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-Bon les gars c'est la merde, lâche Jason en entrant dans le salon où nous nous prélassons sur les différents fauteuils et le canapé.
-Qu'est-ce qui t'arrive ? demande Lola.
-J'arrive plus à démarrer la voiture.
Un silence concerné s'abat sur l'assistance. Nous étions arrivés hier avec une seule voiture –pour huit passager, c'est tout à fait normal- : le vieux pick-up de Jason que ses parents lui ont offert après l'obtention de son permis. En plus la petite maison où nous squattons actuellement est plutôt loin de tout. Pas de commerces à moins de trois quarts d'heure de marche, ce qui peut se faire mais difficilement s'il y a beaucoup de choses à transporter. Or, pour huit convives dotés d'un grand appétit, il y a forcément beaucoup de choses à transporter. Sans compter que l'on ne peut rester ici indéfiniment. Nous sommes donc clairement dans la merde oui. Personnellement ça ne me change pas beaucoup, la poisse me colle aux basques.
-Personne ne s'y connait en mécanique par hasard ? demande Jason avec une lueur d'espoir dans le regard.
Ses yeux se promènent sur la partie masculine du groupe, composée de cinq membres dont lui. Il semble s'attendre à ce que l'un d'entre nous se lève et clame « bien sûr, j'ai déjà démonté et remonté un pick-up en moins de vingt-quatre heures ! ». Alors que son attention s'attarde un peu plus longtemps sur moi, je m'étonne.
-Attends, tu m'imagines sérieusement, moi, en train de réparer ta caisse ? Si j'y touche elle va sûrement exploser à peine t'auras allumé le contact.
Du coin de l'œil je vois Kirsten esquisser un sourire. Elle était sûrement en train de se faire la même réflexion deux secondes auparavant. N'empêche que j'ai réussi à la faire sourire au moins un tout petit peu et, même si ce n'est pas pour des bonnes raisons, je suis quand même content. Avant de me rappeler que notre problème n'est toujours pas réglé, malheureusement.
-Je crois qu'on a plus qu'à appeler une dépanneuse, dit Isaac alors que toujours personne n'a réagi à la supplique silencieuse de Jason.
Soudain, Kirsten soupire bruyamment et se lève.
-Faut vraiment tout faire soi-même, grommelle-t-elle avant de disparaître dans le couloir menant à la porte d'entrée.
-Elle fait quoi ? demande Jason visiblement choqué par sa réaction.
-T'es con ou quoi, rétorque Lola, elle va essayer de réparer ta voiture.
-Elle ?
-Oui elle.
Lola ne semble pas surprise par ce talent caché, contrairement à tout le monde dans la pièce, moi inclus. Je crois que, jusqu'à maintenant, personne n'imaginait que Kirsten puisse connaître quoique ce soit dans ce domaine et encore moins plonger ses mains dans les entrailles d'un véhicule. Bizarrement je me sens assez con d'avoir inconsciemment exclus la possibilité qu'elle puisse s'intéresser à ce genre de chose. Je crois que ce n'est jamais venu à l'esprit de qui que ce soit dans tout le lycée –à part Lola visiblement- qu'une fille à la manucure parfaite, maquillée avec soin et au style vestimentaire toujours soigné soit capable de faire des trucs... de mec. C'est assez pathétique quand ces mêmes lycéens, moi toujours inclus, clament haut et fort que l'égalité homme-femme est sacrée. Pour ça il va falloir tout reprendre à zéro.
Nous nous empressons donc de la suivre, curieux de savoir comment elle va s'y prendre. Quand nous parvenons sur le perron, Kirsten est assise côté conducteur, la portière ouverte, en train d'essayer d'allumer le pick-up. Celui-ci pétarade à plusieurs reprises mais finit toujours par s'éteindre. De concentration, elle fronce les sourcils.
S'en suivent de longue minute où elle inspecte la voiture sous tous les angles, ouvrant le capot, se glissant sous l'avant du véhicule, trifouillant je ne sais quoi avec un tournevis qu'elle a déniché je ne sais où. Je crois qu'on peut affirmer sans se tromper que je ne sais pas grand-chose à propos d'elle en fin de compte. Mais, après réflexion, je pense que je savais déjà, au fond, que je ne savais rien puisque cette ignorance ne m'étonne pas tant que ça. Je me contente de l'observer, les yeux probablement encore plus emplis d'admiration que d'habitude. Cette fille m'a toujours fasciné, même si elle me déteste depuis le début. Son assurance, son allure, sa classe... tout ce que moi je n'ai pas puisque je fais partie du « ventre mou » : je m'habille comme les autres, je fais comme les autres, je parle comme les autres. Ni populaire, ni marginal, c'est une situation confortable mais, confronté à des gens comme elle, on se sent rapidement nul. De ce point de vue, c'est tout à fait normal que je sois hypnotisé par Kirsten. Je ne suis pas le seul d'ailleurs.
Je dirais que « appréciée » serait un meilleur terme que « populaire » pour elle, tout simplement parce qu'elle n'est pas comme les gens qu'on qualifie ainsi. Ce que je sais, c'est qu'elle est du genre calme, qu'elle arrive à s'entendre avec à peu près tout le monde (le « à peu près » étant moi). Elle est sérieuse dans ses études mais jamais personne ne l'a traité de nerd ou d'intello. C'est comme si, dans l'imaginaire collectif, une belle personne ne peut pas être intelligente et scolaire (et inversement). Tout comme une fille ne peut pas s'intéresser à la mécanique, sauf si elle est garçon manqué à la limite. C'est fou comme la regarder s'acharner à réparer ce pick-up m'inspire dans mes réflexions. Je poursuis donc. Si elle n'a jamais été considérée comme une intello rabat-joie (les deux riment ensemble, c'est bien connu) c'est grâce, ou à cause c'est selon, à son physique, ce qui en dit long sur notre société aujourd'hui. Certes la beauté est subjective alors vous affirmer que c'est la plus belle fille que j'ai jamais rencontré dans ma courte vie serait peut-être une déformation de la réalité, même si c'est comme ça que je la vois. En tout cas, à ma connaissance, personne n'a jamais nié son charme. Kirsten n'est pas parfaite, après tout elle une adolescente comme les autres avec les imperfections qui vont avec (acné bonjour). Sauf qu'elle arrive à les maîtriser, les tourner à son avantage sans les dissimuler complètement, ne me demandez pas comment je n'en sais rien. Enfin je suppose que ce qui attire le plus chez elle, ce qui en fait tout de même une sorte de repère dans l'écosystème de notre petit lycée de banlieue cossue, c'est ses vêtements. Je ne saurais vous décrire son style, je peux juste dire qu'il est différent. Elle ne suit pas spécialement la mode, ou du moins pas la mode des filles de notre âge. Sa mode à elle est plus mature, plus unique et comme taillée pour elle.
-Je crois que c'est bon, lance Kirsten me tirant au passage du flot de pensée dans lequel j'étais en train de me perdre une seconde auparavant. Essaye pour voir.
Jason se glisse au volant et tourne à nouveau la clef. Miracle, la voiture démarre.
-Ben voilà, lâche notre sauveuse, plus de problème.
-Mais comment t'as fait ça ? s'étonne Jason.
Il a sûrement dépassé son quota de surprise pour la journée, le pauvre. Moi j'ai bien compris que je ne sais rien alors j'arrête de m'étonner, ou du moins j'essaye. Pour toute réponse, elle lui fait un clin d'œil et réplique que c'est un secret. Puis elle reporte son attention sur ses mains, enduites de je ne sais quelle substance –de l'huile peut-être. Elle a l'air de se demander comment s'en débarrasser. Lola lui tend un rouleau d'essuie-tout qu'elle est allée chercher dans la cuisine.
-Essaye avec ça, lui conseille-t-elle.
Kirsten s'exécute en plaçant le rouleau sous son bras pour arracher quelques feuilles sans tacher le tout. Elle s'acharne pendant quelques minutes à retirer le plus gros tandis que les autres ont commencé à établir le programme de la journée et de celles qui suivent. Il est surtout question d'approvisionnement, de plage et de balades dans le coin. Tant qu'ils ne prévoient pas une ascension de l'Everest ou la traversée du Pacifique à la nage ça me va.
-On fait quoi du coup ? demanda Kirsten qui n'a rien suivi à la conversation.
Isaac se charge de lui résumer le plan : on commence par aller faire des courses pour subvenir à nos besoins pendant nos quelques jours ici puis on passe l'après-midi à la plage. Demain on ira se balader. Personne ne s'oppose à cet ordre, aussi tout le monde retourne dans la maison pour prendre le nécessaire afin d'aller s'approvisionner. Cela prend environ dix minutes.
Comme je suis prêt avant les autres, je m'installe directement côté passager : les places à l'intérieur sont chères, il faut se battre pour les avoir. Dans tous les cas, trois d'entre nous finiront dehors à l'arrière. Jason est le seul à ne pas avoir à se préoccuper de ça puisque c'est sa voiture et c'est lui seul qui conduit. D'ailleurs, il arrive assez rapidement et se moque de mon empressement.
-Ben alors ? T'en as marre d'être dans la remorque ?
Sachant que j'y ai passé tout le voyage allé, ce qui a pris plusieurs heures, oui je préfère un bon siège. Je ne suis pas le seul d'ailleurs puisque tous ceux qui arrivent après nous s'assoient directement à l'intérieur, ce qui ne plaît pas du tout aux trois derniers qui ronchonnent avant de grimper et de s'installer comme ils le peuvent.
Il fait bon, Jason ouvre donc les fenêtres. L'air s'engouffre dans l'habitacle alors que le pick-up accélère en s'engageant sur la route. Quelqu'un se penche pour allumer la radio et monte le son pour qu'on entende la musique malgré le boucan que fait la brise en traversant de part et d'autre la voiture.
-Quelqu'un d'autre a un talent caché dont il souhaiterait nous faire part ? s'enquiert le conducteur pour faire la conversation.
-Je détruits tout ce que je touche.
Ma réponse cause quelques ricanements à l'arrière. C'est l'effet recherché alors je souris. Autant faire de ma maladresse une source de rire et non d'apitoiement.
-Mais ça fait longtemps que tu n'as rien cassé, fait remarquer Kirsten d'un ton méfiant.
Depuis que nous avons contemplé l'aube tous les deux, la glace semble s'être un peu fissurée. J'ai l'impression qu'elle me déteste moins qu'avant. Mais je sais que je ne dois pas en attendre trop non plus ; elle me parle, c'est déjà un grand pas en avant et ça me réjouit grandement.
Je suis partagé sur mon absence de gaffe ces dernières heures. En un sens je suis soulagé, mon cas n'est peut-être pas si désespéré : en faisant un peu attention tout s'arrange. Mais en même temps j'ai peur que, comme le calme avant la tempête, ça n'annonce une connerie encore plus grosse. Je dois rester vigilant pour cela n'arrive pas.
J'attendais d'avoir fini d'écrire le chapitre 3 pour poster le 2, et normalement ç'aurait dû être fait la semaine dernière (comme je l'avais annoncé en commentaire). Sauf que mardi soir dernier, j'ai été terrassée par une putain de crise d'appendicite pour laquelle j'ai été opérée mercredi après-midi. Donc j'étais dans l'incapacité physique et morale d'écrire quoi que ce soit. Même si ça va beaucoup mieux depuis deux jours, il se trouve que je n'écris toujours pas, principalement parce que les positions habituelles pour écrire me sont impossible pour l'instant.
Bref, je n'ai toujours pas fini le chapitre 3, mais vous avez suffisamment attendu alors je poste celui-là quand même.
J'ai perdu totalement perdu le flux d'écriture dans lequel j'étais depuis le début du mois de Juin donc je ne sais pas du tout quand sortira le prochain.
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