Quand la nuit tombera


Le vent s'engouffrait dans les rideaux, soulevant les voiles blancs qui flottaient comme des ombres. La lumière de la lampe vacillait, jetant des reflets dorés sur le parquet. Gabriel était assis sur le canapé, penché en avant, les coudes sur les genoux, la tête baissée. Aoïse, debout près de la fenêtre, le regardait sans un mot.

Ils venaient de se disputer. Une fois de plus.

— Alors c'est toujours comme ça ? Tu ne dis rien, tu te fermes, et je dois deviner ce qui se passe dans ta tête ?

Sa voix avait claqué comme un fouet, emplie d'un mélange de colère et de lassitude. Gabriel avait relevé les yeux vers elle, son regard perçant cherchant une faille dans son armure.

— Tu crois que c'est facile, Aoïse ? Tu crois que je ne vois pas que tu t'éloignes ? Que tout ça...

Il s'était arrêté, sa voix se brisant avant de pouvoir terminer sa phrase.

Aoïse avait croisé les bras, essayant de masquer le tremblement de ses mains. Elle savait qu'il avait raison, mais l'admettre aurait signifié s'écrouler. Alors, elle avait pris refuge dans le silence, comme toujours.

Ce soir-là, ils avaient dormi dos à dos, chacun prisonnier de ses pensées. Pourtant, malgré la distance qui s'était creusée entre eux, leurs corps s'étaient trouvés dans un demi-sommeil, leurs mains s'effleurant dans un geste instinctif. Une fragile tentative de réparer ce qui s'effritait lentement, de préserver ce qu'ils avaient construit.

Les fissures avaient commencé bien avant cette nuit. Elle pouvait les retracer à de petites choses, presque insignifiantes. Un rendez-vous manqué, une promesse oubliée, un regard échappé vers un ailleurs. Mais surtout, cette peur constante que leur amour, si intense au départ, ne suffise plus à combler le vide qui grandissait entre eux, affamé et vorace.

Il y avait eu des moments de grâce, cependant. Elle se souvenait d'un après-midi pluvieux, où ils s'étaient réfugiés sous un porche en riant, trempés jusqu'aux os. Gabriel avait enlevé sa veste pour la poser sur ses épaules, même si lui-même grelottait, presque plus qu'Aloïse.

— Je pourrais passer toute ma vie à te protéger, lui avait-il dit. 

À cet instant, elle l'avait cru.

Mais la réalité était plus dure. L'amour ne pouvait pas tout protéger. Il ne pouvait pas toujours combler les absences, apaiser les doutes ou effacer les peurs.

Ce soir, dans ce salon empli de tension déchargé, Aoïse avait compris une vérité amère : leur histoire n'était pas en train de s'effondrer d'un coup. Elle se fissurait lentement, silencieusement, comme une porcelaine qu'on continue d'utiliser malgré les craquelures.

En remontant le fil, elle savait qu'elle découvrirait où tout avait basculé. Mais ce chapitre-là, celui des petites cassures invisibles, restait gravé comme un rappel cruel : parfois, l'amour se perd avant qu'on ne s'en aperçoive.

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