Chapitre 4 - Intrusion

« I danse the rumba, the salsa, the cha-cha. »

Les talons de mes chaussures de danse résonnent sur le parquet.

1, 2, 3 ! 1, 2, 3 !

Talia, mon professeur de danse, marque la mesure de sa voix assurée.

« With ladies and girlies, with mummies and babies »

Les bras forts de Mathias me soutiennent pendant que mes hanches avancent en formant un huit. Non ne faisons qu'un au rythme de la musique, mon partenaire fidèle, le seul ami qui m'est suivi lorsque j'ai quitté Aix il y a plusieurs mois.

La musique s'arrête brusquement.

- Mat tiens moi ton cadre, tes bras tombent. Ali c'est pas mal, mais fluidifie ton dos tu es trop tendue.

Mes mains sur mes hanches, je reprends tant bien que mal mon souffle.

- On pourrait faire une pause ? Demande Mat, tout aussi essoufflé que moi.
- La compétition de New York est dans deux mois, on ne peut pas se permettre de trainer.

Nous échangeons une grimace en souriant, et nous nous remettons en position de départ. Mon bras droit en angle vertical, le gauche en arc de cercle devant moi. La sévérité de Talia est nécessaire, elle canalise l'hyperactive bordélique que je suis. Mat attrape ma main droite et passe son autre main autour de ma taille. Lou Bega reprend son mambo et nous nous remettons à danser.

Je danse avec Mat depuis que nous avons onze ans. Nous nous sommes rencontrés au collège de danse-études d'Aix, il y a 6 ans, et l'alchimie artistique avait alors pris instantanément entre nous. Il me domine d'une tête et ses cheveux bruns accompagnés de prunelles noires lui donne un air dominateur. Une naissance de barbe sur ses joues atteste de la nuit de travail qu'il a encore du passer. Mat se donne à fond dans ses études pour intégrer une école de chorégraphe réputée. Sa nature réconfortante m'apaise lorsque ses larges mains tiennent délicatement les miennes. C'est mon ami de toujours et l'une des rares personnes dont l'amitié m'importe.

Après deux bonnes heures d'entraînement, Talia nous accorde de rentrer chez nous.

- Tu n'es pas venue en cours hier ? Me demande Mat, Je ne t'ai pas croisé.

- Je ne voyais pas M. Touchstone.
- Tu sais je pense que cela te serais bénéfique de t'intéresser à tout tes cours.
- Pour qu'ils m'apprennent des choses que je connais déjà ?

Mat sourit en regardant le trottoir devant lui.

- Tu pourrais faire semblant de t'intéresser dans ce cas. C'est très mauvais pour le moral le décrochement scolaire.

Je sais qu'il veut parler de mon mal du pays, et de ma difficulté à accepter de ne pouvoir rentrer en France. Je ne peux rien lui cacher, il lit en moi comme dans un livre ouvert. Mais je préfère ne pas aborder le sujet, alors je fais mine de ne pas avoir compris.

- Madame Georges me deteste et Monsieur Fiedls voit double alors il ne remarque jamais mon absence.

Nous rions de bon coeur à l'évocation de notre professeur de science.

Nous marchons encore quelques minutes jusqu'à la maison de Mat qu'il partage avec un peintre et un trompettiste. Ce quartier proche de la faculté d'art de Chicago regorge d'artistes incompris à tous les coins de rue, ne demandant que la reconnaissance que leur talent mérite.

- À plus tard, me salue Mat en me faisant une bise sur la joue.
- À plus tard.

Je continue ma route, encore en legging de sport et les cheveux noués en un chignon approximatif. Je frissonne, il fait horriblement froid. Je ne m'habituerais donc jamais au climat glacial de Chicago, est-ce qu'ils ont seulement un semblant d'été ici ? Les mains dans les poches, je presse le pas. Alors que je passe à la hâte devant un manoir à la face sculptée à la grecque, une mélodie s'échappant d'une fenêtre entrouverte me stoppe net. Je n'y aurait surement pas prêté attention si je n'avais pas reconnu les notes de The Dance of the Knights. Attirée par le puissant cor anglais, je m'approche lentement.

Arrivée à hauteur de la porte, je tourne doucement la poignée déverrouillée et pousse la porte du bout des doigts, risquant un coup d'oeil à l'intérieur. Un hall d'entré richement décoré d'antiquités et de tableaux s'ouvre devant moi. La musique s'intensifie à mesure que j'y pénètre, tentant d'imaginer le propriétaire, un vieillard ayant emmagasiné ces objets au fil de sa longue vie probablement.

Sur la droite, un couloir sombre. C'est de la que semble rugir le ballet. Cet homme doit être réellement âgé et sourd pour écouter sa musique à un volume si élevé qu'on l'entend depuis la rue. Sans hésiter, je m'engage dans le couloir. Ma mère se plaignait souvent de mon non respect des propriétés privées. La vérité est que la pudeur n'est pour moi qu'une fausse barrière dont le but est d'éloigner les Hommes plus qu'ils ne le sont déjà. Sur le mur droit, une vitrine expose des vases de tailles différentes ainsi que ds torques romaines. Je parviens au bout du couloir débouchant dans un salon très spacieux. Sur le mur d'en face, une chaîne hi-fi munie de deux énormes enceintes semblent abriter l'orchestre tout entier. Cette pièce est aussi richement décorée que le hall, à la différence que la chaîne et le canapé sont à la pointe de la modernité, tranchant avec les antiquités.

C'est alors que je remarque un homme qui me tourne le dos à l'autre bout de la pièce, et j'étouffe un cri de surprise. Il est debout, accoudé à un buffet, et feuillette un magazine. Les cheveux en bataille et habillé d'un simple tee-shirt, son jean lui retombe sur les hanches. Il est manifestement beaucoup plus jeune que je ne l'avais pensé. Je décide de m'eclipser et de ressortir par où je suis entrée, le morceau touchant à sa fin et ayant repris mes esprits. Seulement lorsque je fais volte face, mon pas fait grincer le parquet. L'homme se retourne aussitôt et mon coeur manque un battement lorsque je reconnaît son regard glaçant. Alexandre Mauvin me fait face.

Il m'aperçoit et ne me laisse pas le temps de réagir. En une fraction de seconde il est devant moi, je ne l'ai même pas vu se déplacer. Il m'attrape par le col et me plaque contre le mur.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Ses yeux sont si noirs que je ne distingue pas ses pupilles. J'aurais pourtant juré qu'ils étaient bleus quand je l'ai rencontré au poste. Ses veines saillent sur ses tempes. Il me serre un peu trop fort et je devrais surement paniquer mais je ne ressens rien, comme si mon cerveau s'était mis en pause. Je me contente de le regarder, de toute façon incapable de parler tant qu'il ne me lâche pas. A ma mine dépitée et sans réponse de ma part, il fini par desserrer son étreinte, sans lâcher le col de ma veste militaire. Attention à toi, j'y tiens à cette veste.

- Par où tu es entrée ? M'aboie-t-il dessus.

Je suis sidérée par cette question, dont la réponse semble tellement évidente.

- Par la porte d'entrée. Il faudrait penser à la verrouiller si vous ne voulez pas être dérangé.

Ma réponse lui provoque un rire sarcastique.

- Tu as sacrément gonflée. Tu t'introduis chez moi et en plus c'est de ma faute. Tu mériterais que j'appelle la police ! Tu n'as pas envie de retrouver ton grand copain le lieutenant Rivers ?

Il accompagne sa proposition d'un sourire en coin.

- Ce n'est pas nécessaire, je m'en vais.

Je me dégage de son emprise et étonnamment il ne me retiens pas. Je le contourne pour m'en retourner d'où je viens, vers le couloir.

- Comment tu as fais pour arriver jusqu'ici sans que je ne t'entende ? Lance Alexandre dans mon dos.

Je me retourne vers lui.

- Ce n'est pas très compliqué à comprendre, vous aviez mis la Danse des chevaliers à fond, vous n'auriez pas entendu un éléphant. On entendait le ballet depuis la rue, c'est pour ça que e suis entrée. C'est mon mouvement préféré.

À nouveau il me gratifie de son rire sarcastique qui a le don de me faire sortir de mes gonds.

- Ne me fait pas croire que tu écoute Prokofiev, les adolescents d'aujourd'hui n'écoute que trois refrains en boucle chantés par des bimbos botoxées. Et c'est même pas elles qui les écrivent en plus.

Je perds alors mon sang froid, ce ton méprisant qu'il emploie me contraint à lui répondre.

- Vous ne valez pas mieux que les adolescents vous savez. Peut-être que vous êtes sensibles à l'art mais vous n'y connaissez visiblement pas grand chose ! Tous les meubles de ce salon sont dépareillés et contradictoires, cette chaise italienne date de la renaissance tandis que ce buffet est un Napoléon Premier. Et vous exposez des vases africains dans une vitrine avec des torques romaines ! Vous feriez mieux de vous cultiver un peu avant de blâmer les autres.

Ma tirade produit son effet, Alexandre me dévisage en gardant le silence. Je tourne immédiatement les talons et remonte le couloir jusqu'au hall sans demander mon reste. La prochaine fois il réfléchira avant de prendre ses cadets de haut. J'attrape la porte d'entrée restée ouverte et la claque théâtralement derrière moi en sortant.

Hello ! J'ai voulu faire un chapitre un peu artistique qui me ressemble aujourd'hui ! J'espère qu'il vous a plu 😊
Love U

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