Chapitre 8

Plusieurs longues heures passent sans que je ne voie personne. Ce qui, à vrai dire, me fait plutôt plaisir. J'ai enfin l'occasion de prendre le temps de penser sans être pressée par un quelconque individu loufoque.

Mes émotions ont été beaucoup trop sollicitées ces dernières vingt-quatre heures, j'avais besoin d'un moment de calme pour tout refouler.

Les images des derniers évènements défilent dans ma tête et s'entrechoquent. Il m'a fallu quelques minutes pour assimiler le fait que le garçon avec qui j'ai couché soit le frère de mon âme-sœur. D'autant plus que j'étais persuadée qu'il vivait dans un taudis à l'autre bout de ma ville.

J'ai enfin réalisé que la chose qu'ils cherchaient et la raison de la présence de la garnison près du village n'était autre que moi. Une pauvre fille qui vivait très bien tranquillement et qu'ils ont tirée de son quotidien pour une histoire de naissance.

J'ai pris de longues minutes pour tourner et retourner la situation dans ma tête. Évidemment, le fait qu'ils m'aient enlevée, droguée et enfermée ne joue pas en leur faveur. Je devrais même carrément m'enfuir d'ici le plus vite possible, mais courir avec une chaîne et une tente au pied est probablement assez compliqué.

J'ai également conscience que si j'avais réagi comme tout le monde, en me précipitant au cou de l'homme de ma vie, ça aurait réglé et évité pas mal de souci. Dommage que je sois toujours aussi douée pour me mettre dans le pétrin.

Je suis tirée de mes pensées par un bruit de toile qui s'ouvre. Un visage que je connais un peu trop bien apparaît dans l'ouverture, un plateau repas dans les mains.

— Novan.

J'ai sifflé son nom comme s'il s'agissait d'une vilaine vipère et pourtant iel me lance un grand sourire.

— Aaliyah ! Ravi·e de te revoir !

Le plaisir n'est pas vraiment partagé. J'aurais préféré recroiser sa figure quand Mayleen l'aurait invité·e chez nous.

Iel s'avance et me tend le plateau, que j'attrape sans un remerciement.

— Pourquoi Mayleen a fait ça ?

Son sourire s'efface. J'ai posé ma question plus froidement que prévu. Pourtant, ça m'a semblé logique : Novan est le seul lien qui aurait pu intégrer Mayleen à la mascarade.

— Ta meilleure amie a une vision très romantique des choses. Du lien d'âmes sœurs en particulier et de l'amour en général.

Je lève les yeux aux ciels. Iel n'auraient pas d'autres évidences à me proposer, par hasard ?

— Elle s'est promis de te rendre heureuse et pour elle, te lier à ton âme sœur était la meilleure solution. C'est la possibilité qu'elle aurait aimé avoir elle-même.

Iel se redresse et plonge son regard dans le mien.

— Elle a fait ça pour toi. Pour que tu aies une chance de vivre l'histoire que tu mérites. Elle sait mieux que personne à quel point tu mérites d'être heureuse.

Ben voyons ! Voilà qu'on me fait un discours digne des meilleures histoires d'amour. Il n'est jamais venu à l'esprit de personne que ma vie, telle que je la vivait, me rendait heureuse ? Non, bien sûr, les gens se basent sur leur propre vision des choses sans se soucier de la mienne.

Je ne réponds rien et Novan s'en va en me saluant d'un hochement de tête. Je me demande si iel a vraiment eu le temps de s'attacher à Mayleen ou si elle ne sera plus qu'une image floue dans quelques jours.

J'examine le plateau posé à côté de moi. Le plat a l'air bon et l'eau normale, mais je me méfie. Ils m'ont déjà droguée deux fois, je ne pense pas qu'ils se refuseraient un troisième essai.

Je pèse le pour et le contre, vaincue par l'évidence de mon estomac vide, quand la tente s'ouvre à nouveau. Cette fois, c'est un visage que j'aurais préféré ne jamais rencontrer qui s'échappe de la nuit tombante.

Nous nous fixons quelques secondes. Je refuse de bouger et Kaylan est visiblement mal à l'aise. Qu'il ne compte pas sur moi pour détendre l'atmosphère !

Finalement, il se décide à avancer et s'accroupit pour déposer une lampe devant moi avant de me tendre une couverture.

— La nuit peut être fraîche, explique-t-il.

— Si vous ne me teniez pas enfermée ici, il n'y aurait pas de problème.

Une grimace déforme son visage et je ne résiste pas à l'idée d'ajouter :

— S'il fait trop froid, dis à Sûm qu'il peut venir réchauffer mon lit si l'envie lui prend.

Kaylan ne répond rien et fixe mon plateau repas encore plein.

— Vous ne mangez pas ?

— Pour risquer de me faire empoisonner encore une fois ? Non merci !

Il secoue la tête et recule jusqu'à s'asseoir à l'autre bout de la tente, loin de moi.

— Je vous assure qu'il n'y a rien de tel dans ce plat. Il est tout ce qu'il y a de plus normal.

— Visiblement, nous n'avons pas la même définition de normal, alors je vais m'abstenir.

Il n'ajoute rien et nous nous fixons quelques instants. La lueur de la lampe remplace celle du soleil et éclaire le visage de Kaylan, me donnant tout loisir de l'observer.

Il possède les mêmes cheveux sombres et le nez droit que son frère, mais son regard transporte plus de lassitude.

— Quel âge avez-vous ?

Je sursaute, prise de surprise face à sa question. C'est quoi le problème ? Il veut déjà organiser le mariage arrangé ?

— Je dois m'assurer que c'est bien vous.

Vu le ton qu'il emploie, j'ai l'impression qu'il n'est pas vraiment réjoui par l'idée que ce soit moi justement.

— Vingt-quatre ans.

Il hoche la tête.

— Date et heure de naissance ?

— Vingt-huit juillet, douze heures trente-six.

Il hoche à nouveau la tête et son regard se perd dans le vague. La flamme de la lampe se met à vaciller au moment où l'étrange fil tire encore sur mon corps.

— Je suis désolée.

Je ne suis pas certaine que j'aurais dit ça, en d'autres circonstances, mais j'ai trop conscience du fait que je ne suis pas celle qu'il attendait. Kaylan me dévisage, surpris.

— Pas autant que moi.

Sa voix n'est qu'un soupir, mais je la perçois parfaitement.

— Vous avez raison. Je n'aurais jamais dû vous obliger à partir. Si vous le souhaitez, je vous ramène demain, à la première heure.

Il se relève et se penche vers l'avant, dans une sorte de révérence.

— Pensez à prendre des forces. Je vous fais la promesse que personne ne vous veut de mal, votre verre ne contient rien de plus que l'eau.

Il se détourne et je l'observe sortir.

— Bonne nuit, dit-il.

Je suis un instant son ombre derrière le drap, jusqu'à ce qu'elle disparaisse, et me fais la réflexion qu'il ne m'a pas appelée une seule fois par mon prénom. Le connaît-il seulement ? Sûm et Novan ont bien dû le révéler à tout le monde. Peut-être attend-t-il que je me présente de moi-même.

Décidée, j'attrape mon plateau et commence à manger. Les aliments n'ont pas mauvais goût et l'eau a une texture tout à fait habituelle. J'attends quelques minutes, à guetter un quelconque symptôme, mais je ne ressens rien.

Rassurée, je m'apprête à repousser le plateau lorsque j'aperçois une feuille qui dépasse du dessous de l'assiette. Je tire dessus et l'approche de la lampe.

« Aaliyah, je t'en prie, laisse à mon frère l'occasion de s'expliquer. Il n'a rien du monstre dont vous partagez le sang.

Sûm. »

L'écriture de Sûm est fluide et délicate. Je laisse un instant mes doigts courir sur l'encre déjà sèche. Devrais-je l'écouter ? Je ne sais plus à qui me fier.

C'est vrai que Kaylan est loin de ressembler à un monstre, ou alors un monstre très beau, mais je ne suis pas certaine que des explications suffisent.

Si je suis sincère avec moi-même, je ne peux pas nier que celui qui me dérange le plus dans cette histoire en réalité, c'est Weylin. Cet homme n'a eu aucune gêne à me traiter comme un simple pion. Et Kaylan m'a défendu alors qu'il ne me connaissait même pas. Quoiqu'il ait bien sûr pu faire ça uniquement par respect envers le lien qui nous lie.

Tous ces questionnements commencent à me fatiguer. Je glisse le message de Sûm dans ma poche, repousse le plateau et m'allonge sur le matelas.

Il ne me faut que quelques minutes pour commencer à frissonner. Kaylan avait raison, il fait froid ici, la nuit. Je me retourne pour attraper sa couverture et éteint la lampe d'un souffle.

Alors que la tente est plongée dans le noir, je ferme les yeux et tente de chasser toutes les angoisses qui m'assaillent. J'aurais vraiment aimé que Kaylan fasse passer mon message à Sûm.

~~~

Hey !

Finalement, ce chapitre est bien arrivé aujourd'hui, malgré quelques péripéties et une mauvaise volonté de la part de Wattpad 🙄

Notre petite Aaliyah en voit de toutes les couleurs ! Mais pas de panique, ça va s'arranger... ou pas 👀

Pensez à me laisser un petit commentaire et à voter sur ce chapitre s'il vous a plu !

Des bisous et à la semaine prochaine ! ❤️

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