Chapitre 15
Je me souviens. À l'époque, j'aimais mon père. Comme une petite fille normale. Dans une famille aimante. J'avais une grande sœur et un grand frère que j'aimais et qui m'aimaient en retour.
Quand tout a commencé, j'avais 4 ans. Rika avait 6 ans. Et Kakeru en avait 9. Kakeru et Rika ressemblaient beaucoup à notre mère. Ils avaient hérité de ses cheveux gris et de ses yeux bleus.
Moi, je ressemblais à notre père. Des cheveux noirs, tirant sur le violet. Mes yeux avaient la couleur des sapins ou de l'émeraude plus clair en fonction de la luminosité.
Ma mère et mon père nous aimaient vraiment beaucoup. Notre père était très présent, il s'occupait toujours de nous et veillait à ce qu'on ne s'ennuyait pas. Mais déjà, à cette époque, plusieurs indices auraient dû me mettre en garde. Mais je n'étais qu'une petite fille.
Un jour, je regardais la télévision avec Rika. Les informations montraient comment All Might avait sauvé des gens d'une attaque de vilain dans une grande entreprise. Pour une enfant comme moi, il était un modèle à suivre alors je regardais l'écran, captivée.
« Tu veux devenir héroïne Hanako ? »
J'avais regardé ma grande sœur en hochant la tête vigoureusement. Son visage était désormais éclairé par un grand sourire et elle me prit les mains.
« Dans ce cas, on formera un duo d'héroïne ! On sera imbattables !
- C'est vrai ? On deviendra comme All Might et tous les autres ?
- Oui ! Et puis pour nos noms d'héroïne... Hum... Moi je m'appellerai Aka ! Rouge comme le sang, mais un sang qui sauvera des vies ! Et toi... Mhh... Ah j'ai lu un livre sur la mythologie avec maman. Il y avait un dieu du vent. C'était Borée ! »
J'avais fait la mou.
« J'aime pas...
- Ah bon ? Mhh... Et pourquoi pas Boreas ? C'est plus mignon non ? »
Je souris. Oui, ça me plaisait beaucoup mieux.
À cet instant, je nous imaginais déjà, travaillant ensemble et protégeant la population du Japon. Mon rêve d'enfant venait de passer un cap. Aka et Boreas, les deux héroïnes soeurs. D'une simple idée, Rika avait posé les mots me permettant de me projeter dans l'avenir.
L'écran de la télévision s'arrêta. Notre père l'avait éteint.
« Qu'est-ce que vous faites les filles ?
- On veut devenir héroïne ! »
On avait répondu en coeur, avant d'éclater de rire. Mais cela ne fit pas rire notre père. Loin de là. Il lâcha la télécommande avant de foncer sur nous.
« Pourquoi ? Pourquoi voulez-vous devenir des héroïnes alors que papa est là ? »
On n'avait rien dit, ne sachant pas comment réagir face à ce comportement. Le regard dans ses yeux m'était inconnu. Je ne comprenais pas. Il nous enlaça et nous serra contre lui.
« Tant que je suis là, vous ne risquez rien. Papa est là pour vous protéger. Rika, pour utiliser ton alter, tu dois te blesser. Ce n'est pas bien, tu ne dois pas l'utiliser. Et toi, ma petite Hanako... Tu es si jeune, ce n'est pas à toi de protéger les gens. Vous ne devez pas faire ça. »
Ne comprenant pas, je m'étais échappée de ses bras et avais protesté.
« Mais papa ! Quand j'aurais ton âge, je serais plus une enfant ! Je pourrais protéger les plus jeunes alors !
- Non ! »
Pour la première fois, il avait levé sa main sur moi. J'étais tombée au sol, sous la surprise et la douleur qui traversait ma joue. Rika s'était jetée sur son bras en hurlant. Il l'avait repoussé violemment.
Il y a eu un instant de flottement, où aucun de nous trois ne bougeait. En un instant, le regard de notre père avait changé. Il redevient plus doux, protecteur comme avant. Il nous enlaça de nouveau.
« Vous voyez ? Je suis le seul à pouvoir vous protéger. Les héros ne viendront pas. Mais papa sera toujours là. »
Après cet incident, notre relation avec notre père avait changé. Nous étions des enfants, nous parlions de nos rêves, de nos alters... Comment des enfants ne pouvaient pas être en admiration devant les héros dans une société où ils étaient glorifiés ?
Dès que nous parlions de héros, notre père nous frappait. Bien sûr, ma mère avait fini par le remarquer. Elle avait essayé de l'arrêter. Mais sa personnalité brutale et aimante la déstabilisait tout autant que nous. Elle ne l'avait jamais vu ainsi.
Puis, j'ai commencé à remarquer d'autres choses étranges. Une fois, un garçon m'avait embêté dans la cour de récréation. J'étais revenue en pleurant à la maison. Le lendemain, le garçon avait disparu. Je n'ai su que plus tard que mon père l'avait tué.
Les années sont passées. Kakeru poursuivait ses études avec brio, n'attachant pas grande importance au comportement de notre père. Rika et moi ne parlions plus de héros, si ce n'est en cachette. Ma mère fermait les yeux sur beaucoup de choses. Nous étions tous dans une spirale de méfiance, de peur, d'isolement instaurée par notre père.
À cette époque-là, nous avions déménagé. J'avais rencontré celui qui allait devenir mon meilleur ami : Takeo. Mon père avait du mal à accepter sa présence mais il le laissait tranquille. Il ne me faisait rien de mal après tout.
L'événement qui fit tout basculer se déroula en hiver, le mois de mes 9 ans. Noël approchait. Alors que nous étions tous à table, nous parlions de ce que nous désirions comme cadeau.
« Moi, je voudrais simplement quelques livres, déclara Kakeru. J'ai besoin de me cultiver un peu si je veux intégrer un bon lycée.
- Tout ce que tu veux mon chéri. Et vous les filles ? »
On se lança un regard avant de sourire. Et Rika se lança.
« Avec Hanako... On se demandait si vous pouviez nous offrir les places d'un spectacle un peu particulier.
- Et quel est ce spectacle ? demanda calmement notre père. »
Je me souviens que je m'étais raidi à sa demande. Une sueur froide avait coulé le long de mon cou. Je savais que ça n'allait pas lui plaire. J'avais peur des conséquences. Puis, je sentis la main de Rika enlacer la mienne. Je tournai la tête vers elle. Une lueur de peur était incrustée au fond de ses pupilles. Mais elle souriait.
« C'est un spectacle présentant tout ce qu'il faut savoir pour devenir héros. Tu sais, les compétences, les écoles... Il y aura même des démonstrations ! Ce sera... Ah ! »
Rika tomba au sol alors que notre père lui avait balancé son bol au visage. Furieux, il se leva et marcha en direction de Rika. Je m'étais jetée sur elle, essayant de la faire relever. Mais elle saignait beaucoup de la tête et était sous le choc.
Notre mère s'interposa entre nous.
« Chéri, arrête ça ! Ce sont tes filles !
Justement ! Je dois les arrêter avant que ce ne soit trop tard ! »
Elle se jeta à son bras, mais il la repoussa violemment. Elle se cogna contre la table et tomba au sol, inconsciente. Kakeru hurla et courut à l'extérieur de la cuisine, nous laissant seules avec notre père. Affolée, j'essayai encore de relever Rika.
« Rika ! Rika ! Lève-toi !
- Qui a eu cette stupide idée ?! C'est encore toi Rika ?
- Non ! Non, c'est moi ! Alors ne fais plus de mal à Rika !
- Tu mens ! »
Il serrait les poings si forts que du sang finit par s'écouler de sa paume. Aveuglé par la colère, il modélisa un bâton pointu avec son sang. Apeurée, j'enlaçais Rika pour la protéger alors qu'il me lacéra le dos. J'avais hurlé à mon tour.
« Hanako ! »
Rika avait alors pris ma place et se servit de son alter pour faire reculer notre père. Avec le sang qui s'écoulait de sa tête, elle lui avait lancé plein de petits pics qui l'avaient écorché à son tour. Rika s'était penchée vers moi alors que je pleurais de douleur. J'avais du mal à respirer.
Et puis l'horreur arriva. Rika fut transpercée par le bâton de notre père. Transpercée au cœur.
« Rika, je ne te laisserai pas entraîner Hanako dans le mauvais chemin. Pourquoi vous ne comprenez pas que les héros sont le mal incarné ? Pourquoi vous ne voulez pas que je vous protège ?
- Rika... »
Elle tomba à mes côtés, crachant du sang. Difficilement, elle chercha ma main. Je la serrai fort, très fort. On se regarda une dernière fois dans les yeux. Rika ne pouvait plus parler. Mais elle me sourit, les larmes aux yeux. Puis la pression de ses doigts diminua. Ses paupières ne clignaient plus. Je ne sentais plus son souffle.
Le reste, je ne me souvenais pas de grand-chose. Il y a eu beaucoup de bruit. Il y a eu des hurlements. Je ne sais plus quand j'ai perdu connaissance.
Le reste, c'est la police qui me le raconta alors que j'étais dans mon lit d'hôpital. Je me souviendrai de leurs yeux pour le restant de ma vie. Pas une once de compassion. Ils m'annonçaient les choses durement, cherchant à savoir si j'étais impliquée dans la mort de Rika.
J'étais allongée dans mon lit, sans pouvoir bouger, répondant à leurs questions.
« Vous êtes la seule à avoir vu la scène. Votre frère, Kakeru Otsuka, est partis prévenir la famille Amano qui a, à son tour, prévenu les héros. Le héros professionnel Eraserhead est venu sur les lieux rapidement. Vous étiez en train d'utiliser votre alter autour de vous et de votre sœur. Personne ne pouvait vous approcher. Eraserhead a entamé le combat avec Akira Otsuka mais il s'est enfui. Eraserhead a préféré vous porter secours et a annulé votre alter. Vous êtes alors tombée inconsciente. Est-ce que vous confirmez ses dires ?
- Oui.
- De plus, après la garde à vue de votre mère, Hitome Otsuka, elle a annoncé être au courant des possibles meurtres perpétrés par Akira Otsuka. Nous en comptons 5. Hanako Otsuka, vous êtes liés de près ou de loin à ces meurtres. »
Ces mots étaient douloureux à encaisser pour une enfant mais je ne disais rien. La seule chose que j'avais retenue était que Rika était morte par ma faute. Et désormais, c'est toute notre famille qui était menacée.
Plusieurs jours passèrent, plusieurs semaines. Akira Otsuka ne réapparut pas. Il fut considéré comme vilain et des annonces étaient diffusées aux infos. Après expertises psychologiques, il a été révélé que ma mère était sous influence de Akira. Elle ne fut pas condamnée pour les meurtres. Kakeru n'avait pas conscience de tout ça, il fut écarté également. Pour ma part, j'ai été suivi plusieurs mois par une psychologue qui m'a remis sur pied tant bien que mal.
Mais notre famille n'était plus. Mes grands-parents maternels et paternels ont coupé les ponts avec nous, ainsi que tout le reste de la famille. Mon frère nourrit une rancune sans pareil à mon égard. Ma mère culpabilisait et ne me regardait plus dans les yeux.
Le doute persistait au sein de la justice sur notre implication dans cette affaire. Il a été décidé que nous seront surveillés par des policiers jusqu'à ce qu'Akira soit capturé.
Nos faits et gestes, nos messages, nos contacts... Tout était surveillé.
Lorsque je suis revenue à l'école, tout le monde avait peur de moi. Ils avaient peur qu'en m'approchant, Akira vienne les tuer. Le seul qui est resté près de moi est Takeo. Sans lui, j'aurais perdu pied. Il m'a encouragé à poursuivre mon rêve, pour moi et pour Rika.
Peu à peu, la peur à mon égard s'est transformée. J'étais toujours considérée comme fille de vilain. Mais ils avaient compris que j'étais surveillée, que je ne pouvais pas répondre à leurs insultes ou à leurs coups. Tout simplement car si quelqu'un se plaignait de moi, je serais enfermée.
C'était injuste. Profondément injuste. N'étais-je pas la victime dans toute cette histoire ?
J'ai supporté le harcèlement sans broncher. Mon unique but était de rentrer à Yuei et de me libérer de mes chaînes que m'avait imposées Akira.
J'allais réussir. J'étais sur le point d'y arriver. Mais le camp d'été m'a fait réaliser quelque chose que j'aurais dû savoir bien avant. Tant qu'il sera libre, ma liberté sera entravée. C'était la sienne ou la mienne.
On ne pouvait pas l'être tous les deux.
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