VI
Qu'on se le dise, Lola n'a pas lâché Isaac pendant tout le reste du trajet jusqu'à la sortie de la forêt, ce qui représente un sacré bout de temps quand même. Je suis sûr qu'il a des bleus sur le bras tellement elle n'a pas desserré son emprise. Pardon Isaac, c'est un peu de ma faute.
Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais en sortant de ce bois, mais sûrement pas à ça : des champs et autres prairies envahis par des coquelicots. Honnêtement c'était magnifique et nous nous sommes tous les quatre arrêtés en une parfaite synchronisation. Enfin jusqu'à ce que j'entende Kirsten faire un bruit bizarre à côté de moi – une sorte d'exclamation de joie j'imagine – et qu'elle se mette à courir vers le fossé peu profond séparant le chemin du champ. Elle s'accroupit et caresse les pétales rouges des fleurs du bout des doigts. Un rapide coup d'œil aux alentours nous informe que les autres ne sont pas encore arrivés alors nous nous rapprochons de Kirsten, complètement perdue dans un autre monde. Isaac et Lola restent debout à contempler le paysage, guettant l'autre groupe au passage, tandis que je m'accroupis à mon tour. Kirsten a une expression que je ne m'attendais certainement pas à voir collée sur son visage ; on dirait un enfant de quatre ans auquel on aurait offert le dernier jouet à la mode. Ce n'est pas comme si c'était la première fois qu'elle croisait une fleur, on en avait vu plein sur le chemin. Mais ce sont les premiers coquelicots.
-C'est ta fleur préférée ?
Elle hoche vigoureusement la tête. Eh ben, s'il suffit de ça pour qu'elle soit heureuse ! Enfin, le problème c'est qu'un coquelicot ça dépérit si on le cueille alors ce n'est pas comme si je pouvais lui en offrir des bouquets à ma prochaine bourde pour me faire pardonner. Le son distinctif d'un appareil photo me sort de la contemplation de son visage. Je me tourne juste à temps pour voir Lola afficher un sourire satisfait, brandissant son portable vers nous. Ne me dites pas que... Oh vu sa tête, si, elle a osé faire ça. Je vais la tuer.
Ni une ni deux, je suis debout, lui lançant un regard assassin et demandant à mi-voix de supprimer cette photo.
-Pourquoi ? dit-elle. Elle est très réussie et puis ce n'est qu'un paysage.
Tu parles ! C'est quoi ce clin d'œil louche ?! En fait la seule connerie que j'ai faite depuis le début du séjour c'est me confier à elle. C'est foutu elle ne va plus jamais me lâcher.
-Je te l'enverrai si tu veux.
Nouveau clin d'œil appuyé. Je ne lui renvoie qu'une grimace en guise de réponse. Je suis sûr que j'ai l'air idiot et plus qu'évident sur cette photo ; si quelqu'un tombe dessus, c'est la fin de ma crédibilité. Enfin si j'en ai déjà eu une.
Après un soupir, je me baisse à nouveau, non sans remarquer qu'Isaac est lui-aussi en train d'immortaliser le paysage – sans moi dessus heureusement, ça c'est un vrai pote.
-T'as une fleur préférée toi ? me demande Kirsten quand je me retrouve à sa hauteur.
-Heu... non, je crois pas. J'y ai jamais pensé en fait.
Mais quelque chose me dit que les coquelicots sont en très bonne position pour le devenir. Ça je le garde pour moi par contre.
-Il y en a beaucoup qui fleurisse chez moi, continue-t-elle, ça me rappelle la maison.
Moi qui n'ai aucune idée d'où elle habite, voilà que j'obtiens un indice, ténu certes mais c'est mieux que rien. Je dois donc chercher un jardin rempli de coquelicot dès qu'on revient. Facile ! Ou pas.
Avec un discret soupir je me laisse tomber au sol. ça fait des heures – plus ou moins – qu'on marche alors puisque notre arrêt a l'air de s'éterniser autant en profiter. Je m'installe en tailleur sur le petit chemin de terre et tant pis si mon jean est dégueulasse après ça. Le coude calé sur mon genou, je pose mon menton dans le creux de ma paume. Mon visage est dirigé vers le champ coloré histoire de ne pas plus attirer l'attention sur moi (je peux sentir le regard brûlant de Lola sur ma nuque, c'est flippant) mais mes yeux restent rivés sur Kirsten. J'y peux rien si elle rayonne au point de m'hypnotiser complètement. Telle une phalène je suis irrémédiablement attiré.
Ok ne lui dites jamais que je viens d'implicitement la comparer à une lampe.
Il va falloir que je travaille ma délicatesse et ma poésie, ça devient urgent. Pourquoi pas le soleil et les planètes. Oui ça me paraît bien mieux comme comparaison. Complètement cliché mais tout de même plus flatteur qu'un lampadaire.
-Hé !
La brutale sortie de mon fort intérieur se traduit par le plus gros sursaut que j'ai jamais eu. J'ai décollé de dix centimètres, au moins ! Mon premier réflexe est de poser une main sur mon cœur, comme si ce simple geste pouvait le calmer ; la réponse est clairement non hein, il continue de battre à toute allure après cette brusque relance digne d'un défibrillateur. Je tourne mon visage le plus outré possible vers Kirsten, qui m'a littéralement crié dans les oreilles. Perdu dans mes réflexions idiotes je ne l'avais même pas vue s'approcher.
-T'es malade ! Pourquoi t'as fait ça ?
Ses sourcils se haussent pour faire un parfait accent circonflexe. Intéressant cette souplesse du visage, il faudrait que j'essaye. Bref, revenons à nos moutons.
-Je t'ai appelé dix fois et tu répondais pas. Tu dormais les yeux ouverts ou quoi ?
-Non, je réfléchissais simplement.
On voit clairement que ça la démange de faire une remarque destinée à se foutre de ma gueule mais elle se retient.
-Ça m'arrive de temps en temps tu sais.
Oui je me plombe moi-même. Mais écoutez, autant se descendre soi-même, au moins on n'est pas surpris et en prime on coupe l'herbe sous le pied des autres. Faut pas oublier de se remonter aussi de temps en temps, parce que ça non plus ce ne sont pas les autres qui le feront.
Du coin de l'œil je peux voir Lola qui se marre ; c'est soit à cause de mon bond de kangourou – c'est fort probable – soit à cause de mon autodérision. Isaac, lui, s'en bat royalement les cactus : il continue sa séance photo comme si nous n'existions pas. Entre nous, je pense qu'il essaye de faire genre qu'il ne nous connaît pas au cas où on croiserait d'autres promeneurs.
-Qu'est-ce que tu voulais me dire du coup ?
C'est pas tout ça mais je ne me suis pas fait griller un tympan pour rien.
-Quand vous avez regardé les chemins sur la carte, l'autre était plus long que le nôtre ?
Excellente question – comme toujours. Je suppose qu'elle se demande où est passé le reste de notre groupe. J'avoue que j'étais tellement perdu dans ma contemplation, à la fois d'elle et du paysage, que je n'ai pas ressenti la moindre once d'impatience jusqu'à maintenant.
Kirsten attend une réponse alors je me creuse les méninges. A quoi ressemblait cette foutue carte déjà ?
-Heu... Ils avaient l'air de faire à peu près pareil il me semble. Mais bon on a marché vite et si ça se trouve ils se traînent. Ou alors ils essayent de perdre Jason dans la forêt.
J'ai réussi à lui tirer un sourire, victoire ! Bon du coup, tel l'idiot que je suis, je souris à mon tour. Mon expression doit sûrement être d'une niaiserie à vomir mais tant pis. J'espère juste que Lola a arrêté de me prendre en photo. Je dois réfléchir à un moyen de me venger. Lui piquer tous ses pulls peut-être ? Vu comment elle est frileuse ça peut être une bonne sanction, à condition de spécifier au reste du groupe de ne rien lui prêter. Partons sur ça.
-J'espère qu'ils auront réussi, répond Kirsten.
-Pas moi, on a besoin de sa voiture.
-Pas faux.
-La question ne se pose pas, intervint Isaac, les voilà.
Kirsten et moi nous retournons d'un même mouvement pour distinguer des silhouettes qui grossissent à l'horizon ; les autres arrivent enfin. Kirsten se relève vivement et pose ses mains sur ses hanches, ce qui lui donne une attitude du genre « mère qui attend de pied ferme ses rejetons qui ont fait le mur pour pouvoir les engueuler ». Non ce n'est pas du vécu, je suis un enfant très sage moi.
Je mets plus de temps à me mettre debout ; le sol était si confortable – et si bas surtout. L'effort me tire un grognement.
-Allez papi ! m'encourage Lola.
-Chut toi !
C'est comme si je n'avais rien répondu pour elle apparemment. Peu importe. Je m'époussette sans aucune élégance l'arrière du pantalon tandis que l'autre groupe franchi les derniers mètres qui nous séparent.
-Vous en avez mis du temps ! leur lance Kirsten.
Elle aurait sûrement rajouté « ça fait des heures qu'on vous attend » si elle ne savait pas que c'était complètement faux. On a dû attendre vingt minutes grand maximum.
-C'est vous qui avez été trop rapides ! rétorque Jason.
Et allez c'est reparti pour le combat de coqs.
-C'est pas grave ! intervient Judith. On est tous réuni maintenant !
-Ouiiiii ! s'exclama Lola en lui tombant dans les bras.
Trop d'amour dans ce groupe, je vous jure. Enfin pas vraiment entre Kirsten et Jason qui, s'ils ne disent rien, continuent de se défier du regard. La fierté est à consommer avec modération, ils devraient garder ça en tête.
-Bon on avance ? suggère Jeremy. Ça fait déjà plus de deux heures qu'on est parti, on va pas non plus attendre le coucher du soleil.
J'avoue que la perspective de passer la nuit au milieu d'un champ, ou du bois, ne m'attire pas trop. Par contre je parie ce que vous voulez que Josh adorerait ça. J'espère juste qu'il ne va pas essayer de nous retarder pour que ses fantasmes étranges se produisent. Pitié non.
J'attrape Josh par le bras, ce qui me vaut un regard étonné de sa part – ne joue pas à l'innocent avec moi, je sais tout de tes plans diaboliques – et le tire vers l'avant avec une petite exclamation à l'égard du reste de la bande.
-Allez en avant !
Lola arque un sourcil d'un air de dire « t'étais pas aussi motivé y a deux minutes » tandis que Jeremy nous emboîte le pas, suivi par les autres quelques instants plus tard. Du coin de l'œil, je remarque que Kirsten embrasse une dernière fois le paysage du regard (même si techniquement on peut toujours le contempler en marchant). Ses yeux caressent une dernière fois les coquelicots avant qu'elle ne se détourne.
Depuis combien de temps n'ais-je pas posté sur cette histoire ? Je n'ose même pas compter... (c'est depuis fin juillet...)
Désolée, vraiment. Au début c'est parce que je me suis concentrée sur la Valse. Et après j'ai complètement bloqué sur ce chapitre. Honnêtement, ça ne va pas aller en s'arrangeant... j'ai assez peu d'idées pour la suite (une seule quoi).
J'ai pas envie de perdre toute motivation pour cette histoire en essayant de la faire durer et puis j'ai envie d'essayer d'écrire autre chose donc je vais essayer d'abréger. Dans quelque chose comme deux ou trois chapitres ce sera fini je pense (quitte à faire des chapitres bonus plus tard si j'ai des idées).
Bref, j'espère que ce chapitre vous aura plus tout de même.
"A fleuri dans un jardin de solitude
Une fleur qui te ressemble
Je voulais te la donner
Après avoir ôté ce masque insensé"
(Quand la lecture automatique de Youtube te lance des chansons tristes et que tu passes de =D à T-T )
Je viens juste de remarquer qu'en traduisant j'ai fait une rime sans faire exprès XD J'ai peut-être une âme de poète après tout (j'en doute)
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