Chapitre 46
Les crevettes bleues peuvent aussi se noyer
Amélie
Deux semaines ont passées depuis que j'ai laissé une dernière chance à Baptiste, et comment vous dire qu'il fait tout pour se rattraper. Entre mes entraînements super compliqués, mon quotidien chamboulé et mon rythme hors norme, il trouve le moyen de me faire oublier sa faute. Je ne veux pas sortir ? Ok, il me prépare à manger et on va dormir tôt. Je veux aller boire un verre ? Ok, mais il sort le grand jeu. Petite baisse de moral ? Ok, on sort faire je ne sais quoi tant que ce n'est pas trop physique, quitte à rester chez nous pour qu'il me masse mes muscles douloureux. Je ne veux pas oublier ce qu'il s'est passé, mais j'avoue qu'il s'y prend très bien pour que je le pardonne entièrement.
Pour autant, il respecte exactement ce que je lui ai demandé en y allant mollo. Pas de grosses soirées débordantes d'amour, pas de baisers langoureux à en faire rougir les grands-mères, non. Il prend le temps, comme ce qu'on c'était promis avant. En fait, il reprend à là où on s'en était arrêté avant la fameuse semaine sans nouvelles.
- Tribord ! Gueule un des coureurs en passant près de moi, un costume de cochon sur sa combinaison.
Je ris et laisse passer super cochon comme si de rien n'était. Après tout, c'est le dernier jour de navigation du club avant qu'il n'entame les stages d'été. Chaque personne ou presque est venue déguisée pour rendre un peu festif la fin de saison. Enfin, fin de saison, pas pour tout le monde.
Moi, je continue de m'entraîner comme une folle en voyant les championnats arriver de plus en plus. Nous sommes bientôt en début juillet, et la compétition est dans un mois. De quoi me mettre la pression car j'ai l'impression d'être totalement à la rue. Lays et Sacha me rassurent constamment, me faisant de bons entraînements tout en ramenant parfois d'autres compétiteurs pour me tenir compagnie, mais ça ne change rien. Le stress est là, il ne va pas partir en un claquement de doigt.
Mais j'ai pu compter sur Charline qui m'a accompagnée pendant ces semaines intenses de préparation. Sans elle, je ne sais pas si j'aurais pu tenir mentalement. Ma vie est presque en pause, je croise à peine mes parents et ma famille, et les seules fois où je sors c'est avec Baptiste. Papa lui en veut encore énormément, mais je me dis que ça va se tasser avec le temps.
Mais aujourd'hui, c'est la dernière fois qu'on navigue ensemble jusqu'aux mondiaux. Madame a décidé de se trouver un nouvel objectif de vie pour moins penser à Adam. Elle a vu avec le club pour commencer à passer son monitorat l'année prochaine, ce qui lui permettra d'enseigner la voile à n'importe qui ! Comme elle s'y est prise un peu tard, cet été elle va seulement être aide-monitrice pour voir un peu ce qu'on attendra d'elle et surtout aider ses futurs collègues car un métier comme ça, c'est assez rude quand on est seul.
- Ça va Amélie ?
Lays baille sur son bateau, lassé de la séance un peu bordélique. Pour satisfaire tout le monde, pas de gros entraînement type compétition, juste de la navigation libre. Je m'approche de lui, m'assoie sur son bateau tout en retenant la planche de mes pieds, et observe autour de moi avant de lui répondre.
- Oui, tout va bien. Je crois que ça n'a jamais autant été en fait.
***
Baptiste
Putain, elle va vite Amélie ! Il n'y a vraiment, mais alors vraiment pas de vent et pour autant, elle arrive à faire un pumping impeccable. Notre sortie dans la pétole était prévue comme tous les jours en fait, mais cette fois c'est plus tranquille et vu les blessures qu'a ma copine sur ses mains, il vaut mieux.
Charline a commencé son aide monitorat depuis deux jours alors on s'est dit qu'on allait faire un petit tour pour la voir. Comme elle est avec le groupe des débutants en planche à voile, ils sont posés à la plage pour que ça soit plus simple. C'est drôle de voir tous ces enfants tomber et se relever, obstinés à avancer tout droit avant la fin de la semaine. Je ne connais pas le nom du moniteur avec qui elle travaille, mais il a l'air plutôt sympa.
On s'approche de plus en plus, Amélie bien devant moi, et je la vois sauter quand elle a pied. J'accélère le mouvement, un peu crevé à cause de la température extérieur — évidemment — mais quelque chose de bizarre se produit. Alors que tous les enfants sont regroupés autour des moniteurs qui leurs donnent de nouvelles consignes, je vois que Charline me regarde étrangement plus j'avance. Je ne fais pas attention, concentré sur Amélie qui a l'air tout à fait normale en m'attendant, mais d'un coup, Charline attrape le sifflet de son gilet de sauvetage, siffle si fort que toute la plage nous regarde. Je dois être à moins de 4 mètres d'eux, ce qui est très peu, et une armée d'enfant se retourne vers moi comme un seul homme en criant.
Surpris, je me déséquilibre mais ne tombe pas pour autant. Charline croise les bras, comme une cheffe guerrière tandis qu'Amélie se tord de rire. Ce n'est que quand les premiers enfants arrivent au niveau de ma planche que je comprends ce qu'il se passe.
Déterminés, ils agrippent mon support en faisant attention de ne pas l'abimer, montent dessus pour certains dans l'unique but de me faire tomber. Je pose ma voile doucement dans l'eau en repoussant deux assaillants, histoire de ne pas en assommer si je tombe réellement, puis c'est la guerre. Une douzaine de gosses tentent de me faire boire la tasse mais je résiste. Je résiste jusqu'à ce que mon regard croise celui Sacha un peu plus loin avec son propre groupe d'adolescents débutants.
Dix secondes plus tard, c'est presque vingt personnes qui sont sur moi pour me faire tomber à la flotte. J'ai tenu dix secondes de plus avant de boire la tasse.
Je ressors de l'eau, essoufflé mais surtout en toussant comme un idiot et tout le monde se met à crier de joie.
- Objectif atteint chef ! Hurlent les enfants en cœur en regardant Charline.
Amélie est tordue de rire, Charline se retient du mieux qu'elle peut et je vois Sacha essuyer une larme en coin d'œil. Ils vont me le payer.
***
Amélie
- Qu'est-ce qu'on est bien ! Merci vraiment Amélie !
Je lui souris et pose un baiser sur sa joue avant de venir m'assoir sur le canapé extérieur, à côté de Baptiste. Il me vole un baiser qui me fait rougir face à mes parents, mon père grimace déjà. Aujourd'hui, Charline a vingt ans. Elle a passé la journée entière avec toute sa famille, alors ce soir c'est à nous de la fêter. Comme elle ne se sentait pas d'avoir une grosse fête avec beaucoup de gens, on a décidé d'organiser une petite soirée pyjama. Mes parents sont ici, comme moi et Baptiste ainsi que Lucas et quelques amis de la voile. Nous ne sommes pas en gros comité, mais elle semble ravie.
Depuis qu'elle est constamment dehors avec les enfants, sa peau a joliment bronzé, lui donnant un teint alé qui doit faire tourner des têtes ! Mais Charline a été catégorique : c'est un été pour se reconstruire. Hors de question de batifoler, elle préfère être à fond dans ses nouveaux objectifs tout en me soutenant pour mon championnat qui est dans... deux jours en fait.
À cette pensée, je déglutis péniblement et je sens mes mains trembler. Baptiste s'en rend compte car il passe son bras autour de mes épaules et prend une de mes mains de celle qu'il a de libre. Maman lance le film qui va être projeté sur une bâche blanche, et c'est parti. Je me blottis contre mon copain pour avoir un peu de réconfort, mais surtout j'espère oublier toute cette anxiété que je ressens.
Le début de la semaine a été assez compliqué comme on a prévu moins d'entraînements pour que je me repose. Sauf que dès que je me pose, j'ai l'impression de perdre du temps. Depuis deux mois, je mange, dors, vie avec ma planche. Je me lève pour aller naviguer, je me couche en pensant à l'entraînement du lendemain ! Voir arriver si vite ce pour quoi je me suis tant préparé me fait peur. Pas pour les résultats, mais pour l'après.
Pour le moment, ça excuse énormément de chose chez moi. Je vois peu de monde parce que je n'ai pas le temps ou que je dois me reposer. Je mange peu mais parce que je ne veux pas être malade pour la compétition. Je tiens Baptiste un peu à distance parce que je dois rester concentrée.
Mais après ? Qu'est-ce qu'il se passera ?
La vie reprendra son cours, mais je ne sais plus ce que c'est. J'ai vécu trop de choses ces derniers mois, assez pour ne plus savoir ce que c'est la vie normale.
- Amélie ? Me chuchote-t-il pour ne pas déranger le monde autour.
- Oui ?
- Arrête, je t'entends réfléchir.
- Mmh...
J'avoue qu'il est d'une grande aide, sacrifiant son été pour moi. Mais je ne comprends pas trop pourquoi il fait tout ça. Il vient s'entraîner, il reste avec moi le soir pour que je dorme bien. J'essaye d'esquiver les trucs de couple quand je ne me sens pas, et il ne me dit rien. Il n'a rien tenté de plus intime, sachant que pour le moment, je ne veux pas. Ce mec est parfait et je ne comprends pas pourquoi. Il doit y avoir un truc, c'est évident.
- Baptiste ?
- Oui ?
- Pourquoi tu fais tout ça ?
- Tout ça quoi ?
Je souris doucement en jouant avec sa main libre.
- Pourquoi tu restes avec moi sans jamais râler ? Tu n'as plus de contacts avec tes amis, tu vies avec moi depuis qu'on s'est remis ensemble et tu ne demandes jamais rien en retour.
- Mais parce que je t'aime Amélie, je te l'ai déjà dit. Honnêtement, je ne veux être avec personne d'autre si ce n'est pas toi. Jouer à Animal Crossing pendant des heures, me foutre de toi parce que tu es allergique aux poneys, voir tous les jours les papillons sur ta porte de chambre... J'aime tout ça. Je me sens bien avec toi, je n'ai pas l'impression d'être quelqu'un de mauvais.
- Tu pensais ça ?
- Je l'ai toujours cru. J'ai fait des choses horribles avant. Rien de grave non plus ou répréhensible par la loi, mais des choses dont je ne suis pas fier. J'aime voir que tu me rends meilleur. Mieux que je ne l'ai jamais été.
Merde, mon cœur bat fort là, non ? Je suis flattée par ce qu'il me dit et en même temps, je ne sais pas quoi en penser. C'est extrême mais quand j'y repense, moi aussi je suis bien avec lui. Je lui en ai fait baver pendant des semaines, autant que pendant la compétition qui avait duré quelques jours, et il ne se plaint jamais. Une vague de culpabilité m'envahit d'un seul coup. Je crois qu'il est temps de reconnaitre que moi aussi, il me rend meilleure.
- Baptiste ?
- Oui ?
- Je crois que je t'aime aussi.
Il se redresse d'un coup, un peu choqué de ce que je viens de lui dire. Ses cheveux noirs tombent sur ses yeux alors je les écarte d'un doigt pour mieux voir ses prunelles vertes.
- Je suis sérieuse. Je te pardonne. Je veux vraiment vivre ce championnat du monde avec toi, qu'on ne reparte pas de zéro, mais que je passe à autre chose. Je te crois quand tu me dis que tu es désolé. Et... je pense que je te crois quand tu dis que tu m'aimes.
- Évidemment que tu dois me croire !
Il a parlé un peu fort alors il s'excuse et se ratatine sur lui-même, les joues rouges. Je ris pour me moquer un peu de son visage adorable alors il me chatouille discrètement pour me faire payer. Nous nous calmons mutuellement, reprenant le cours du film sans pour autant comprendre de quoi ça parle. Mais ce n'est pas grave. Dans ses bras, mon cœur s'apaise. J'ai l'impression de pouvoir soulever des montagnes, et c'est ce que je compte bien faire dans deux jours.
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