Quand la nuit tombera

Il pleuvait ce jour-là. Pas une pluie torrentielle, mais cette bruine fine et persistante qui s'insinue dans les vêtements, comme pour rappeler qu'on ne peut échapper à ce qui nous traverse. Celle qui fouette le visage, qui fait couler le maquillage et les masques.

Aoïse était restée sous le porche de leur appartement, le regard fixé sur la rue déserte. Gabriel partait. Ce n'était pas une dispute, ni une explosion de colère. C'était pire. Un silence glacial, alourdi par des vérités trop dures à prononcer. Un silence qui signifiait plus que les pires insultes.

Il avait fait ses valises en quelques gestes précis, presque mécaniques, comme préparés, orchestrés. Chaque fermeture éclair résonnait comme une porte vers son cœur qui se refermait. Elle n'avait pas essayé de le retenir. Pourquoi ? Peut-être parce qu'elle savait que cela aurait été vain. Peut-être parce qu'elle était épuisée de se battre contre une distance qui n'avait jamais cessé de croître entre eux.

Quand il avait passé le seuil, son parapluie à la main, il s'était arrêté. Juste une seconde. Il s'était retourné, ses yeux verts plongés dans les siens, cherchant une trace d'espoir, une invitation, une dernière raison de rester.

— Je t'aime, Aoïse, avait-il murmuré, sa voix affaiblie par le nœud qui serrait sa gorge.

Elle n'avait pas répondu. Les mots s'étaient étranglés dans sa gorge, prisonniers de cette peur qui la rongeait depuis des semaines. La peur que l'amour, aussi fort soit-il, ne suffise pas. La peur que ce soit une prophétie préalablement écrite. La peur que tous les gestes pour retenir leur amour qui, comme le temps, s'enfuyait à grands pas, ne soit vains.

Il avait baissé les yeux et s'était éloigné, franchissant les derniers pas qui le séparait de l'inévitable. La porte s'était refermée derrière lui, laissant Aoïse seule avec son souffle court et le bruit de la pluie.

C'était ici que tout avait véritablement commencé à s'effriter, bien avant les promesses non tenues, les silences prolongés, et cette lettre qui finirait par sceller leur histoire.

Elle se souvenait de cette soirée précédente où ils avaient dansé dans la cuisine, pieds nus sur le carrelage froid. La radio diffusait une vieille chanson, et Gabriel, maladroit mais insistant, avait tenté de la faire virevolter. Ils avaient ri comme des enfants, et elle s'était accrochée à lui, son souffle chatouillant son cou, son cœur battant contre le sien.

— Ne me lâche jamais, lui avait-elle chuchoté.

Mais ils s'étaient déjà lâchés, petit à petit, sans même s'en rendre compte.

Aoïse passa une main dans ses cheveux mouillés, les yeux levés vers le ciel gris. Elle se demandait si Gabriel se souvenait encore de ces instants, ou si, comme elle, il tentait de les enfouir sous des couches de souvenirs moins douloureux.

Elle quitta le porche pour rentrer. Les murs vides de l'appartement résonnaient encore de leurs éclats de voix, de leurs rires, de leurs gémissements, de leurs pleurs, de tout ce qu'ils avaient été. Et tandis qu'elle refermait doucement la porte derrière elle, elle savait qu'elle continuerait à remonter le fil, jusqu'à retrouver le premier nœud de leur histoire. Là où tout avait réellement commencé.

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