Chapitre 12 - L'Enlèvement
- Tu es sûre de ne pas vouloir que je te ramène ?
Conor est à la porte du commissariat. Eggle à nouveau dans mon sac à dos, je déverrouille l'antivol de ma bicyclette.
- Oui oui, il faut que je promène mon chien.
- D'accord fais attention à toi.
Je lui lance le même salut militaire que lorsqu'il m'a déposé au lycée la semaine dernière. Il lâche alors la porte du commissariat et je ne le vois plus lorsque la vitre teintée se referme. Enfourchant ma bicyclette, je pédale jusqu'au parc voisin. Avec sa large étendue de pelouse et de chênes centenaires, il est très apprécié des habitants de Chicago et donc très fréquentée lorsque les journées sont douces. Heureusement, il suffit de s'enfoncer un peu dans la forêt pour bénéficier d'un peu de tranquillité. J'entre enfin dans la petite clairière où j'ai l'habitude de m'arrêter. Il y a un banc en fer blanc sur la gauche. Je l'avais trouvé dans une déchèterie, en parfait état, et l'avais alors trainé jusqu'ici.
Je libère Eggle qui devient fou. Il court droit devant lui, disparaissant dans un buisson, réapparaissant dans un autre. Je m'assois sur le banc et regarde ma montre. Il est onze heure et quart, j'ai encore un peu de temps devant moi avant de rentrer manger. Je sors mon livre de mon sac et commence à lire. Pierre et Jean de Maupassant. J'ai beau habiter aux états unis depuis trois ans maintenant, je n'ai pas pour autant délaissé la littérature française. Je surveille Eggle en écoutant les bruits de branches qui craquent et de buissons qui frémissent. Plongée dans mon roman, je ne fais pas attention aux ombres des arbres qui s'allongent, suivant l'arc de cercle que dessine le soleil dans le ciel.
Subitement, je remarque le silence qui s'est installé depuis quelques minutes dans la clairière. Je cherche Eggle des yeux et, ne l'apercevant pas, je pose mon livre sur le banc en me levant.
- Eggle ? Viens là mon chien !
Pas de réponse. Je commence à penser que mon chien s'est beaucoup trop éloigné. Attrapant mon sac à dos, je m'enfonce un peu plus profondément dans la forêt. Je siffle et appelle Eggle à plusieurs reprises mais je ne le vois nulle part. L'inquiétude me gagne peu à peu, cela ne lui ressemble pas d'ignorer mes appels. Je m'arrête quelques secondes, essayant de repérer toute trace de son passage, lorsque j'entends un léger couinement. En me tournant vers l'origine du bruit, je remarque le pelage blanc de mon husky qui dépasse d'un tronc d'arbre. En m'approchant je peux voir qu'il est attaché au tronc par une corde et qu'on lui a maintenu la gueule fermée avec un bout de tissu. Alors que je m'accroupis pour le libérer, je sens un choc violent derrière mon crâne. Sonnée, je ne parviens pas à me retourner pour distinguer mon agresseur. La dernière chose que je sens est le contact de l'herbe fraîche contre ma joue lorsque je tombe. Puis le noir complet.
Lorsque je rouvre les yeux, je suis allongée sur ce qui semble être un matelas. Les ressorts en sortent par endroits et des tâches brunes suspectes le parsèment. Je tente de me redresser en poussant sur mes bras, mais je dois vite m'appuyer contre un mur pour ne pas chanceler. Des points noirs dansent devant mes yeux. Lorsque ma tête s'est un peu calmée, j'essaie de comprendre ce que je fais ici.
« J'étais dans le parc. J'ai été assommée alors que je cherchais Eggle. »
Eggle ! Je cherche nerveusement des yeux l'épaisse fourrure blanche de mon chien, en vain. Je suis dans une petite pièce sombre, contenant pour seul meuble le matelas sur lequel je suis assise. Il n'y a pas de fenêtre, et une grosse porte en fer me fait face. Titubant jusqu'à la porte, je frappe trois petits coups faiblards. Après quelque secondes, personne ne se manifeste. Reprenant de l'aplomb, je frappe encore, plus fort. Toujours pas de réponse.
- Eho ! Y'a quelqu'un ? Est-ce que vous sauriez où est mon chien ?
L'éventuelle présence humaine derrière cette porte garde une fois de plus le silence. Je suis sur le point de frapper une nouvelle fois lorsque je sens quelque chose de chaud couler sur ma nuque. J'applique ma main sur mon cou et sens un liquide la recouvrir. Je comprend qu'il s'agit de sang lorsque je vois la couleur brunâtre de ce liquide sur ma main. Paniquée, je me jette de toutes les forces qu'il me reste sur la porte.
- S'il vous plaît ! J'ai besoin d'aide ! Je suis blessée !
Je cris de désespoir, le silence pesant me noue la gorge d'angoisse. À bout de forces, je me laisse glisser contre la porte et m'assois à terre.
« Qu'est-ce que je fais ici ? »
Je ne comprend pas ce qu'il m'arrive. Mon attention est piquée lorsque je crois percevoir de lointains bruits de pas. Je pense d'abord être sujette à des hallucinations, mais l'écho se rapproche et je l'entends alors clairement. Incapable de me relever, je frappe à bout de bras sur le bas de la porte.
- S'il vous plait...
La porte s'ouvre enfin après moults appels au secours. La tête baissée, j'aperçois des chaussures italiennes d'homme impeccablement cirées. Je relève lentement la tête pour examiner le visage de mon geolier, mais mes yeux sont subitement arrêtés par un détail. La chevalière à la couronne. Mon sang se glace est je me fige. J'aurais finalement préféré que cette porte ne s'ouvre jamais.
- Rebonjour.
Je frissonne lorsque j'entends une voix rauque et assurée.
- Je suis désolé que numéro 5 ait dû te frapper, mais après ce que tu as fait à numéro 8 cela me semblait plus sûr.
« Numéro 5 ? Numéro 8 ? »
Pendant que je réfléchis au sens de ces paroles, un détail me reviens à l'esprit. La chevalière que j'ai donné à Conor, elle portait le numéro 8. Tout devient logique. Cette bague appartient à Diez, alors cet homme fait référence à la nuit où Cole l'a assommé. Sauf qu'il pense que c'est moi qui l'ai mis dans cet état.
Je relève finalement la tête, et j'ai la confirmation qu'il s'agit bien de l'homme du commissariat. Il porte le même costume que ce matin mais il a revêtu un long manteau noir et un chapeau. Je me lève tant bien que mal pour pouvoir lui faire face, bien que dans l'état où je suis je ne dois pas impressionner beaucoup. Il me transperce de son regard glacial, mais je ne me laisse pas décontenancer.
- Si vous êtes en colère contre moi parce que Diez a été amoché, sachez qu'il nous a attaqué en premier.
Ma voix est éraillée, comme le matin au réveil. Je me racle la gorge.
- Je ne suis pas en colère contre toi, reprends l'homme, mais contre numéro 8 pour s'être laissé maîtrisé par une gamine. Non si tu es là, c'est parce que tu détiens des informations qui m'intéressent.
« Des informations ? »
S'il parle de l'enquête autour de Diez, je n'ai pas grand chose à lui apprendre.
- Qu'est-ce que vous voulez ? Pourquoi moi ?
- Ça fait plusieurs fois que je te vois entrer dans le commissariat et ressortir accompagné de notre très cher lieutenant Kit Conor. Tu m'as tout l'air d'être une informatrice. De toute façon tu ne peut visiblement pas être autre chose, à moins que l'âge légal pour entrer au commissariat de police ai été abaissé à 12 ans. C'est simple, je veux que tu me dise tout ce que tu sais sur l'enquête massive menée par le commissaire et ses sous-fifres.
- Je n'ai rien à vous apprendre qu'un simple visiteur ne peut découvrir.
- Justement, je ne suis pas n'importe quel visiteur. En ce qui concerne les informations que tu détiens, c'est à moi de juger si elles m'intéressent ou non.
Décidément, je ne vois pas en quoi une affaire de gang l'intéresse autant, lui qui semble si sérieux et propre sur lui dans son costume. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas l'intention de lui révéler ne serait-ce qu'un seul nom de suspect.
- Qu'est-ce que vous avez fait de mon chien ? Je demande pour gagner du temps.
L'homme se retourne alors vers un autre homme près de la porte que je n'avais pas remarqué. Sûrement le garde chargé de surveiller ma prison. Après un signe de tête de son supérieur, le garde s'éloigne. Il revient quelques minutes plus tard avec une cage dans laquelle se trouve mon husky, la mâchoire toujours entravée. Il couine légèrement en me voyant.
- Alors ? Me presse l'homme au costume.
- Je n'ai pas l'intention de vous révéler quoi que ce soit concernant cette enquête. Laissez nous repartir et je n'avertirais pas la police concernant votre manie à kidnapper les jeunes filles.
Il me fixe d'un regard ne laissant paraître aucun sentiment et ne semble d'humeur à rire.
- Et moi qui te pensait intelligente. Je ne voulais pas en arriver là mais tu m'y oblige.
Il m'attrape subitement le bras sans me laisser le temps de protester et me remets sur pieds d'une main. Il me pousse hors de ma prison et nous nous engageons dans un couloir froid et humide. J'entends Eggle gémir pendant que je m'enfonce un peu plus dans les ténèbres.
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