Chapitre 40
« Une femme sans amour c'est comme une fleur sans soleil, ça dépérit » — Amélie Poulain
Amélie
Baptiste ne me répond pas. Baptiste me ghoste ou je ne sais quoi, mais je ne sais pas où il est, ce qu'il fait, depuis hier. J'ai tenté de passer chez lui, mais Livia est à l'école, Ludo travaille avec ma mère et Francesco c'est toujours une énigme pour tenter de l'apercevoir en semaine. J'ai veillé hier soir en espérant qu'il me rejoigne pour jouer ou pour discuter, mais rien. J'ai envoyé un message pour qu'on se voit après mon entraînement, mais pas de réponse.
Résultat, je suis en train de m'entraîner à m'en faire saigner les mains, rageant pour un rien. Charline tente de me calmer mais je n'y peux rien, mon coeur me fait mal et je ne sais pas pourquoi. Ce n'est rien en soit, il ne répond pas parce qu'il est occupé... Mais on vient de passer une semaine tellement cool et adorable ensemble que je me pose des centaines de questions. Je n'ai pas eu mon « bonne nuit » hier soir, vous vous rendez compte ? Un truc cloche.
— Amélie... Faut que tu arrêtes un peu là. J'ai dû mal à te suivre quand tu siffles pour qu'on vire de bord parce que tu siffles toutes les secondes ! La cadence est trop rapide, on dérive plus qu'on avance.
— Mais on devait bosser nos virements et empannages, marmonné-je en tenant ma voile à une main, assise sur un ponton qui porte des optimists retournés.
Les petits bateaux sont pleins de crottes d'oiseaux, beurk.
— Je suis d'accords avec toi, râle mon amie en se joignant à moi, mais le but c'est qu'on s'entraîne ENSEMBLE. Tu penses vraiment que ça va te servir de tomber toutes les trois secondes ?
— Il n'y a que toi qui tombe.
Je n'arrive pas à retenir le petit rire qui s'est installé dans ma gorge, mais dès que ça sort je regrette. Je ne me sens pas joyeuse.
— Amélie...
Charline soupire en lâchant sa voile qui s'écrase doucement dans l'eau. Elle en profite pour se tourner vers moi, l'air grave, et refait son chignon trempé.
— Je sais qu'il ne répond pas à tes messages et qu'il ne semble pas avoir dormi chez lui hier. Mais je pense qu'il est juste occupé avec ses cours. Ça fait une semaine que vous êtes collés tout le temps ! Vous n'avez pas pris de temps pour vous, vous ne savez pas gérer ça.
— Je ne comprends rien là...
— En gros. Vous êtes tout le temps ensemble et ça se passe super bien. Mais maintenant qu'il faut être un peu seuls, prendre du recul, vous ne savez pas faire parce que vous n'avez pas eu le cas encore. Il faut juste communiquer là-dessus.
— Facile à dire quand il ne répond pas !
— Mais justement ! Quand vous allez vous revoir, dis lui sans t'énerver, qu'il comprenne. Si tu t'énerves, il va s'énerver parce qu'il ne comprendra pas le problème. Si tu lui expliques que ça t'affecte de ne pas avoir de nouvelles au bout d'un jour, il fera attention et ça sera ok. Tu comprends ?
J'hoche la tête, le cœur serré. Quand les pensées négatives arrivent, me laissant imaginer qu'il me trompe déjà, je me relève d'un coup sur ma planche, j'attrape mon wishbone et fais comprendre à Charline qu'on y retourne. Mon amie se laisse tomber en arrière, s'allongeant sur le bitume en râlant. Je ris un peu mais ne lui laisse pas le temps de protester car je repars de suite. Il n'y a pas beaucoup de vent mais tant pis, j'y vais. Je pompe pour prendre l'élan, m'éloigne des potons pour trouver un peu plus d'air, et c'est reparti. Je navigue seule, pied derrière le pied de mat, voile sur l'arrière, ma planche pivote mais pas assez vite à mon goût. Je force un peu la planche, change de côté et relance la planche mais une rafale arrive pile à ce moment. Je me déséquilibre, tente de retrouver un peu de stabilité, mais c'est trop tard. La voile m'est arrachée des mains, je glisse en arrière et l'eau glaciale mort mon corps en un croc.
Je ressors de l'eau la bouche ouverte, surprise par l'eau qui rentre dans l'arrière de ma combinaison par le cou. Charline arrive vers moi en pleurant de rire, fière d'avoir observé ce spectacle ridicule.
— Non mais qu'est-ce que tu nous as fait là ? Elle dit entre deux-rires.
Je ne réponds pas, chasse l'eau salée de mes yeux et remonte sur ma planche à bout de force.
— Bon, reprend-t-elle plus calmement. On arrête les virements et on passe au près ? Le vent est parfait pour ça.
J'hoche la tête sans la regarder, relève ma voile avec mon tire-veille et la suis comme elle a pris de l'avance. L'eau glacée court encore le long de mon corps mais j'essaye d'ignorer mes tremblements. Concentrée, je me cale les pieds sous la voile, pointe de pied, harnais en place, et j'oublie ce qu'il se passe autour. Mon objectif : les étoiles.
***
Baptiste ne me répond pas. Ça fait cinq jours. Pas d'Animal Crossing. Pas de virée en voiture à hurler du Eminem. Pas de soirée à deux sur mon lit à écouter les vinyles tourner jusqu'à qu'on se prenne la tête pour savoir qui va aller changer le côté. On est samedi, et je n'ai pas de nouvelles depuis lundi. Je vais devenir folle.
En une semaine, je ne me suis jamais autant entraînée et énervée sur la compétition, au point que Lays m'a demandé de me calmer plusieurs fois. Je suis sur les nerfs, et je le sais.
J'ai pu aborder Livia presque tous les jours, quand elle revenait du lycée, mais elle non plus n'a pas trop de nouvelles de son frère. En fait, elle m'a gentiment fait comprendre que s'ils ne se croisent pas dans la maison, elle n'a pas de nouvelles tout court et elle s'en fout royalement. Encore plus maintenant qu'elle sort avec Achille. Le pire, c'est qu'elle a pitié de moi. Chaque fois que je sors les poubelles, que je sonne chez elle avec une boite de chocolat ou des bonbons, elle me regarde avec un air triste en secouant la tête comme si j'étais la personne la plus naïve de l'univers.
Une partie de mon cerveau refuse de croire qu'il me trompe. Mais une autre se demande s'il me trompe vraiment parce que, une semaine sans nouvelles, ça veut dire qu'on est toujours ensemble ou séparés ? Je ne sais plus.
— Et tu as demandé à ses parents ? me demande le coach en levant les yeux au ciel.
Je secoue la tête et Cha' fait de même, comme si on parlait d'elle. Aujourd'hui, Sacha et lui se sont arrangés pour que je puisse avoir un coaching privé en vue de ce qui m'attend. Résultat, on passe plus de temps sur le zodiac à discuter de ma vie sentimentale plutôt que de naviguer.
J'avoue que j'ai les bras et les abdominaux en compote à cause de cette semaine. C'est pour ça que Lays ne doit pas pousser le truc à fond.
— Son père est chirurgien alors il a des horaires délirants. Et sa belle-mère ne l'a pas vu non plus, ma mère lui a demandé.
Lissandre se gratte la barbe avant d'hausser les épaules comme s'il ne savait plus quoi me dire. Je le comprends, Charline n'a plus d'explications non plus.
— Ce que je ne comprends pas, reprend mon amie en fronçant les sourcils, c'est que tout le monde s'en fout d'où il est. Ok il est majeur, mais il vit chez ses parents ! Si je disparais pendant une semaine sans rien dire, mes parents vont péter un câble.
— Moi aussi, c'est vrai. Tu penses qu'il lui est arrivé quelque chose ?
— Je ne pense pas, Ludovica nous a dit qu'il allait bien parce qu'elle a eu un texto qu'elle ne peut pas nous dire. Mais elle ne semble pas trop inquiète que ce soit des extraterrestres qui se fassent passer pour lui à travers son portable...
Lays se tourne lentement vers elle, un air incrédule au visage.
— Charline, arrête la télévision, pour ton bien.
Je ris doucement mais ma poitrine me fait putain de mal. J'aurais éclaté de rire en général, mais là je n'ai pas le cœur à ça. Ça me tue d'être dans cet état, je n'ai même pas envie de pleurer, je suis juste perdue. Voyant que je commence à sévèrement déprimer, Lays claque dans ses mains pour nous réveiller.
— Départ dans cinq minutes pour un speed test ! On bouge ses fesses de mon zod les filles !
Charline se relève, attrape sa voile et s'écarte un peu, s'arrêtant pour m'attendre. Pas le choix, je la rejoins et Lissandre siffle pour nous indiquer le début de la procédure. Mes mains saignent, mais tant pis. La douleur physique n'est pas à la hauteur de ce que je ressens intérieurement en ce moment.
Les championnats du monde, c'est tout ce qui doit compter, et c'est tout ce qui me fait tenir.
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