I V
Cette fois ce n'est pas par erreur que je me retrouve assis sur le rebord du lit à cinq heures du matin, frottant mes yeux encore endormis. J'ai pris soin la veille de mettre un réveil à mon portable, ce qui a tiré un long grognement à Jason mais je ne pense pas que son sommeil ait été plus troublé que ça : il s'est simplement retourné et remis à ronfler. Je me lève donc, enfile mes vêtements à la hâte avant de m'échapper de la chambre le plus discrètement possible. Les couloirs sont toujours aussi silencieux, les grincements insupportables de l'escalier n'ont pas disparu. Plus je descends les marches, plus les battements de mon cœur s'accélèrent. Sera-t-elle là ou bien vais-je me retrouver seul comme l'idiot que je suis ? J'avoue que ma discussion de la veille avec Lola ne m'aide pas à conserver une quelconque sérénité.
Cette fois, pas de pause café, je me dirige directement vers la baie vitrée qui donne sur le jardin. La porte est fermée, contrairement à hier matin, cependant je peux apercevoir une silhouette assise dans l'herbe, à ma plus grande joie. Je me glisse donc à l'extérieur à mon tour, parcourant à pas lents les quelques mètres qui nous séparent. Comme la veille, je m'installe à sa droite sans un mot, les yeux rivés sur le ciel qui s'éclaire petit à petit. L'air est plus frais que lors de l'aube précédente, les nuages plus nombreux mais cela ne gâche en rien le spectacle. Au contraire, chaque amas cotonneux reflète les rayons d'une manière différente, multipliant les couleurs. Une toile bigarrée s'étend au-dessus de nos têtes de jeunes mal réveillés. J'ai toujours eu tendance à penser que chaque aube (et chaque crépuscule) est unique, fruit d'un réagencement de teintes toujours différent. La vision de ce levé de soleil superposée à celle d'hier ne peut que me convaincre.
Mon esprit est si absorbée par la contemplation du ciel que, contrairement à hier après-midi, c'est à peine si je sens le froid qui me donne pourtant une chair de poule prononcée. Mes poils sont hérissés en angle droit par rapport à ma peau mais je n'y prête aucune attention. ç'a toujours été comme ça pour moi : l'un de mes sens est parfois si absorbé qu'il anesthésie les autres. La contemplation d'un paysage stupéfiant ou l'écoute d'une musique envoutante suffisent à déconnecter le reste. A les déconnecter ou au contraire à raccorder toutes mes sensations en rythme avec ce qui m'habite. Selon les dires de ma grand-mère (et elle a souvent raison) je suis, je cite, un « incorrigible rêveur ». Je n'ai toujours pas saisi si c'était une bonne chose ou non d'après elle, mais je suppose que, puisque je n'ai pas été déshérité depuis le temps, ça ne doit pas trop la déranger. Mais je m'égare.
-Je ne pensais pas que tu serais à nouveau là.
Waouh, ma voix semble plus calme et confiante que je ne le suis vraiment. Kirsten se tourne vers moi et je m'attends à recevoir une réplique cinglante, ou du moins une qui me passerait envie de lui faire la conversation. A la place, elle sourit. Un sourire amusé.
-Je me suis dit que tu reviendrais en te disant que, peut-être, je serais là et que tu serais capable de m'attendre pendant des heures. Je n'ai pas eu le cœur de te laisser là, tout seul.
Si je n'étais pas amoureux avant, là ça m'a l'air bien parti. Certes elle a l'air de me considérer comme un idiot – ce qui est tout à fait compréhensible – mais en même temps ça veut dire qu'elle m'apprécie. En fait, j'ai l'impression d'être comme un petit chiot : tout mignon mais vraiment pas doué, qui t'exaspère et t'amuse en même temps.
-Tu trembles, fait-elle soudainement remarquer.
-Hein ?
Elle me fixe avec un sourcil arqué, son air amusé s'étant effacé. Effectivement, un premier bilan de mes sensations m'annonce que mes muscles tremblent dans l'espoir de se réchauffer et que mes dents claquent (ma dentition a toujours été très prompte à réagir, s'en deviendrait presque agaçant).
-Ah.
C'est tout ce que j'ai trouvé à dire. Et la palme d'or de la meilleure répartie revient à.... moi évidement. Kirsten soupire, le genre qui te fait clairement comprendre que tu es quelqu'un de fatigant, avant de tirer sur un bord de la couverture dans laquelle elle est enroulée depuis le début. Quelle prévoyance ! J'en serais presque ébloui. Elle me fait signe de me rapprocher avec la main. Quelqu'un de tout à fait normal se serait exécuté dans la seconde, d'autant plus quand ce quelqu'un s'est rendu à l'évidence que la fille qui l'appelle est définitivement son crush, si ce n'est plus. Sachant donc ce qu'aurait fait quelqu'un de censé, devinez ce que moi je choisis de faire.
Oui, oui, je ne bouge pas. Je reste grelottant hors de portée de sa couverture. Nouveau soupir – cette fois franchement agacé – de Kirsten qui décide donc de se déplacer elle-même. Dans la seconde qui suit, je me retrouve donc sous la couverture qu'elle a déjà réchauffée depuis de nombreuses minutes par sa température corporelle ce qui fait beaucoup de bien à mon petit corps en souffrance. Mais cette proximité me stresse, c'est peut-être la première fois que je suis aussi près d'elle, du coup je me fige. Nos épaules se touchent bordel ! Puisque je fais toujours tout de travers, faire la statue me paraît l'option la moins dangereuse. Avec un peu de chance, Kirsten ne mettra pas son rêve de se débarrasser de moi à exécution.
-Si t'es si frileux, dit-elle, pourquoi t'as pas pris de quoi te tenir chaud au lieu de sortir en t-shirt ?
Excellente question.
-J'ai oublié.
Superbe réponse. Si Kirsten est une maîtresse de l'impassibilité par rapport à mes propres compétences, elle a un peu de mal à cacher ses pensées en ce moment. Même moi j'arrive à décoder le message contenu dans ses traits crispés et son regard désespéré : ce mec n'a clairement pas inventé l'eau tiède.
Malheureusement, je ne peux pas nier ni prouver ma valeur en m'attribuant le mérite d'une quelconque invention, je garde donc le silence – comme d'habitude me direz vous.
-Détends-toi, lance-t-elle, je ne vais pas te mordre.
Je peux presque entendre la voix de Josh dans ma tête ; « quel dommage ! » aurait-il dit, ou du moins pensé, dans une telle situation (il cache bien sa véritable nature cet enfoiré).
-C'est juste que... je veux pas faire de bourde.
Pas avec elle en tout cas, elle doit déjà être à saturation.
-Excellente résolution.
-N'est-ce pas ?
Nouveau silence alors que j'enroule mes bras autour de mes genoux, toujours raide comme un piquet. La vue depuis le jardin est moins belle que celle que l'on avait depuis la plage mais elle semble nous convenir à tous les deux.
-T'es bizarre comme gars, lâche-t-elle soudainement.
-Plus que toi ?
Honnêtement, j'ignore d'où cette réponse est sortie, ç'a été comme un réflexe. Je crois qu'une partie de mon cerveau a oublié l'espace d'un instant que c'est à Kirsten que je parle.
-Je ne suis pas bizarre, se défend-elle.
Et allez, encore une gaffe à rajouter au compteur. La prochaine fois je fermerai ma gueule, ça vaudra mieux. En attendant il faut que je trouve un truc à dire pour désamorcer la situation. Vite, vite réfléchis, rattrape-toi ! Mes neurones moulinent à plein régime pour me sortir de là.
-Je sais, tu es juste unique.
S'en suivent quelques secondes de flottement où j'attends sa réponse le cœur battant, priant silencieusement pour qu'elle le prenne bien. C'est à peine si j'ose la regarder du coin de l'œil.
-Tout le monde est unique, répond-elle doucement, même si c'est vrai que ça parait difficile quand on regarde les gens au lycée.
Ouf, sauvé.
-Excuse-moi, reprend-elle, moi-même je déteste qu'on me catégorise ou qu'on m'exclut seulement parce que mon style et mon comportement sont différents mais je viens juste de le faire avec toi. Désolée, vraiment.
Alors là si je m'y attendais... J'en reste bouche bée un certain temps. Qui aurait cru qu'elle s'excuserait ? Pas moi en tout cas. Je ne sais pas vraiment comment réagir, ça me fait culpabiliser puisque, de nous deux, c'est moi qui ai le plus de choses à faire pardonner.
-C-C'est pas grave, venant de toi « bizarre » sonne plus comme un compliment.
-Ravie que tu le prennes comme ça.
Elle sourit. Pas un sourire moqueur ni amusé, un vrai sourire sans arrière-pensées et c'est bien la première fois qu'elle m'en fait un à moi. Mon Dieu je vais défaillir si ça continue.
Quand j'étais plus jeune, ma grand-mère (toujours la même) m'a dit une fois que le plus important chez quelqu'un était son sourire et son regard. C'est eux qu'on aime en premier, c'est par eux qu'on tombe amoureux, le reste ne compte pas, m'a-t-elle assuré. Ses paroles ont sûrement trouvé un écho dans ma romantique personne, mon indubitable côté fleur bleue puisque c'est toujours ça que j'ai regardé en premier chez une fille et non son derrière ou sa poitrine comme font beaucoup de gars de mon âge. Le regard de Kirsten fait flipper mais je peux vous assurer que son sourire est à fondre telle une glace au soleil (ou la banquise en plein réchauffement climatique). Pour le reste... Bon j'avoue j'ai peut-être déjà regardé une ou deux fois. Il est clair qu'elle a pas les ballons d'une Kim Kardashian ou d'une Nicky Minaj, que ce soit devant ou derrière, mais bon moi-même je n'ai rien d'un Dwayne Johnson donc tout jugement de ma part serait fortement déplacé. Mais revenons à nos moutons.
-Désolé pour ton devoir de maths.
Elle me regarde avec, visiblement, beaucoup de surprise, mais je continue avant qu'elle ne puisse répondre.
-Désolé de t'avoir lancé ce ballon de basket en pleine tête. Désolé d'avoir renversé cette carafe dans ton plateau au self. Désolé pour toutes ces choses vexantes que j'ai dites et que je n'ose même pas répéter. Je suis vraiment, vraiment désolé pour toutes ces gaffes que j'ai faites. Et je suis encore plus désolé de ne m'être jamais vraiment excusé. Malgré tout ça, je te suis reconnaissant de ne m'avoir toujours pas jeté par une fenêtre ou même noyé hier puisque tu en avais l'occasion.
Elle demeure silencieuse un long moment, se contentant de me fixer, ses yeux caramel plantés dans les miens. Elle n'a pas l'air énervée ou agacée, seulement d'une neutralité indéchiffrable. J'ai l'impression qu'elle me sonde, qu'elle lit dans mon âme comme elle aurait discerné les inscriptions sur une affiche publicitaire à quelques mètres.
-Si j'avais fait ça, dit-elle finalement, et crois-moi ce n'est pas l'envie qui me manquait, tu n'aurais jamais eu l'occasion de t'excuser et ç'aurait été dommage de manquer ça.
Elle soupire tandis que je reste silencieux.
-Excuses acceptées. La prochaine fois – car il y en aura d'autres, te connaissant – essaye de ne pas mettre autant de temps, d'accord ?
Je hoche vigoureusement et frénétiquement la tête, ce qui la fait grandement sourire et dévoiler toutes ses dents. Alors que le poids qui écrasait ma poitrine depuis un certain temps maintenant s'envole, je remarque que les premières lueurs de ce nouveau jour illuminent son visage et embrasent ses cheveux. Pas de doute, malgré son acné coriace, son nez plus recourbé que les autres et l'absence de maquillage pour arranger tout ça, elle reste la plus belle fille qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer.
Le narrateur devient niais, c'est signe que son cas est de plus en plus désespéré.
J'ai l'impression que ça fait un peu trop longtemps que je n'avais pas posté la suite de Coquelicot. En même temps j'ai cru ne jamais finir ce chapitre et, malheureusement, cette fiction n'est que deuxième dans ma liste des priorités. Enfin ça c'était avant que je ne réalise qu'on se rapproche dangereusement du 1er août et il me faut donc cinq chapitres d'ici là. Je vais donc concentrer mes efforts sur elle pour les neuf prochains jours.
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