Chapitre 43

Les papillons tranchants

Amélie

Je suis clouée au lit, littéralement. Dès que je tente de bouger ne serait ce que d'un millimètre, un marteau piqueur se lance dans mon crâne. Je savais que la décuite serait dure, mais à ce point ? Je n'ai pas signé pour ça. Je n'ai pas non plus signé pour la peine que je ressens actuellement, parce que je me souviens de tout.

Comme je sens les larmes me monter aux yeux, je décide de braver la cuite en me levant de mon lit. Le paracétamol ne va pas tarder à faire effet, je le sais. Je l'espère.

Charline dort encore dans mon lit alors je l'y laisse. Elle aussi va avoir une sacrée surprise en se réveillant tout à l'heure...

Je ferme doucement ma porte puis descends les escalier en tanguant un peu. Je sais que je ne suis plus bourrée, ce qui est un début, mais je sens quand même que je ne suis pas la plus fraîche qui soit. Et mes parents le comprennent aussi en pouffant de rire quand j'arrive dans le salon.

-    Rude soirée ? Me demande papa avec un petit sourire.

Je relève la tête pour mieux les voir, mais leur sourire disparait vite en voyant ma mine plus triste qu'autre chose.

-    Oh, merde, ça va ma chérie ?

Je secoue la tête et il se lève pour venir me prendre dans les bras. Maman ne fait pas pareil, je devine qu'elle a la flemme vu que de toute façon je vais m'assoir à côté d'elle. Il me lâche puis je me pose à leurs côtés, ma tête sur l'épaule de maman, et je déballe tout. Je leur explique la soirée du début à la fin, zappant quand même ma montée d'alcool fulgurante, mais tout ce qu'il s'est passé sur la plage y passe. Personne ne m'interrompt, ma mère me caresse les cheveux quand je pleure, et je vois papa qui fume de plus en plus.

-    Je vais aller le défoncer, il marmonne en me prenant dans ses bras, ignorant maman entre nous deux.

-    Ça ne sert à rien, je ne veux pas être triste.

-    Et on ne veut pas que tu sois triste non plus...

Je soupire et me blottis contre mon père. Ma mère tousse, un peu coincée entre nous, puis on décide de mettre un film. Papa essaye plusieurs fois de se lever pour aller voir les voisins, mais maman l'engueule alors il se rassoit. Quand Charline se lève et nous rejoint, ses cheveux sont comme un afro mais avec plus de nœuds. Elle vient près de moi et mes parents ne disent rien. Nous regardons le film en silence tous les quatre, jusqu'à ce qu'on se rendorme toutes les deux.

***

J'ai mal partout mais surtout à mes pauvres bras qui se font torturer depuis des semaines. D'un commun accord, un peu comme un pacte entre ma famille, Charline et moi, pas de place à la tristesse. On s'est tous concertés pour dire qu'il n'y a que les championnats qui comptent et que Baptiste ne me mérite pas. Depuis une semaine, ils font tout leur possible pour que je n'y pense pas et que je passe la meilleure semaine possible. Devant eux, je souris, ris et essaye d'être la plus enjouée et motivée possible, mais en réalité je dépéris un peu plus chaque jour. Le soir, quand je suis seule dans ma chambre, ma peine est si forte que je m'étouffe avec mes sanglots jusqu'à l'épuisement. Je ne pensais pas que l'amour me ferait si mal. Je pensais être plus forte que ça, mais je réalise que ce n'est pas le cas.

Baptiste a essayé de me contacter plusieurs fois en passant chez moi, mais mes parents l'ont rembarrés. Au club, pas besoin de parents quand mon garde de corps se nomme Charline. Impossible pour lui de m'approcher à moins de cinq mètres sans qu'elle morde. C'était dur au début pour moi d'accepter de tourner la page comme ça, sans qu'on ait pu discuter seul à seul. Mais au fond, c'est peut-être la meilleure chose à faire pour moi. Je ne peux pas me laisser aller avec des histoires de cœur, j'ai un enjeu bien plus grand qui approche à grands pas.

-    Amélie ? Je peux entrer ?

Je sèche mes dernières larmes en attendant la voix de Charline à travers la porte de ma chambre. Je tousse pour chasser les trémolos de ma voix puis l'invite à venir. Je suis sûre qu'on crame facilement que j'ai pleuré, mais tant pis. J'ai le droit d'avoir des sentiments.

-    J'ai amené ma console ! Me dit joyeusement mon amie en se jetant sur mon lit.

Ses cheveux sont ramenés en une grosse tresse épaisse, et elle a pris le temps de se maquiller avec des tonnes de paillettes. Ça lui va bien. Avec tout ce qui lui arrive, tout ce qui m'arrive, je ne veux pas qu'elle s'oublie. Ce qu'elle traverse est bien plus compliqué que moi, alors je ne veux pas qu'elle se réfugie auprès de moi pour s'oublier. J'ai dû mal à la congédier, ce qui est égoïste, mais il va falloir que je commence à le faire. Une semaine que nous sommes collées ensemble, c'est trop je pense, on a besoin de notre espace chacune.

J'ouvre la bouche pour dire ça, ne sachant pas trop par où commencer, mais elle ne m'en laisse pas le temps en me donnant ma console dans les mains. Elle se lève, allume mon tourne-disque et laisse tourner le vinyle que j'ai dû laisser dessus. Elle me rejoint sur le lit en tailleur, allume sa console et me donne entre-temps ma cartouche pour jouer. Je la saisis et la musique se met à raisonner dans la pièce. Ma gorge se serre quand la voix d'Eminem retentit autour de nous. Mes larmes montent quand je vois qu'elle m'a sorti mon Animal Crossing. Un gémissement de douleur s'échappe de ma gorge et Charline redresse instantanément la tête comme un chien de garde.

-    Ça va ? Elle me demande avec une réelle inquiétude.

Je déglutis péniblement, me retenant de pleurer.

-    J'ai besoin d'être seule Cha'.

-    Tu es sûre ?

Son regard doré me scrute avant qu'elle ne comprenne que je suis sérieuse. Je ne veux pas la blesser, mais je pense que j'ai besoin de pleurer encore un bon coup. Elle est souvent là, mais le soir j'ai besoin d'être seule. C'était notre truc, les soirées comme ça. Je ne peux pas. Pas de suite.

Ma meilleure amie pose un baiser sur ma joue, la mine triste, et remballe ses affaires en silence. Quand elle quitte la pièce, je laisse tomber ma console sur le lit et m'allonge pour fixer le plafond. Je n'ai pas le courage d'être la musique, alors les musiques s'enchaînent dans ma tête. Mon cœur est lourd, mon cerveau est triste, et tout me fait mal. Mais je dois rester forte. Ce n'est qu'un mec.

« We'll walk this road together, through the storm

Whatever weather, cold or warm

Just let you know that, you're not alone

Holla if you feel like you've been down the same road »

***

J'arrive à la cale, descends d'un petit saut maitrisé de ma planche. Avec rapidement et méthode, je détache ma planche de ma voile en faisant attention aux catamarans qui arrivent autour de moi. Hors de question de trouer ma voile maintenant, ce n'est pas le moment.

À bout de force, je ramène la toile au bord de l'eau, attrape ma planche que je soulève pour la ramener un peu plus haut à l'abri. Les algues séchées sur la cale me cisaillent les pieds mais je me contente de grimacer. Dans cinq minutes, c'est fini. Je me dépêche de poser ma planche sur le bitume puis retourne en courant chercher ma voile qui flotte autour de tous les autres supports. Heureusement pour moi, elle n'a rien. Je la soulève à bout de bras, la passe par-dessus ma tête, puis quand elle semble stabilisée je commence à monter la cale en pente. Des sueurs froides coulent le long de mon échine mais j'ignore ces signaux de malaises. J'avoue que j'ai un peu abusé à l'entraînement aujourd'hui. L'avantage que je peux trouver à ma peine de cœur, c'est que depuis plus d'une semaine je me défonce aux entraînements et ça paie. Quand je n'oublie pas de me nourrir, ce qui est le cas de ce midi...

J'arrive enfin sur la terrasse en bois, pose ma voile en gémissant de soulagement, puis me retourne pour aller chercher ma planche. Le plus dur est fait.

-    Amélie !

Livia arrive vers moi en courant, ses cheveux rouges flottant dans le vent. Je lui souris, un peu hypocrite je l'avoue, mais ne m'arrête pas pour autant. Elle me rejoint tandis que je marche, déterminée à ne pas perdre de temps pour ranger mon matériel.

-    Punaise, tu marches vite !

-    Qu'est-ce que tu veux, Livia ?

L'adolescente grimace en soupirant, impuissante.

-    Je ne veux pas que tu m'en veuilles parce que tu en veux à Baptiste. Je n'y suis pour rien moi.

-    Je sais, je ne te fais pas la tête du tout. Je suis juste occupée là.

J'attrape ma planche par les straps, pose mon épaule sur la dérive et soulève d'un coup pour qu'elle repose en entier sur celle-ci.

-    Tu mens, tu ne me calcules pas et Baptiste est exécrable à la maison. J'en ai ras-le-bol de votre guerre de merde !

-    Ce n'est pas une guerre, Livia. Il a fait le con, il en paye le prix. Moi ou ses potes, il a fait son choix, je crache un peu trop sèchement.

Malgré le recul que j'ai maintenant, je ne peux pas m'empêcher de prendre ça à cœur. Je lui en veux beaucoup maintenant. Je lui en veux que ça me touche autant.

-    Mais putain, il n'a rien choisi du tout ! Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais il a renvoyé ses potes en Italie. Je ne savais pas qu'ils étaient ici jusqu'à ce qu'il rentre super énervé samedi premier. Le lendemain, papa et lui se sont engueuler comme des ados et ils se parlent à peine maintenant. Avec Ludo, on en peut plus de cette tension permanente dans la maison. Il t'a choisi je crois.

-    Il m'a choisi de quoi, Livia ?

Je m'arrête de marcher, réellement agacée d'avoir cette conversation. Je m'en fous de savoir qu'il ne parle plus à son père, tant mieux pour lui ! Moi, je parle au mien.

-    Il m'a laissé me défendre devant des bouffons sans même lever le petit doigt. Il n'a pas assumé qu'on soit ensemble, c'est suffisant pour faire une « guerre » comme tu dis.

Livia ne me répond pas de suite, mais je sens qu'elle aussi est affectée par la situation. Elle a beau être une ado un peu rebelle en conflit constant avec son frère, elle ne peut pas nier que la situation s'améliorait avec lui. Maintenant qu'il doit la rejeter, elle doit se sentir idiote d'avoir fait tant d'efforts.

-    Écoute, je n'ai pas tous les détails, elle chuchote avec la gorge nouée, mais je sais que papa le forçait à être ami avec ces types. Je ne pense pas qu'il voulait te faire du mal. Il n'avait pas le choix. Fais-en ce que tu veux de cette information, mais je ne veux pas que tout éclate alors que je commence à me sentir bien ici.

-    Merci vraiment Livia, mais ce n'est pas de ta faute. Tu ne pourras rien y faire. Je comprends ce que tu me dis, mais ça ne change rien à ce que je pense.

Elle me sourit tristement, hausse les épaules et nous reprenons la marche. Elle m'abandonne quand on croise Achille sur la route, et moi je me retiens de pleurer. Ça fait plusieurs jours que je ne le fais plus, c'est pas le moment de craquer.

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