Chapitre 36

In my life we'll always go on

Amélie

Plus qu'une manche. Plus qu'une dernière petite manche et c'est terminé. Mes membres sont vraiment douloureux en ce début d'après-midi et mon ventre commence à gargouiller. Cinq manches aujourd'hui dont la première à dix heures du matin pour finir plus tôt. Cinq foutues manches alors que tout le monde est au bout de sa vie.

La blonde s'est calmée depuis sa sanction, mais elle me le fait payer autrement en redevenant un pot de glue. Je commence presque à me demander si elle est capable de prendre ses propres décisions ou si c'est juste que j'en prends des meilleures qu'elle. Bref, au moins, elle ne m'insulte plus.

Une minute.

Je souffle longuement en gardant ma position sur la ligne. Il y a un peu de vent, mais ce n'est pas aussi plat qu'hier ou une tempête comme avant-hier. Avec un peu de chance, j'arriverai à planer en trouvant la bonne risée. Avant ça, le départ.

— PAS DE PLACE ! je hurle quand j'entends quelqu'un pousser légèrement ma planche sur le côté.

Qu'on ne vienne pas me casser les pieds pour la dernière manche ! Je n'ai aucune idée du classement comme je n'ai gagné que quatre manches en tout sur la compétition, mais tout dépendra des femmes devant moi. Je ne crois pas que ce soit souvent la même qui ait gagné, c'est assez aléatoire, sauf la blonde qui doit être kif-kif avec moi. Espérons que la protestation aura eu un impact suffisant pour la faire bien descendre dans le classement final.

Placée sur la ligne autour des autres concurrentes qui tiennent leur wishbone à bout de bras, je me concentre à fond en ignorant les cloques ensanglantées sur mes paumes. Hier, j'ai tellement pompé et donné mon âme dans les manches que mes mains se sont ouvertes pour former de grosses crevasses malgré ma corne de main bien développée. Lays a tenté de me mettre du sparadrap pour protéger les plaies, mais rien n'a tenu dès la première manche de la journée. Tant pis, il faut souffrir pour gagner.

Je suis assez près du comité pour entendre le décompte se lancer. J'essaye de prendre de l'élan, mais la même personne que tout à l'heure pousse un peu ma planche. Je serre les dents pour me retenir de lui éclater sa tête et surtout essayer de ne pas foirer mon départ, puis pars en vitesse quand le coup de sifflet retentit.

Comme d'habitude, je trace pour dépasser le troupeau de voiles et être tranquille. Cette fois, la blonde ne me suit pas ce qui est une première. Très vite, j'arrive à la bouée au vent que je passe sans soucis, suivie de près par quelques concurrentes. Je fonce à la deuxième en travers, arrivant à planer un peu malgré le vent qui ne se lève pas. Je la passe mais la brune me talonne, sortie de nulle part.

Descente à une bouée, je m'active mais la douleur vive dans mes paumes me rappelle à l'ordre à chaque mouvement trop brutal. Je dois faire une demi-tonne de grimaces en ce moment, j'espère que les photographes ne me prendront pas en photo aujourd'hui.

Je la passe mais la brune me double. Elle arrive à prendre le virage sèchement pour faire une superbe remontée à la bouée précédente. Je ne pense pas pouvoir la rattraper.

Elle la passe quelques secondes avant moi, puis on redescend encore à l'autre bouée. Elle a de l'avance, pas beaucoup mais suffisamment pour que je ne puisse pas la rattraper. Elle doit souffrir autant que moi et pourtant elle arrive à mettre ses dernières forces dans ce bord qui va faire toute la différence.

Moi, je n'ai plus de jus.

Je passe la bouée après elle, mais elle est déjà au niveau de la ligne d'arrivée. Quand je la passe, c'est une deuxième place qui m'attend pour cette manche. Tant pis, elle a été meilleure je ne peux pas dire le contraire.

Je m'écarte de la ligne sans pour autant réussir à aller jusqu'au bateau de Lays. Je lâche ma voile qui tombe dans l'eau avec fracas. Mes jambes n'arrêtent pas de trembler. Les coachs arrivent près de moi, Sacha attrape mon tire-veille pour remonter ma voile dans le bateau quand Lays manœuvre. Baptiste me tend une main pour m'aider à remonter avec eux, mais je décline en montrant l'état de ma main.

— Putain, Amélie ! s'exclame Lays avec les yeux ronds. T'as les mains en sang !

— Et j'ai même pas gagné... marmonné-je en enjambant le boudin pour rentrer dans le bateau.

— On te ramène à terre, annonce Sacha d'un ton ferme. De toute façon, vu ton état, tu n'es pas capable de rentrer à la voile.

J'acquiesce et m'assoie près de Baptiste quand Sacha m'indique qu'il se charge de mon matériel. Je le remercie et soupire pour reprendre une bonne respiration.

Je suis un peu déçue de ma dernière course et de mes forces qui m'ont abandonnées, mais c'est comme ça. Je ne peux pas revenir en arrière.

Un bras puissant se pose autour de mes épaules puis Baptiste m'amène contre lui. En silence, j'accepte son étreinte et ferme les yeux.

C'est fini. C'était le dernier jour et tout à l'heure, on aura les résultats. Même si j'ai un très mauvais pressentiment, j'essaye de le mettre de côté et de ne penser à rien d'autre qu'au poids du bras de Baptiste sur mes épaules. Ce ne sont que mes angoisses qui parlent, tout va bien se passer.

***

— C'est pour bientôt, nous annonce Lissandre en frottant ses mains l'une contre l'autre.

Tout le monde est réuni autour des trois coachs, matériel rangé sur les remorques, prêt à partir. Ce matin, nous avons dit au revoir au camping et toutes les conneries qu'on fait les garçons, puis c'est au tour de ce spot d'être abandonné une fois que nous aurons passés la remise des prix. Les derniers retardataires viennent se joindre à nous, puis Lissandre commence son petit discours de fin de régate.

— Alors, c'était une compétition très éprouvante avec des conditions difficiles qui ont donné des sueurs à plusieurs d'entre-vous. Je voulais donc vous féliciter d'avoir été au bout, que personne n'ait abandonné et que vous soyez toujours là devant moi. Vous avez tous fait de bons classements même si le niveau était assez élevé et que pour beaucoup, c'était votre premier national. Ne soyez pas triste de ne pas avoir de podium ou d'être dans les dix premiers, on s'en fout de ça et vous le savez. C'est une expérience avant tout qui vous servira pour savoir ce que vous devez améliorer.

Lays se tait pour laisser place à Sacha qui, un peu pris de court, bégaye un peu.

— Euh... Donc... En général je ne suis pas sur les énormes compétitions car je me charge des D3 mais comme beaucoup d'entre-vous ont été formés par moi pour venir ici, je me devais de vous accompagner. Je suis fier de tout le monde ici, même ceux qui sont en fin de classement. Comme disait Lissandre, ça vous permettra de connaître vos axes d'amélioration et on pourra travailler ça dès notre retour chez nous. Mais sachez que je tiens à saluer une chose, votre esprit d'équipe. C'est un sport individuel, certes, mais même quand certains d'entre-vous ont eu des conflits les uns avec les autres sur l'eau, vous avez été réglo et vous avez réparé comme il se doit. Et même si vous avez fait quelques conneries au camping, je préfère ça qu'un groupe qui se font des coups pourris.

Tout le monde se met à applaudir Sacha qui rougit jusqu'au sommet de son crâne. Le pauvre, tout le monde sur la plage nous regarde. Il se tourne vers Jocelyn pour qu'elle lui vienne en aide, mais elle ne semble pas avoir quelque chose à rajouter.

— Ah, intervient Lissandre en posant une oreille sur sa VHF, il semblerait que la remise des prix va avoir lieu. On y va.

Charline se met à sauter dans tous les sens en suivant le troupeau qui se dirige vers le club nautique tandis que mes parents sont déjà en tête de file. J'ai envie de fuir.

Il y a énormément de monde à rejoindre la terrasse où un podium a été installé ainsi qu'une table remplie de trophées et de médailles. Mon cœur bât à mille à l'heure et mes mains deviennent moites. Si jamais je suis seconde, je ne sais pas comment je réagirais. C'est un bon classement, très bon même, mais il n'empêche que ce n'est absolument pas ce que je veux.

Je pense que je le vivrai comme un échec.

Alors que tout le monde se met à discuter vivement en attendant le début de la remise des prix, le brouhaha me fait totalement divaguer. J'ai l'impression d'être dans un autre monde, seule. À ma gauche, Charline discute avec Lucas, tous les deux tremblants d'excitations. Plus loin devant, avec tous les coachs, mes parents se tiennent par la taille, plus amoureux que jamais. Une main chaude et ferme attrape la mienne, et mon regard trouve celui de Baptiste. Il serre doucement ma paume en me lâchant un sourire qui se veut rassurant. Je serre aussi la sienne de toutes mes forces pour m'encrer à quelque chose de bien réel et oublier le stresse qui monte. Du bout du pouce, il commence à faire des gestes circulaires qui me permettent de rester calme. Je me concentre de toutes mes forces sur chaque mouvement, jusqu'à ce qu'un homme tousse dans les enceintes.

— On va procéder à la remise de prix, si vous voulez bien faire du silence.

L'assemblée diminue le volume puis l'homme commence à remettre les prix des minimes. Ma poitrine se contracte, et je respire un bon coup.

C'est le moment.

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