Chapitre 1 - Le Poste
« Grand-mère aigrie. »
Je croise les bras sur ma poitrine et m'enfonce dans le dossier de ma chaise à roulettes. Je ne sais pas si c'est à elle que j'en veux le plus, ou à moi pour ne pas avoir vu venir le flic baraqué. Je regarde ma montre, il est presque neuf heures. Cette petite visite au poste de police aura au moins intérêt à me faire manquer mon premier cours de la matinée.
J'observe le hall dans lequel je me trouve. Il y a plusieurs bureaux de bois supportent de lourds ordinateurs, des antiquités. À droite, dans une pièce dont la porte est restée ouverte, une jeune femme essaie de contenir d'abondantes boucles brunes en une queue de cheval. Elle a des cernes et avale son troisième café depuis que je suis là. Elle est jolie, mais chaque nuit de garde et toutes les pourritures qu'elle a dû croisé ont laissé des marques sur son visage encore jeune. Elle ne doit pas être beaucoup plus âgée que moi, peut-être vingt-deux ou vingt-trois ans.
Je me mets à tourner sur ma chaise, je m'ennuie. Ça fait plus d'une demi heure que je suis là, seule. Soudain, une main attrape le dossier de ma chaise pour stopper son mouvement et me retourner. Le flic baraqué me regarde de ses yeux noirs qui débordent de confiance en lui - un peu trop. Ses muscles sont serrés dans une chemise sûrement choisie deux tailles en dessous de la sienne. Sa musculature et sa taille bien plus imposante que la mienne m'ont inspiré la coopération lorsqu'il m'a arrêtée, au lieu de m'enfuir en courant. Je n'avais aucune envie de me faire plaquer par cette montagne. Ses cheveux sont coupés ras, façon militaire. Il se penche vers moi, et je peux alors lire le nom sur badge : Lieutenant Rivers. Il pue l'après rasage.
- J'espère que je ne t'ai pas trop fait
attendre mademoiselle je-suis-plus-maligne-que-tout-le-monde. J'aurais pris beaucoup de plaisir à t'interroger, mais il se trouve que j'ai une affaire bien plus intéressante à traiter pour le moment. Je vais donc te laisser aux soins du lieutenant Conor.
Il me désigne par dessus mon épaule l'homme derrière lui que je n'avais pas encore remarqué. Il est châtain, avec une mâchoire carrée et un nez un peu fort. Il semble moins hostile que Rivers, mais visiblement peu excité à l'idée de m'interroger.
- Essaie de pas le mordre.
Rivers accompagne sa remarque d'un petit rire sarcastique, auquel je réponds par un regard noir. Il se croit drôle en plus. Si la Mama était là, elle lui mettrait un coup de rouleau sur le nez. Cette pensée m'arrache un pouffement que j'essaie tant bien que mal de contrôler. Pas assez bien apparement car il n'échappe pas à Rivers.
- Tu crois que tu es là pour te marrer ? Si j'avais pas mieux à faire, je t'apprendrais le respect.
Baraqué ne rigole plus du tout. Il s'agite et rougis à vue d'oeil, pensant certainement m'impressionner. Connor se manifeste enfin et pose une main sur l'épaule de son collègue.
- Calme toi Rivers. Tu n'as pas un braquage qui t'attends ?
Ce dernier se redresse sans me quitter des yeux, se débarrassant de la main par un haussement d'épaule avant de se diriger vers le bureau de la jeune policière. Ouvrant un tiroir, il y prend son arme, un Glock 17, et son insigne.
- On a une mission, chef ?
La policière qui commençait lentement à s'avachir sur son bureau, s'était vivement redressée à l'arrivée de son supérieur.
- Toi tu restes ici et tu m'épluches le registre de la banque.
Rivers prend alors l'énorme pile de dossiers sur un bureau et le pose sur celui de la jeune femme. La pile est si haute qu'elle la dissimule entièrement lorsqu'elle est assise.
- Mais j'ai passé la nuit sur mon rapport de la fusillade d'Ontario street ! J'ai vraiment besoin de prendre l'air.
La policière s'était levée pour faire face à Rivers
- T'es nouvelle dans le service Coline, t'es pas en position d'exiger des choses. Alors tu pose tes fesses sur ta chaise et tu te relève que lorsque tu as trouvé quelque chose d'anormal.
Coline croise les bras et toise son supérieur.
- Ce qui est anormal, c'est la façon doit vous traitez tous ceux qui ont le malheur de croiser votre chemin.
Elle a du cran, je l'aime bien. Rivers fait mine de n'avoir rien entendu et claque la porte du bureau derrière lui en sortant. Il traverse le hall en hélant deux officiers qui attrapent leurs casquettes en trébuchant pour le suivre à l'extérieur. Conor, qui avait suivi Rivers des yeux, se retourne maintenant vers moi. Il ne me regarde pas comme ma mère avant de me passer un savon. Il a plutôt l'air de se demander ce qu'une jeune fille de dix-huit ans a bien pu faire pour se retrouver au poste un jeudi matin à neuf heures. Plutôt neuf heures vingt-cinq maintenant.
"Garde moi encore une petite demie heure Conor, c'est le moins que tu puisse faire pour pardonner ton collègue."
Il se détourne finalement pour contourner son bureau et s'asseoir en face de moi. Il ouvre un dossier posé sur son bureau et commence à le feuilleter. Je me redresse, pose mes coudes sur mes cuisses et mon menton sur mes poings.
- La policière que votre coéquipier a enfermé dans ce bureau, comment s'appelle-t-elle ? Je lui demande.
- Ce n'est pas mon coéquipier.
Il n'a pas relevé la tête.
- Comment s'appelle-t-elle ? J'insiste.
Conor soupire et détache les yeux du dossier pour me regarder.
- C'est l'officier Coline Mint.
- Elle à l'air très jeune. Quelle âge a-t-elle ?
- C'est moi qui pose les questions ici et c'est ton interrogatoire. Reste concentrée.
Il replonge aussitôt dans la lecture de son dossier. Je me renfonce dans mon siège avec une petite moue. Les policiers de ce poste ne sont vraiment pas drôles. L'ennui me gagne à nouveau pendant que j'attends la fin de la lecture du lieutenant. J'observe ce modèle de droiture assis en face de moi. Il est le parfait représentant du respect des règles et de la maîtrise de soi, à croire qu'il est né pour faire ce métier.
- Qu'est-ce que vous lisez ?
- Les notes du lieutenant Rivers à ton sujet. Tu t'appelle Alice c'est ça ?
- C'est exact.
Il marque un temps d'arrêt.
- Durero ? Comme le docteur Arthur Durero ?
- En effet.
La réputation de mon père m'a apparement suivie de l'autre côté de l'océan.
- Je pensais bien que tu étais française.
- Mon accent est si mauvais ?
Conor esquisse un début de sourire, c'est la première fois qu'il se déride depuis l'entrevue houleuse avec le lieutenant Rivers.
- Qu'est ce que tu as fait pour te faire arrêter et emmener au poste ?
- Ça doit être écrit dans votre dossier non ?
Ma pique fait mouche, il me dévisage, intrigué. J'imagine qu'il se demande pourquoi je ne lui apprends pas directement la raison de ma présence ici. La vérité est que je suis encore trop remontée et que je risque d'exploser si je lui raconte toute l'histoire.
Il reprend donc sa lecture. Son regard s'arrête sur une page en particulier, il doit avoir trouvé ce qu'il cherche. C'est alors qu'un rire franc cette fois-ci jaillit de sa gorge. Il ne s'attendait manifestement pas à ça, ça me détend un peu de l'entendre rire. C'est vrai que ce motif d'arrestation ne doit pas être courant.
- Je te remercie, tu as presque réussi à me faire oublier l'affaire qui vient de me filer sous le nez.
Il doit faire allusion au braquage dont doit s'occuper Rivers.
C'est alors que la porte du hall s'ouvre brusquement. Un homme d'environ vingt-cinq ans apparait, poussé par un officier de police. Il est menotté, un large bleu recouvre sa pommette et sa lèvre supérieure est fendue. Un dragon dépasse de la manche de son tee-shirt blanc, contrastant avec sa peau matte. L'officier lui fait traverser le hall et asseoir sur un banc posé contre le bureau de Coline.
Un autre homme qui doit avoir le même âge est entré à la suite de l'officier. J'ai la sensation que toutes mes fonctions vitales se stoppent quand mes yeux se posent sur lui. Mon poul le long de ma nuque, le sang dans mes veines. Non pas que je le trouve admirablement beau ou sexy ou n'importe quoi d'autre. J'ai une drôle de sensation, toute sa posture laisse transparaître une tension intérieure. Il semble prêt à exploser à tout instant, mais il est incroyablement calme. Ses sourcils sont comme indéfiniment froncés et ses poings serrés.
Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, mais quelque chose me mets mal à l'aise chez cet homme.
Voilà pour le premier chapitre ! N'hésitez pas à me donner votre avis, ainsi que me signaler les fautes que vous pourrez trouver !
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