Sous un ciel couleur ambre

Aoïse marchait dans la pénombre, le crissement des feuilles mortes sous ses pas couvrant à peine le bruit de son souffle court. La lettre qu'elle avait trouvée ce matin-là, abandonnée sur le banc en pierre, ne la quittait pas. Chaque mot semblait imprégné de l'odeur de Gabriel, un mélange de tabac blond et de cèdre qui lui faisait encore tourner la tête. 

Le mot était simple, comme lui.

Le mot était direct, comme lui.

Elle s'arrêta sous l'arche de lierre, là où ils s'étaient embrassés pour la dernière fois. Elle ne pleurait pas. Ses larmes s'étaient taries depuis des semaines, peut-être des mois. À la place, une étrange torpeur s'installait en elle, comme si le vide qu'il avait laissé avait fini par devenir un compagnon silencieux.

— Tu sais, je ne voulais pas partir, avait-il dit, ce soir-là.

Elle se souvenait de sa voix, brisée, presque méconnaissable. C'était la première fois qu'il avait baissé les armes devant elle. Gabriel, avec sa confiance désarmante et son rire facile, semblait soudain un homme fragile. C'était la première fois qu'elle le voyait ainsi, qu'elle voyait l'humain vulnérable en lui.

— Alors pourquoi l'as-tu fait ? avait-elle murmuré, sans le regarder, fixant les éclats de lune qui dansaient sur la fontaine.

Il n'avait pas répondu.

Cette nuit-là, elle était restée seule sous l'arche, les bras croisés et le corps crispé pour s'empêcher de trembler de froid.

Aoïse s'accroupit près de la fontaine, ses doigts traçant des cercles dans l'eau glacée. Elle revoyait son visage, illuminé par la lueur tremblante des lampions qu'ils avaient accrochés un soir d'été. C'était la fête du village, et ils s'étaient enfuis de la foule pour se retrouver ici, dans leur jardin secret.

— Tu es belle, Aoïse, lui avait-il murmuré ce soir-là, en glissant une pâquerette dans les cheveux.

Elle avait ri, nerveuse, refusant de croire à la sincérité de ses mots. Pourtant, à cet instant précis, elle s'était sentie infiniment vivante, comme si le monde entier n'était qu'un décor pour leur histoire, leur terrain de jeu.

Elle serra les poings. Revenir en arrière ne changeait rien. La fin était écrite, inévitable, comme un livre dont on a déjà lu la dernière page. Mais en remontant chaque instant, elle comprenait une vérité qui lui échappait jusque-là : ils avaient toujours été sur le fil du rasoir, leurs vies s'entremêlant et leurs corps s'entremêlaient déjà à  l'époque avec une intensité qui ne pouvait laisser qu'une implosion comme grand final.

Aoïse se redressa, ses jambes tremblantes sous le poids des souvenirs, qui pesait lourd sur ses frêles épaules. Le jardin était vide, comme toujours, mais elle sentait presque sa présence. Gabriel avait beau être parti, une part de lui resterait ici, avec elle, pour toujours. Son empreinte sur le cœur de la jeune femme avait été trop colorée, ça avait déteint sur le reste de son être.

Ce n'était pas encore le début de leur histoire. Mais c'était un peu plus près de ce qu'ils avaient été.

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