Carnet Rouge
20 novembre 2018
Préz est venu hier. C'était cool. Il était heureux. Pas comme quand il débarque en catimini le soir, au guidon de son scooter, pour échapper à sa femme. Ces jours-ci, elle est sur la Côte d'Azur avec le chien et leurs enfants. Bon débarras. Il a pu rester un peu plus et on a bien parlé. Ça m'a rappelé quand je l'ai rencontré, il y a deux ans. Il était alors en campagne et aux petits soins pour que je lui présente des sponsors.
Tout était vraiment comme avant. Tout « malentendu » entre nous semblait oublié. Les menaces n'existaient plus. Il avait un service à me demander.
Comme d'habitude, il n'a pas lésiné sur les effets et les flatteries pour m'amadouer ; il m'a même dit des secrets sur les gens qu'il voit et sur ses affaires.
Un projet à la Réunion notamment, une histoire de mine de nickel très polluante dans un parc naturel, qui le soucie beaucoup. Les fonds russes et canadiens qui financent s'impatientent. Il leur a fait des promesses et tout est au point mort à cause de la décision d'un tribunal. Il ne l'avait pas vu venir. Le ministre de la Justice non plus. Il paraît que les juges font ce qu'ils veulent ! Un comble ! Et Préz ne peut rien dire ni faire.
Officiellement, il doit se comporter comme le sauveur de la planète pour les médias. Donc c'est compliqué.
Pour calmer les choses, il m'a demandé de voir D. D., un politicien russe qui le harcèle et qui n'arrête pas de dire partout qu'il va au-devant de gros ennuis s'il ne tient pas ses engagements et que le projet est torpillé. D'après Préz, ce type n'a qu'une seule faiblesse : c'est un de mes grands fans.
Comprenant là où il voulait en venir, je n'étais pas enthousiaste, mais il a su me convaincre. Comme toujours...
Il m'a refait le coup du love tandem, de notre lien secret plus fort que tout ; et comme je n'étais toujours pas convaincue, il a insisté, à coups de sous-entendus dont il a le secret, entre bâton et carotte.
Pour qu'il me lâche, j'ai marché.
Mimi m'a engueulée quand je lui ai dit, mais elle sait que je ne peux pas faire autrement, sous peine de subir ce qui nous a été infligé au moment où je me suis fâchée avec Préz.
Résultat, j'ai un rendez-vous arrangé avec le Russe au Fouquet's jeudi... Dîner et galipettes filmées. Le meilleur moyen de lui fermer la bouche, selon Préz. Il paraît que c'est une pratique courante dans son pays et que je ne risque rien, parce que la rencontre aura l'air « totalement fortuite » et que l'histoire ressemblera à une paparazzade due à ma notoriété. Je n'aurai qu'à nier toute implication dans un complot et à me moquer des gens qui voient le mal partout. Tu parles ! Comment croire une chose pareille, avec un contrat à plusieurs centaines de millions d'euros derrière, sans parler des dessous de table et des fonctions prestigieuses du gars en question !
Comme ses électeurs, Préz me prend vraiment pour une idiote. À l'instar de beaucoup d'hommes de son genre, et de ménagères bien-pensantes, encouragées par des dizaines d'articles de presse à scandale minable et toute leur grande « éducation », il pense qu'être noire, mannequin et assumer ma sexualité fait de moi une traînée prête à tout pour du fric ou un coup de projecteur.
Il me dégoûte autant que je me dégoûte de rester dans son ombre.
Quand bien même je serais ce qu'il croit, il n'aurait pas le droit de me traiter ainsi ! Mais, je ne le lui dis jamais en face. Chaque fois, la trouille au ventre, je cède et je me convaincs que la « récompense » n'est pas si moche qu'elle n'y paraît.
Pour cette opération, outre la sextape qui pourrait doper ma cote sur le marché des mannequins si elle sortait, ça ne sera pas la Légion d'honneur bien sûr – encore que la contrepartie le mériterait amplement –, mais, après tant d'efforts et de dévouement à la cause nationale, il est probable que je devienne le visage de la prochaine Marianne. Selon Préz, je serais l'incarnation de la diversité et de la fraternité française. Il me l'a promis avec de grands trémolos dans la voix et des envolées lyriques de folie.
Sur ce coup, il n'avait pas besoin d'en faire autant.
Je le crois. Cette promesse-là ne lui coûte rien ! Pas comme le reste, ce à quoi il m'a contraint à renoncer pour assurer ses arrières ; ce petit secret honteux lui aurait coûté sa carrière... Alors il n'a pas hésité à fracasser ma vie. Et il continuera... À moins que je trouve enfin le courage d'y mettre un terme.
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