Surpris par son message, je le laisse en vu une bonne trentaine de secondes avant de me motiver à lui répondre. Il est beau, mais son approche est à l'opposé de ce à quoi je m'attendais. Je le voyais avec une personnalité froide, sûrement une déformation professionnelle. 

Salut :) Oui, j'aime les chats, et toi ?

La réponse arrive sans attendre.

Bien sûr, j'en ai deux. Tu viens samedi ? Tes parents ont dit oui ?

Je serai là. 

J'ai envie de te poser un tas de questions.

Je ne sais pas trop comment réagir à son dernier message, qui me surprends. Je dirai même que pour une fois, j'en perds mon latin. Chose qui n'arrive normalement que devant un bon plat de gnocchis al polo.

- Tes trente minutes sont terminées, j'espère que tu as terminé. 

Et les revoilà tous les deux à leurs postes habituels. Je me contente de leur adresser un signe de tête et me décide à répondre.

Quoi comme questions ? 

Par exemple : à la soirée, tu as fais exprès de ne pas comprendre mon invitation sur la piste de danse ?

Il fait référence au moment où il m'a demandé s'il pouvait danser avec moi ? Alors que c'était littéralement ce qu'on faisait tous depuis le début.

On dansait déjà tous ensemble ?

Je voulais danser avec toi, à deux.

C'était pas vraiment un slow :)

Je peux t'assurer qu'avec ce que j'avais en tête, ça se serait très bien passé. 

J'y penserai.

:)

Il y avait une raison à ta question sur les chats ?

Bien sûr.

Plus loquace, tu meurs. Comment fait-il pour être un mélange parfait entre un mec étrange, insupportable, insolent, sexy et affreusement beau ? Cette discussion me rappelle ma première impression de sa personne, quand j'ai entendu sa voix en début de soirée. Sa profondeur, on sent tout de suite qu'il est un mille-feuilles. Un paradoxe complexe apparenté à un casse-tête. D'ailleurs, pour qu'elle soit roque comme ça, soit il fume depuis 40 ans, soit mère nature a été très généreuse.

Laquelle ?

J'ai posé la même à tes amis à la soirée pendant ton absence, ça permet d'avoir une idée sur les personnalités des gens. S'ils disent non, je leur demande pourquoi. Certaines raisons sont valables, d'autres pathétiques. Souvent, ceux qui les aiment, ça fait au moins ça de sympathique.

On dirait que tu mens.

C'est parce que c'est le cas :) Je ne savais juste pas comment rompre la glace avec toi. 

Il fallait tenter le marteau piqueur.

Je ne maitrise que le tournevis.

J'ai l'impression que tu es le genre de personne à qui on a du mal à arracher des infos.

Tu t'es vu Charlie ? A côté de toi, je suis un livre ouvert.

Touché.

C'est ma spécialité :) Je touche toujours le but.

Cela signifie que tu ne marque pas toujours.

La vie reste ce qu'elle est, l'important, c'est de le toucher. Je pense que je peux dire qu'encore une fois, j'ai réussi. 

Quoi donc ?

Je t'ai touché, Charlie.

Je n'en suis pas sûr.

Je  n'ai pas marqué, certes. Laisse moi le temps.

Tu es effrayant comme mec.

Ravi de te plaire :)

Ok, je ne lui réponds plus. Il est super spécial. Je ne sais pas encore si ça me plait, si ce genre d'échange me convient. Je ne peux pas nier que j'avais envie de lui répondre à la seconde et que certaines réponses m'ont fait de l'effet. Mais mon passé m'oblige à la prudence, et à tous les coups, ce mec est aussi hétéro que Fred et Matthieu. 

Pour me changer les idées, je vais sur mon deuxième profil et commence à lire les quelques commentaires déjà présents. Je pense pouvoir affirmer que c'est mon activité favorite. 

Au bout d'un moment, je remarque que la pièce est plongée dans un silence de mort, ce qui n'est pas du tout habituel. Lorsque je lève la tête pour regarder ce que Harry et le sauvage font, je constate qu'ils me regardent tous les deux. 

Samuel n'a même plus son casque, ce qui est mauvais signe.

- Quoi ? je demande

- T'étais encore plus absorbé par ton téléphone que moi sur le pc.

- Et ? En quoi ça demande une telle réaction ? 

- On a entendu maman et papa discuter. Franck vient à la maison ce soir.

Tout s'assemble dans ma tête dans un schéma que je déteste. J'adore ma famille, on s'adore tous. Sauf Franck. Franck et nous, ça n'a jamais collé. Depuis environ six mois, Arthur et Simon ont quitté la maison pour vivre en appartement et faire leurs études. Notre ainé n'est plus venu à la maison depuis, il n'a même pas donné de nouvelles à nos parents. Pour soulager les finances, avec deux personnes en moins, on a déménagé dans un appartement plus petit. Ce qui explique la chambre à trois.

Avant, Arthur et Simon s'occupaient de nous protéger des blagues violentes de Franck, mais ce soir, ils ne seront pas là.

Ce soir, je suis le plus grand. Mais surtout, je suis le grand frère. Si Harry et Samuel me regardent comme ça, c'est parce qu'ils comptent sur moi pour les rassurer.

- Il vient juste pour le diner non ?

- On sait pas, mais si c'est pour plus il va devoir dormir sur le canapé.

- Ne vous en faites pas, il n'est pas du genre famille. Devant papa et maman, il va se tenir. Surtout qu'ils vont lui demander des comptes. Après il s'en va, et on pourra dormir sereinement tous les trois. 

- Tu es sûr Cha ? 

Harry est le plus impressionnable et reste le plus jeune, mais au fond de moi, une petite lueur d'espoir me dit que peut-être que maintenant qu'on a tous grandi, Franck nous considèrera comme ses frères au même titre que Simon et Arthur.

- Il a peut-être changé son point de vue vis-à-vis de nous. Pour les deux autres, il était un bon grand frère. On est plus des petits maintenant, ni vous, et encore moins moi. Il ne sera pas méchant avec vous ce soir.

Une heure plus tard, quand la sonnette s'est fait entendre dans l'appartement, il n'y avait plus un  bruit, ni du côté de nos parents, ni du nôtre.

Marcus, les nouveaux gars, mes amis, ma future soirée de samedi, tout me paraît maintenant immensément loin.

C'est parti pour la réunion de famille incomplète mais au combien peu réjouissante.

- Les garçons, à table ! Votre frère est là.

- On arrive ! crie Samuel pour nous