Chapitre 5
Tout nu et tout bronzé
Baptiste
— Bapt', tu sais où ils ont rangé les... AHH !
Ma sœur passe une main sur ses yeux tout en gardant l'autre bien accrochée à son téléphone. Je l'observe un instant, me redresse sur mes coudes comme j'étais allongé sur mon lit, mais elle cache toujours son visage même si je distingue ses joues roses de gêne.
— Tu es nu ! m'accuse-t-elle en criant.
— Je suis dans ma chambre, répliqué-je naturellement en observant autour de moi — comme si j'allais oublier que je le suis. Je ne vois pas où est le mal.
— Tu ne pouvais pas fermer ta porte ? À clé ? Avec une chaise devant ? Et un pitbull à l'entrée ? Non, mieux, un troll ou Jean-Claude Van Damme ?
Je soupire bruyamment et m'affale à nouveau sur le dos, ma couette me collant à la peau tant c'est un four dans cette maison. Je dois reconnaitre que Livia n'a pas tord. Je suis rapidement sorti de la douche tout à l'heure et n'ai pas eu le courage de m'habiller de suite. La couverture froide a piqué ma peau, avant de se réchauffer sous la chaleur de mon corps, détruisant ses bienfaits à néant.
— Excuse-moi... Mais fais pas genre que tu n'as jamais vu de mec nu.
— J'ai 14 ans, Baptiste. Et tu es mon frangin ! Je n'ai pas envie de voir un truc pendouiller entre tes jambes, je vais en faire des cauchemars.
— Mmh...
Elle lâche un petit cri rageur avant de quitter ma chambre en trombe, claquant la porte à la volée. J'entends juste la voix lointaine de ma belle-mère lui crier quelques ordres. Ça serait dommage de déjà casser cet endroit alors que nous n'y sommes que depuis peu.
Vaincu, je me redresse dans un élan et descends de mon lit pour enfiler un short trop grand et... c'est tout. Je regarde vite fait mon torse, mais ne repère rien d'inconvenable pour les pauvres yeux de ma sœur. Je ne suis pas aussi pudique qu'elle en tout cas.
Il ne fait pas si chaud à l'extérieur, mais j'ai hérité de la pire orientation de la maison, sans volets pour me mettre à l'ombre. Cette vieille baraque commence déjà à me filer de l'urticaire et je me demande pourquoi j'ai décidé de les suivre. Peut-être parce qu'il n'y avait rien pour moi en Italie ?
Non, c'est faux.
Ma vie entière était là-bas, mais elle commençait à me lasser. Me balader nu n'avait plus la même saveur qu'avant. Entre les cours, les soirées, je m'étais embarqué dans un cercle sans fin, épuisant mon corps à l'extrême. Mais vous connaissez la chanson, refusez une soirée et après on vous dégage en moins de temps qu'il en faut pour crever. Sécher des cours, et vous êtes bons pour redoubler indéfiniment votre année. J'aimais mon train de vie, mes amis et tout ce que j'avais créé, mais il faut un moment pour arrêter les bêtises et mûrir.
Alors quand mon père et ma belle-mère m'ont proposé de venir en France sans contrepartie, le choix a été vite fait. Seule contrainte, je dois avoir mon diplôme ici. Rien de très compliqué quand on connait un peu mon palmarès et mon aisance en cours — sans vouloir me vanter. Cependant, je ne pensais pas débarquer en Bretagne, où le temps est si changeant que je dois entièrement refaire ma garde-robe, où les gens sont aussi aigris qu'aimables, et surtout, où il est tout à fait normal de se haïr puis de se réunir autour d'un verre de bière.
Le pire reste le temps. En bon planchiste, l'air ne manque pas ici mais les pétroles sont rudes. Nous ne sommes qu'en mars et les rayons du soleil sont impitoyables ! Certes, pas à la même échelle que mon pays natal, mais la grande particularité de la région, c'est qu'il fera gris demain.
Je m'étire un instant pour débloquer mon dos endoloris, un frisson me parcourt le corps. Désagréable. J'ouvre ma porte en bois qui, bizarrement, n'a pas eu de dommages causés par ma sœur, puis fais quelques pas dans le couloir pour atteindre la sienne. La porte blanche arbore déjà un énorme panneau interdit, qui n'empêche personne d'entrer. Qui prend vraiment en compte les inscriptions de ce genre ?
Je presse la poignée qui ne me résiste pas, et révèle la pièce dans un grincement sinistre. Livia est allongée en face de moi sur son lit, ses bras tendus vers le ciel, pianotant sur son téléphone comme si sa vie d'adolescente en dépendait. Son visage en plongée lui forme une drôle de figure, tandis que ses cheveux rouges mi-longs s'étalent en étoiles autour d'elle. Je la vois jeter un coup d'œil sur le côté, mais quand son regard croise le mien, elle augmente le volume d'une enceinte en grimaçant, bombardant la pièce d'une musique que je ne connais pas.
Je soupire mais la mélodie emporte ma voix, ce qui me fait vite perdre mes moyens. Pour me contenir, je passe une main lasse sur ma barbe naissante et Livia ne m'adresse plus un seul regard, fixant toujours l'écran. Le pire, c'est que je suis persuadé qu'elle ne fait rien dessus, juste une façon de me narguer.
— Livia... grondé-je.
Je m'approche d'elle, serrant les poings, avant d'attraper son stupide écran et de baisser le son. Ma sœur se redresse d'un coup en criant je ne sais quoi, puis se lève sur son lit pour essayer de l'attraper. Je passe l'engin derrière moi, ce qui l'oblige à me regarder. Ses yeux bruns semblent plus noirs que jamais mais je m'en fous. Folle de rage, elle commence à m'insulter dans tous les sens avec de nombreux mots que je ne connais pas ce qui me donne encore plus envie de lui fermer son clapet. J'attends patiemment qu'elle finisse son sketch pour que je puisse enfin m'exprimer, mais tout ça dure au moins cinq bonnes minutes avant qu'elle ne se calme, ou du moins me le laisse croire.
Le problème avec Livia, c'est qu'elle parle couramment six langues. Donc dans ce genre de situation, je ne comprends la moitié de ses paroles sanglantes. Elle a beau être brillante, elle n'en reste pas moins une adolescente blasée qui en veut à la terre entière pour je ne sais quoi tout en prétendant connaitre tout mieux que tout le monde. Lui priver de son téléphone est la pire offense possible. Lui dire qu'elle en fait trop, aussi.
— C'est bon ? Tu as fini ?
Livia croise les bras sur son t-shirt noir, ses yeux me lançant maintenant des éclairs.
— Rends-moi ce putain de téléphone, crache-t-elle en me défiant.
— Si tu parlais dans une langue que je comprends, ça serait déjà plus agréable, répliqué-je du tac au tac.
Son nez se fronce, mais aucun de nous ne détourne les yeux. À ce jeu-là, nous sommes tous les deux devenus des pros, à ma plus grande tristesse. J'aime ma petite sœur plus que personne mais depuis quelques temps, elle ne me laisse pas de place pour le lui montrer. C'est comme si quelque chose avait cédé entre nous deux à partir du moment où sa puberté a pointé le bout de son nez. Je sais qu'avec le temps, sa peine intérieure s'apaisera. Mais en attendant, j'ai envie de lui mettre des baffes.
Le silence de la pièce est vite remplacé par le bruit d'une tondeuse à gazon qu'on allume dans un jardin. La fenêtre étant ouverte, notre engueulade se retrouve coupée par cet agent perturbateur.
— Qu'est-ce que tu voulais me demander tout à l'heure ? demandé-je finalement en l'interrogeant du regard.
— Tu veux dire quand t'étais en train de te branler sur ton lit comme un pauvre type ?
— Tiens, tu sais ce que ça veut dire, toi ? Dis-le en chinois pour voir ?
— Pauvre con, me crache-t-elle au visage en accentuant le dernier mot.
Je n'ai pas le temps de répliquer car la porte de la chambre se met à grincer un peu plus, indiquant que quelqu'un vient de nous rejoindre.
— Qu'est-ce que...
Je me retourne d'un coup pour voir ma belle-mère faire son entrée, les sourcils froncés en observant la situation. Livia profite de ce moment d'inattention pour récupérer son téléphone portable dans mon dos, tout en tirant une de mes mèches de cheveux au passage.
— Baptiste, tu ne peux pas laisser ta sœur tranquille ? Sérieusement ? me dit-elle en français malgré son énorme accent.
Une seule grosse règle à la maison, tout le monde parle français en majorité. Si papa, moi et Livia le parlons couramment, ce n'est pas le cas de Ludovica. Alors, en bonne famille qui se respecte, nous la soutenons corps et âmes dans sa quête de naturalisation.
— Je sais que... Hum.
Ma belle-mère secoue ses belles boucles brunes pour trouver le mot qui lui manque, avant qu'un énorme sourire se dessine sur son visage quand elle l'a trouvé.
— Je sais que vous ne vous entendiez pas, reprend-t-elle.
— Entendez, corrige Livia avec bienveillance.
— Oui ! Ne vous entendez pas. Mais faisez un effort pour moi et papa.
— Faites, continue ma sœur.
Je m'écarte du lit pour aller observer la fenêtre, pendant que Livia explique à Ludovica un truc de conjugaison. Je ne les écoute que d'une oreille quand mon regard trouve l'homme qui tond sa pelouse, en haut du jardin. Comme nous, tous les voisins de ce côté du quartier ont une maison en bas, avec un jardin en pente vers le haut. Pratique quand je remarque que l'homme coupe sa tondeuse, pour parler fort à quelqu'un dans la maison désormais à sa hauteur malgré les mètres qui les séparent. Je n'entends pas ce qu'ils se disent, mais je regrette presque de ne pas avoir pris cette chambre pour voir les commérages du voisinage. On dirait un peu une scène de dessin animé.
— Baptiste ? m'interpelle Ludovica de sa voix douce. Tu as cours demain ?
Un rayon de soleil perce la fenêtre pour venir éclairer sa jolie peau brune. Je lui souris doucement en acquiesçant d'un hochement de tête, puis elle m'explique qu'elle a trouvé un emploi où son accent ne ferait pas barrière, manque plus qu'à obtenir le job. Elle pourra me déposer si besoin, tout en allant à l'entretien.
— C'est génial ! s'enthousiasme Livia en sautant dans les bras de notre belle-mère, j'espère que tu décrocheras le poste. Tu en as parlé à papa ? Il pourra peut-être t'aider avec l'entretien.
— Je ne pense pas que c'est différent de l'Italie, continue-t-elle en serrant ma sœur à son tour. Mais dans tous les cas, j'y arriverai !
Je reporte mon attention sur l'homme à la tondeuse, qui reprend son travail acharné à bout de bras tant la pente est rude pour tenir la machine. De l'herbe vole partout autour de lui, rendant sa barbe et ses cheveux de la même couleur.
— Qu'est-ce que tu fais ? demande ma belle-mère en s'approchant d'un pas léger.
Il faut dire qu'avec sa taille de guêpe et son corps de mannequin, elle se déplace avec une grâce impressionnante qui la rend encore plus géniale qu'elle ne l'est. Je pense que maman aurait approuvée la nouvelle compagne de papa.
— J'espionne le voisin. Il me fait bien rire à galérer.
— Galérer ?
— Oui, c'est quand tu as du mal à faire quelque chose, on peut utiliser ce mot là mais évite de le dire en entretien, ce n'est pas un gros mot mais c'est plutôt moche. Enfin, in difficoltà, si tu préfères. Je ne suis pas très doué pour t'expliquer, reconnais-je en riant doucement. Livia t'expliquera bien mieux que moi.
Elle approuve malgré tout, puis observe avec moi l'homme. Je l'entends arrêter une nouvelle fois la tondeuse puis faire des bruits qui ressemblent à des pets avec sa bouche. Intriguée, la furie nous rejoint pour observer le spectacle de l'homme qui pète. Ludo ricane, Livia se contient, et moi je me dis juste que ce mec est très particulier pour ne pas dire totalement taré. Surtout pour un dimanche.
Face à lui, une femme à la choucroute blonde passe la tête par la fenêtre, et semble l'engueuler pour ce qu'il fait. D'ici, je vois même les énormes boucles d'oreilles orange fluo qu'elle porte.
— Ils sont bizarres les voisins, déclare Livia sans cesser de fixer la femme. Je ne les avais jamais vu depuis que nous sommes là, mais j'espère ne pas les croiser.
— So vintage ! remarque Ludovica avec son inlassable sourire. Tu devrais faire tes cheveux comme ses oreilles, Baptiste. Le noir, has-been !
Ma sœur lui répond avec l'accent d'une styliste française qui passe à la télévision dont je ne sais plus le nom, fortement reconnaissable dans tous les cas. Je lève les yeux au ciel et m'écarte de leurs commérages qui ne m'intéressent plus. Changer mes cheveux ? Et quoi d'autre encore ! Je ne vais pas finir comme Amélie, se pavanant avec sa tignasse rosée comme si c'était normal...
Je passe la porte que je referme derrière moi, sachant qu'elles sont parties pour discuter tout l'après-midi en observant les voisins, puis retourne dans ma chambre. Je constate les quelques cartons qu'il me reste à déballer, puis lance sur mon téléphone du Scorpions pour me motiver.
« The world is closing in
Did you ever think
That we could be so close, like brothers »
Avant tout, j'allume une clope que je coince dans le coin de mes lèvres, après avoir vérifié une dernière fois que ma porte est fermée à double tour. Je me penche, ouvre la première boite, et c'est parti.
« Take me to the magic of the moment
On a glory night
Where the children of tomorrow share their dreams
With you and me »
Du rose ou orange, n'importe quoi.
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