Prologue

12.11.2174

Parfois, le docteur Sterr aimait se sentir vide. Lorsque c'était le cas, il s'asseyait en devanture d'un bar nocturne, et faisait taire ses pensées à grandes gorgées de boissons suspectes. Les couleurs fluo et les goûts puissants anesthésiaient ses sens. Il laissait ses yeux pâles glisser sur les passants, et son cerveau s'apaisait, tandis que ses muscles se relâchaient et qu'il écoutait la musique de l'intérieur de la salle. Des groupes en vogue, des morceaux aux consonances étranges et hypnotiques, parfois des basses vibrantes et des chants trop justes. Remplacer les artistes humains par un androïde effaçait les fausses notes.

Le docteur Sterr ne trouvait pas cela gênant. Après tout, les androïdes avaient de multiples fonctions et amélioraient la vie de certains. Il avait consacré sa carrière à leur développement, cherchant comment éviter les erreurs et les dysfonctionnements, puis il avait inventé de nouveaux systèmes pour les rendre encore plus performants. Il avait été passionné, ses yeux avaient brillé d'une lueur intense alors qu'il en étudiait le moindre détail. Des années de travail dans des laboratoires, à éplucher des rapports et à dessiner des schémas. Des années...

Il fixa la boisson rose qui remplissait son verre. Le liquide brillait, constellé de paillettes, et son goût indéfinissable lui restait longtemps sur la langue, comme une vague chaude et sucrée. Alcoolisée, aussi. Peut-être qu'il devrait arrêter de boire pour ce soir-là. Combien de verres avait-il déjà avalés ? Trop, sans doute. Et il travaillait le lendemain. Le progrès n'attendait pas la fin d'une gueule de bois.

Mais il laissa couler la boisson rose dans sa gorge. L'idée d'en obtenir une langue brillante manqua de le faire sourire. Quelques ridules plissèrent le coin de ses yeux, visibles sous les rais de lumière qui provenaient de l'intérieur du bar. Quelques rires surpassaient la musique et atteignaient ses oreilles, mais il resta là, juché sur un tabouret et appuyé à cette table où quelques éclaboussures d'alcool tentaient de coller ses manches au faux bois.

Il y posa les coudes et soupira, le visage entre les bras. Son front se pressa contre le verre qu'il tenait encore, et sa fraîcheur le saisit d'un frisson.

— Qu'est-ce que je fous...

Son grommellement à peine audible se perdit dans les rumeurs de la rue. Les gens passaient, riaient, se plaignaient, dans une cacophonie supportable. Et lui fermait les yeux, essayait de ressentir la chaleur de l'alcool dans son corps. Il n'y parvenait pas. C'était très bien ainsi. Il était enfin vide. Minuscule dans une ville, parmi tous les inconnus. Il était invisible et insignifiant. Il n'avait plus de but, plus d'identité, plus d'importance. Plus de sens.

Un nouveau souffle passa ses lèvres alors qu'il glissait une main dans ses courts cheveux bruns. La réalité le rattrapait toujours trop vite.

— A vendre ! Androïde parfait pour garder les enfants et les malades, à peine utilisé, une occasion en or !

Le docteur Sterr releva les yeux et aperçut un homme de l'autre côté de la ruelle piétonne. Il essayait d'arrêter les passants, de leur montrer sa marchandise. Il avait surtout l'air de vouloir revendre un androïde sans s'embarrasser de contacter sa boutique d'origine. C'était sans doute pour éviter d'avoir à passer tous les contrôles de qualité qui permettaient la revente dans un état certifié ; ici, seule sa parole attesterait de la qualité de l'androïde d'occasion. L'avantage pour l'acheteur ? Les prix bien inférieurs à ceux demandés en magasin.

— Il est encore en parfait état, vous n'aurez à effectuer aucune réparation ! Saisissez votre chance, on n'en voit pas partout des SK540 pour une si petite somme ! héla l'homme.

L'air pressé sur son visage apprit au docteur que cette revente servirait sans doute à payer des factures en attente. A moins qu'il ne fasse de la contrebande et qu'il ait volé l'androïde. Enfin bon, ç'aurait été stupide, car sans les bons moyens, il était très difficile d'en effacer les traces.

Il se redressa, passa son poignet sur la borne devant le bar, qui émit un léger « bip » presque joyeux, et rejoignit le vendeur.

— Un SK540, hein ?

Le visage de l'homme s'éclaira d'un sourire aux lèvres gercées.

— Tout à fait, tout à fait ! Connaissez-vous leurs avantages ? Ils sont épatants, vraiment, de petites merveilles ces modèles !

Sterr manqua de lâcher un souffle blasé.

Je les développés moi-même... et ils ne sont pas si extraordinaires que ça.

À la place, le docteur eut un rictus qui s'apparentait à un sourire, et il se pencha vers l'androïde en question. Il s'agissait clairement d'un SK540, le corps fin mais robuste, aux traits doux et avenants. Sa peau claire et ses cheveux blancs, associés à ses yeux d'un curieux rose, lui indiquèrent qu'il s'agissait d'une version personnalisée d'un modèle de base. Il avait dû coûter un peu plus qu'un SK540 classique.

Il croisa le regard de la machine humanoïde et une légère curiosité crépita dans sa poitrine.

— Nous l'avions acheté pour ma fille, poursuivit le vendeur avec enthousiasme. Mais l'entretenir coûtait cher et elle a grandi, alors il est temps de nous en séparer.

— Pas pour payer vos dettes ? glissa le scientifique avec une moue moins chaleureuse.

— Que... Non, enfin, les coûts d'entretien pourraient être économisés, c'est certain...

— Les gens revendent souvent leurs androïdes par un marché détourné lorsque quelque chose ne va pas, ou bien qu'ils sont criblés de dettes, sourit Sterr. Alors, si votre portefeuille se porte bien, que manque-t-il à cette... petite merveille ?

— Il est en parfait état de marche ! protesta l'homme, le visage rouge.

Pendant tout leur échange, ladite merveille les avait observés, un léger sourire aux lèvres. Celui-ci ne manifestait aucune joie, il n'était qu'une expression prédéfinie dont l'androïde usait lorsque personne ne s'adressait à lui. Ses yeux, de la même couleur que la boisson que venait de boire le docteur, passaient d'un visage à l'autre sans rien refléter.

— Je peux vous le prouver, posez-lui une question, insista son propriétaire. Nous l'avons réinitialisé, il est...

— Vous avez quoi ?

Le plus âgé s'approcha du vendeur et croisa les bras sur sa veste longue en cuir. Un éclat glacé luisait à présent dans ses yeux.

— Je... Il est comme neuf, réglages d'usine, tout ça, balbutia-t-il.

— Vous savez qu'il faut un permis pour toucher aux systèmes des androïdes.

L'homme prit un air vexé. Ses sourcils se froncèrent, et il haussa le ton.

— Vous êtes de la police ou quoi ?! Mêlez-vous de vos affaires ou je demande à Ken de vous forcer à partir. Je dois le vendre, moi, je n'ai pas le temps pour vos remarques !

Le coup de bluff n'eut aucun effet. Sterr ricana même en entendant le nom de l'androïde.

— Vous avez appelé le baby-sitter de votre fille Ken ?

— Je ne vous permets pas...

— Et me menacer avec un SK540 ? Vraiment ? Leur programme est spécialement conçu pour qu'ils ne fassent jamais preuve de violence, lâcha Sterr d'une voix monocorde. Ils ne peuvent même pas insulter quelqu'un, tout ce qu'ils ont c'est une fonction d'appel vers la police via une ligne prioritaire...

Il soupira, puis posa un index sur sa tempe.

— Je devrais rentrer, marmonna-t-il.

L'heure clignota dans un coin de sa vision et il pesta à voix basse. Il lança un dernier regard au SK540, observa ses cheveux blancs, puis ses yeux roses, et accorda un rictus à son propriétaire.

Je dois avouer qu'il est pas mal, avec ces couleurs. Mais à l'intérieur, ils sont tous les mêmes.

— Bonne chance pour vendre un tel modèle sans le certificat du magasin.

Puis il tourna les talons et disparut.




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Coucou!

Alors... Surprise? x)

Ça faisait un moment que je pensais revenir avec cette histoire, alors je me lance, même si je n'ai pas encore tout écrit. A vrai dire, cette version ici est déjà une première fois réécrite, ce n'est pas le premier jet, alors j'ai juste cédé à l'envie de partager cette histoire :))

J'ai commencé à la travailler vers mars 2021, alors il est peut-être temps de la laisser prendre son envol ici haha.

Dans tous les cas, je pense publier de manière régulière, puisque j'ai de l'avance. Pour être tout à fait honnête, j'espère que vous m'aiderez à la terminer. Vos commentaires, vos votes, me redonneront foi en ces personnages; j'aime toujours cette histoire, mais je la réécris depuis tellement longtemps que je commençais à ramer niveau motivation, alors... à vous de jouer haha! 

J'irai sûrement plus vite après avoir lu vos retours ;)

Dans tous les cas, je suis vraiment excitée à l'idée de vous lire dans votre découverte de cet univers de science-fiction. J'espère que les personnages et leurs relations vous plairont, ainsi que l'intrigue, ma plume, les secrets disséminés un peu partout... <3

Un petit conseil : faites bien attention aux dates que je place en début de chapitre ;)

Rapide petite remarque : cette histoire a été classée mature pour cause de violence, mais ça ne virera pas à l'horreur ou du pur gore, et j'estime rester assez soft, toutefois j'ai préféré éviter un signalement. 

Pour vous, l'aventure de CORE commence ce 5 janvier 2023... et ne se terminera pas avant un bon moment <3

J'ai hâte de publier ce prologue. Allez, je me lance... Voici mon nouveau bébé <3 et Bonne année !




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