Chapitre 7

Si tu n'es pas un vampire sexy, garde ton venin.

Amélie

« Square in the face, this fuckin' world better prepare to get laced »

La musique d'Eminem pulse à fond dans mes oreilles tandis que je tire une dernière fois sur un bout de ma voile, pied sur le bas du mât pour ne pas étarquer dans le vide. Quand elle est bien tendue, je coince le bout dans des petites dents en acier pour ne pas qu'il s'échappe et détende la toile.

« Because they're gonna taste my »

Une main se pose doucement sur mon épaule, me faisant relever la tête pour voir qui se tient debout au dessus de moi. Charline me sourit, ses cheveux ramassés en un chignon extrêmement serré pour ne pas la déranger pendant la compétition. Je vois sa bouche s'ouvrir et se fermer plusieurs fois sans que je n'entende une seule de ses paroles.

« Venom »

J'enlève d'une main le casque de mes oreilles tout en faisant des demi-clés au bout, empêchant cette fichue corde de traîner sur le sol.

— Excuse-moi, coupé-je mon amie, je n'entendais pas ce que tu me racontais.

— Pas de soucis, répond-elle en observant les réglages de ma voile d'un coup d'œil. Je disais que Lays te demande d'aller émerger et t'inscrire. Ils viennent juste d'ouvrir l'accueil.

Je me relève en m'aidant d'une main sur le sol terreux, mais manque de trébucher sur le parterre d'herbe. Il faut dire qu'ici, on se croirait dans mon jardin. Pour ne pas abimer notre matériel, mieux vaut ne pas gréer sur du bitume, et donc cet endroit vert est notre seule option malgré la boue, les tâches et les insectes. Si la vue sur l'entrée d'eau où se tiendra notre compétition est vraiment belle, une autre ville a à peine un kilomètre de mer en face et les bateaux amarrés sur les bords, il n'empêche que cette pente complique la tache. Entre les voiles, les planches, nos sacs, les bouts, et tout ce qui peut nous faire tomber, il faut rester concentré à chaque pas.

Je descends prudemment la pente pour reprendre le sentier principal bordé d'un muret où se trouve en contre-bas la plage d'où nous partirons, puis rejoins le centre nautique à la hâte. Je fouille dans mes poches pour trouver les papiers nécessaires à l'inscription, et rejoins la petite file qui s'est formée face aux bénévoles qui organisent toute la course. J'en profite pour regarder autour de moi, apercevant quelques visages familiers en plus des gens de notre club, mais sans rien d'intéressant. Honnêtement, à nous seuls les Crevettes Bleues, nous sommes la moitié des participants. Rien d'étonnant quand on voit que cette régate n'a pas de vrais enjeux.

Quand c'est mon tour, je tends tous les documents à la gentille dame aux cheveux blancs qui remplit mon inscription entre deux gorgées de café, puis elle me laisse signer l'émergement pour s'assurer que je suis bien là.

Une fois que le côté administratif est fait, un dernier coup d'œil à mes réglages suffit pour me soulager. Il n'y a pas trop de vent pour le moment, mais d'ici notre départ, je pense qu'on aura le temps de tout modifier si les conditions changent.

Je rejoins ma blonde bimbo girl, in her fantasy world qui semble se batailler avec le même bout que moi tout à l'heure, tirant de toutes ses forces sans arriver à avoir plus de mou. Mais avant que je n'aie pu atteindre son niveau pour l'aider au mieux de ma force, Adam me prend de court en arrivant à sa rescousse pour finir à sa place les derniers réglages. Je sens mes lèvres s'étirer quand je le regarde rire avec elle, lui, tirant sur ce fichu pour de corde et elle, attachant les cheveux bruns d'Adam en une petite couette ridicule du style d'un palmier.

Je ne sais pas si je devrais me sentir vexée qu'elle ne m'ait pas parlé de l'avancée de cette relation, mais je peux la comprendre. Chaque chose en son temps, elle m'en parlera quand elle le voudra.

Je décide de retourner à mes affaires, mais je tombe nez à nez avec une tête brune aux deux tresses sur les mèches de devant, un bandeau en satin recouvrant le reste. Son visage de peste me sonde de haut en bas avant qu'elle ne croise ses bras fins sur sa poitrine.

— Amélie, dit-elle d'un ton acerbe.

— Noémie...

Sa bouche rouge s'ouvre pour se refermer aussitôt, comme si la remarque sanglante qu'elle comptait me faire n'était pas à son goût, alors elle se contente de mâcher bruyamment un chewing-gum. Un cliché ambulant cette nana, c'est presque illégal. D'un coup de tête, elle envoie sa tignasse lisse en arrière, le menton toujours haut, son attitude toujours aussi condescendante.

— Excuse-moi, je n'ai pas le temps pour tes conneries d'enfants de CP, déclaré-je en m'écartant à droite de sa trajectoire.

— Très bien, moi non plus. J'ai remarqué un joli petit mâle cette saison, il faut que j'aille le rencontrer. Tu le connais déjà, non ?

Je soupire en levant les yeux au ciel, agacée par ses manières. On dirait vraiment une fille coincée au collège ! « Un joli petit mâle », non mais et puis quoi encore ?

— Sûrement, mais tu vois, j'ai une compétition dans quoi, une heure ? Toi aussi, il me semble. Ne divague pas trop, ça serait dommage que je gagne, continué-je en la dépassant pour de bon.

Malgré un rictus de dégoût sur son joli minois, elle ne dit rien de plus et me laisse passer. Je suis un peu étonnée, je l'avoue, mais après tout, j'ai tiré dans le mille. Même si je ne l'apprécie pas plus que ça, elle est l'une des seules concurrentes qui me donne du fil à retordre sur l'eau. Si je m'en fous de la gagne, j'aime avoir un objectif. Et Noémie est le mien. Et apparemment, aujourd'hui je ne suis pas le sien...

♡♡♡

Je tire sur la dernière fermeture de ma combinaison avant d'entendre Lissandre crier à tue-tête vers notre groupe.

— Briefing. ! crie Lays les deux mains autour de sa bouche pour faire porter sa voix.

Aujourd'hui, il porte la tenue entière pour aller sur l'eau, soit salopette, bottes, veste de quart, et lunettes-de-soleil-de-beau-gosse, comme on aime les appeler avec Charline. D'ailleurs, j'attends que celle-ci me rejoigne avant de nous diriger vers la façade du club qui fait office d'accueil, et l'aide à fermer sa combinaison rose en chemin. J'hésite à lui parler d'Adam, mais je finis par me raisonner : après la compétition, elle sera plus disposée à tout m'expliquer si elle le souhaite.

Quand nous arrivons tant bien que mal au rendez-vous du briefing, mes pieds me font un mal de chien. Cha' doit ressentir la même chose, car elle sort sa langue toutes les cinq secondes en lâchant un « aïe » strident. En même temps, pieds nus sur du gravier... Je n'ai pas besoin d'en dire plus.

— Tout le monde est là ? demande un homme de la cinquantaine d'une voix puissante, entouré de tous les coureurs et coachs. Bon, les autres n'auront qu'à se démerder. Vos coachs ont eu un brief, s'ils ne vous en ont pas fait part, prenez le temps d'écouter.

Charline me donne un discret coup de coude dans les côtes pour attirer mon attention. J'observe son regard qui m'indique un groupe en face de nous, mais surtout Noémie en charmante compagnie. N'écoutant pas une seule parole de l'homme à la tignasse blanche, elle est totalement prise dans une conversation avec Baptiste, qui semble lui répondre machinalement. Elle lève carrément la tête pour tenter de capter son regard malgré les dix bons centimètres qu'ils ont de différence, mais rien n'y fait. Pas un regard pour elle, pas deux mots alignés. D'ici, on voit qu'il lui répond par oui ou non, presque énervé qu'elle le déconcentre autant. Son regard est perdu dans le schéma de course dessiné sur un tableau, sourcils froncés de concentration, l'air attentif.

Je me contente d'hausser les épaules pour répondre à Charline, pas le moins du monde intéressé par la vie sentimentale de ces deux personnes.

— Donc, reprend l'homme après une légère pause, on a opté pour le parcours 1 pour les minimes planche à voile, le 2 pour les espoirs et plus. Les catamarans, lasers, je vous laisse regarder le schéma sur la porte à droite, il me semble que vous n'aviez qu'une option de parcours. On ne s'embête pas à respecter les temps d'attentes entre les manches, je vais enchaîner les lancements de courses pour qu'on rentre tôt.

2ème parcours, soit bouée au vent, bouée à gauche, bouée sous le vent, de nouveau bouée gauche, pine, et arrivée, j'énonce dans ma tête en me rappelant plus ou moins de ce que j'avais observé.

— Là on est à 10 nœuds établis Nord-Ouest, ça monte en rafale donc attention. Les planches et les optis, vous restez en face avec un parcours face au gros rocher, les autres, c'est à l'extérieur de la petite rade. Marée montante... Hum... Des questions ? Je ne sais pas si j'ai tout dit.

Personne ne lève la main pour parler, alors l'homme nous congédie en disant que le premier départ est dans 30 minutes. Heureusement que j'ai pris le temps d'avaler quelque chose, parce que je sens que l'après-midi va être longue.

— Vous avez bien écouté les chouchous ? On ne se trompe pas de bouée cette fois, gronde affectueusement une monitrice d'optimists qui appelle tout le monde « chouchou ».

— J'espère qu'ils vont mieux mouiller le parcours que la dernière fois, râlé-je à l'intention de Charline qui a déjà la tête ailleurs. Ici, c'est rare qu'ils arrivent à respecter les bouées, tu ne trouves pas ?

Je tourne la tête vers elle, mais la lune semble lui tabasser le front tellement elle n'est pas avec moi. Le sourire béat planté sur ses lèvres me le confirme. Je passe une main devant ses yeux pour attirer son attention, ce qui la fait sursauter.

— Excuse-moi, dit-elle d'une petite voix, je dois aller faire un truc, on se rejoint sur l'eau ?

— Hum, d'accord, si tu veux.

— Super ! Je t'aime !

Avant que je n'aie pu lui répondre, elle se précipite pour poser un baiser sur ma joue, puis disparaît parmi la foule qui commence à s'emparer de son matériel pour partir sur l'eau.

— Amélie !

Je me retourne et vois Lissandre qui marche vite vers moi à défaut de pouvoir courir avec toutes ces couches, puis il dépose le bidon d'essence rouge qu'il tenait pour me parler face à face. Ses joues sont rosies par l'effort, mais je peux comprendre qu'il veuille se couvrir. Les nuages commencent à nous menacer, et le vent sur l'eau est toujours plus saisissant qu'à terre.

— Je voulais te dire, reprend-t-il avec un léger essoufflement, méfie toi du spot, tu le connais mais entre le mouillage qui est toujours bancal, le vent qui forcit et tout ça...

— Ne t'en fais pas, j'ai tout ajusté en conséquence.

— Je m'en doute, mais rejoins mon bateau entre chaque course quand même, j'ai des compotes.

— Miam, tu nous gâtes Lays ! Mais au fait, tu sais combien de manches ils souhaitent faire ?

— Le comité a parlé de cinq... C'est énorme pour cette compète mais faisable.

Une plainte sort de ma bouche sans que je ne puisse la contrôler, et j'ai tout de suite moins envie d'aller sur l'eau. Autant trois courses c'est épuisant mais faisable, autant cinq ça devient vite énervant. Si le vent augmente en plus, nous allons vite être crevés.

— D'accord, j'espère qu'ils changeront d'avis.

— On verra, je vous tiendrais au courant. Bon, j'y vais, Sacha m'attend. Il s'en fait pour les petits qui ne sont pas habitués à autant de manches. Normalement ils baisseront pour eux.

J'acquiesce d'un hochement de tête, puis il saisit sa nourrice rouge avant de s'en aller vers la cale, où a été mis à l'eau son zodiac. Je profite de faire les derniers pas qui me séparent de ma voile en m'étirant, comprimée comme jamais dans ma combinaison.

Mais alors que j'allais m'emparer de ma voile pour aller la déposer sur la plage, j'entends mon nom quelque part derrière moi. Je me retourne lentement, commençant à en avoir marre d'être interpellée tous les deux mètres, mais encore plus quand je vois qui s'avance à ma rencontre.

Son corps puissant arrive à mon niveau, ses cheveux noirs toujours éparpillés sur son front. Je me retourne pour attraper ma voile, décidant d'ignorer cet idiot. Il a tout du mec sexy qui essaye de le prouver au monde entier, je déteste ça.

— Amélie, j'essaye d'être sympa là, déclare Baptiste en se postant à ma droite.

— On doit partir sur l'eau, le temps d'arriver au départ, on en a pour dix minutes.

J'essaye de mon concentrer sur ma voile, mais mon regard se tourne automatiquement à droite. Il a mis son harnais autour de ses hanches, ce qui me donne une vue imprenable sur son entre-jambes qui est entourée de sangles. Je sens la chaleur se répandre dans mes joues, et je regrette un peu d'être si petite et lui si grand.

— Tu sais que tu vas perdre, alors pourquoi t'acharner ?

Il se baisse pour que son visage soit à ma hauteur, mais je reste concentrée devant moi, faisant mine de régler quelques trucs. Son sourire idiot me donne envie de le lui retirer.

— Tu me demandes d'être ton amie mais tu te comportes comme un con, c'est contradictoire, répliqué-je sèchement. Tu devrais me laisser tranquille et faire ta vie.

— Je ne te demande pas d'être mon amie, continue-t-il en riant légèrement, je veux juste que tu me pardonnes.

— Et pourquoi tu y tiens tant ?

Je me redresse, me mets face à lui pour défendre ma position. Si mon cœur s'affole dans ma poitrine quand ses yeux se fixent aux miens, j'essaye de ne rien montrer.

Putain, Amélie, réveille-toi !

— Eh bien, on est un groupe, non ? Je ne veux pas être le sale con, comme tu dis.

— C'est dommage, tu as gagné cette place à l'instant où tu as ouvert la bouche la première fois qu'on s'est vu.

Un sourire en coin et une fossette plus tard, je suis à deux doigts de flancher tellement il est beau. Parce que oui, c'est un fait, ce mec est canon. Le problème, c'est qu'il semble le savoir et bien utiliser cet atout. Et je commence vraiment à me lasser des mecs qui utilisent leur beauté pour tout avoir.

— Désolée, mais la grosse a autre chose à faire, là maintenant. Alors bonne course.

Je me penche et m'empare de ma voile que je soulève à bout de bras.

— Tu n'es pas grosse, Amélie.

— C'est ce que tu as dis, pourtant, répliqué-je avec amertume.

— Je ne le pensais pas.

— Ah bon ? Tu avais l'air bien sûr de toi pourtant.

Il ne dit rien, et s'écarte pour que je puisse mettre la toile sur ma tête et ainsi réduire le poids. Je m'avance, concentrée pour descendre le petit jardin avec tout en équilibre sur mon crâne maintenu par mes bras de part et d'autre, et pouvoir accéder à la plage. Mais alors que j'atteins le petit sentier qui longe celle-ci, j'entends Baptiste me dire quelque chose de là où il est.

— Je suis sincère, Amélie. Mais puisque tu ne me croies pas, je vais te faire perdre et tu m'écouteras peut-être.

— C'est ça, essaye toujours, répondis-je tout bas pour que seule moi puisse l'entendre.

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