma place.

- J'ai juste envie de mon lit mais je vais faire un dernier effort, me dit-elle en baillant.

Deux heures plus tard, c'est enfin fini. Je m'empresse de rentrer chez moi. Je n'ai qu'une envie, me mettre en pyjama et ouvrir cette maudite enveloppe. Après un détour par la salle de bain pour m'habiller plus confortablement, je me prépare vite fait un petit en-cas, prends mon sac à dos et m'assied à la table. À nous deux monsieur Miller.

Je prends les documents tant convoités et commence à lire. Alors d'après ce qu'il est marqué dans son dossier, il a 30 ans, est originaire du Texas, parle quatre langues le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand. Ses parents sont décédés et il est fils unique. Et bien, il est bien loin de chez lui. Je me demande comment il se retrouve chez nous. Je continue la lecture. Je découvre qu'il est hospitalisé suite à une explosion qui a eu lieu pendant sa dernière mission. Je n'ai pas plus de détails et je ne m'en étonne pas vraiment. Je sais que les données sont confidentielles. Je trouve alors une photo jointe aux documents. Je reste bouche bée. Il a les cheveux coupés courts mais je peux voir qu'ils sont noirs. Sa peau est mate et il a des yeux magnifiques couleur bleu azur. Son regard évoque une certaine tristesse. Ce n'est pas flagrant ceci dit. Il doit être un bon dissimulateur, un peu comme moi en fait. Il a également une balafre sur la joue gauche mais elle n'enlève rien à son charme. Au contraire, je dirais même que cela rajoute une petite aura de danger. Il n'est pas spécialement beau mais j'apprécie énormément ce qu'il dégage. Reste juste à savoir si le caractère suit.

Mais à quoi je pense? Je ne suis pas en train de chercher après un petit-ami. Je n'en ai jamais eu et je me porte très bien comme ça. Je ne prends contact avec lui que pour le soutenir et l'aider dans la guérison. Mon imagination m'entraîne bien malgré moi dans des directions complètement loufoques. Et puis de toute façon, je ne dois pas être son style de femme, donc le problème est réglé, l'idée oubliée.

J'ai hâte de lui écrire. Et pourquoi je ne m'y mettrais pas maintenant? Cela pourrait me détendre avant d'aller dormir. C'est décidé, je vais lui écrire ce soir. Je prends une feuille de papier et un crayon et... je bloque. Par quoi commencer? Après tout nous ne nous connaissons pas du tout, nous ne nous sommes même jamais vus. Je vais me laisser porter par mon inspiration, je corrigerai après.

«Soldat Miller,

Comme vous le savez sans doute, l'armée a mis en place un programme de correspondance et j'ai eu la chance d'être choisie pour y participer.

Je m'appelle Gabriella et j'ai 24 ans. Je travaille depuis deux mois dans un centre de revalidation de l'armée en tant qu'assistante sociale. Enfin, je n'en serai une officiellement qu'en juin, après avoir obtenu mon diplôme, je suis actuellement en stage.

Je suis installée devant cette page et je me sens un peu idiote. Pour être franche, c'est la première fois que j'échange des idées avec un inconnu et je ne sais pas par où commencer. En tout cas, je trouve ça très original de correspondre sur du courrier papier. À l'heure où le numérique a supplanté le papier depuis bien longtemps, ça me fait bizarre d'écrire à la main mais j'adore l'idée. J'aime le numérique mais j'ai quand même un penchant pour ce qui est vrai. J'aime tenir un livre entre mes mains, entendre le bruit des pages qu'on tourne. J'adore l'odeur si particulière du papier comme quand on rentre dans une bibliothèque.

Et vous soldat Miller, qu'en pensez-vous? Êtes-vous plus un adepte de l'ancien ou du nouveau?

Je m'excuse pour ce manque d'imagination. J'espère être plus inspirée par la suite. Au plaisir de vous lire.

Gabriella»

Pas mal pour une première. Je ne saurais pas faire beaucoup mieux de toute façon. Je la mets au propre, la plie et au moment de la mettre dans l'enveloppe, je m'arrête. Dois-je mettre ma photo avec? Après réflexion, je préfère attendre qu'il me la demande, je ne veux pas le faire fuir directement. L'enveloppe fermée, je vais dormir, je la donnerai demain à Julien.

J'arrive au boulot avec un peu de retard. Le bus est resté bloqué à cause de travaux. Pff je n'aime pas être en retard. Je prévois pourtant du temps en plus dans mes trajets pour ce genre de cas mais apparemment ça n'a pas suffit aujourd'hui.

- Bonjour Julie

- Bonjour Gaby.

Julie est la deuxième personne qui s'occupe de l'accueil avec Maria. C'est une trentenaire enjouée qui sait vous remonter le moral en deux temps trois mouvements.

- Julien est arrivé?

- Oui, il est dans son bureau.

- Merci, à tout à l'heure.

Je vais me débarrasser dans le vestiaire, attrape la lettre dans mon sac à dos et vais jusque chez le directeur. Sa porte est ouverte. Je frappe deux coups pour m'annoncer.

- Bonjour Gabriella, me dit-il tout sourire, que puis-je pour toi?

- Bonjour Julien. J'ai la lettre pour le soldat Miller. Où dois-je la déposer?

- Déjà, tu as fait vite!

- Pourquoi remettre à plus tard? C'est maintenant qu'il a besoin de soutien, lui dis-je avec un haussement d'épaule.

- Tu as bien raison. Donne la moi, je transmettrai à qui de droit.

- Merci beaucoup. Journée chargée aujourd'hui?

- Comme d'habitude, me dit-il avec un petit rire, comme d'habitude. Allez au travail.

- Oui patron, à tout à l'heure.

Je me sens bizarre. Euphorique à l'idée de commencer cette correspondance, excitée en attente de la réponse et stressée. Ne va-t-il pas me trouver trop nulle? Va-t-il me répondre?

Je mets tout ça dans un coin de ma tête, il est temps que je me consacre à mes tâches du jour.

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Début de correspondance un peu laborieux mais au moins elle s'est lancée.
Le soldat Miller va-t-il lui répondre? Que va-t-il lui répondre?

Chapitre corrigé le 30/06/18