Chapitre 34

Go Go Power Rangerssss, tuuututuututuuuu

Amélie

Dernier coup de sifflet. Je me mets à pomper comme jamais pour me créer de l'air, bien décidée à prendre de l'avance sur la blonde. Comme d'habitude, elle lâche des cris ridicules à chaque mouvement comme si faire du bruit l'aidait à avoir plus de force. Ridicule.

À la première occasion, je vire de bord en criant ma priorité pour qu'on me cède le passage. Au moins, l'avantage avec un parcours mal mouillé, c'est que quand on part à bâbord donc sans avoir la priorité sur la flotte qui part à tribord de la ligne, eh bien on gagne la priorité quand on se recroise plus loin dans le sens inverse.

Je continue de pomper de toute mes forces, profitant de l'avance que j'ai gagné sur la blonde pour souffler un peu. Pas d'air aujourd'hui, mais ce n'est pas une excuse, il faut savoir s'adapter à chaque situation.

Au bout d'un bon quart d'heure à me battre avec le vent inexistant, j'arrive à la bouée. Ma concurrente arrive aussi, plus suante que moi mais quand même présente. Je passe sous elle, prête à crier si elle ne me laisse pas assez de place, mais à la place c'est elle qui parle en première.

- T'as pas l'impression de gêner salope ?

Ah. On passe aux insultes plus classiques cette fois. Plus d'attaques sur mon physique au moins. J'observe rapidement autour de moi sans me dégonfler pour observer s'il y a du monde autour de nous. Un bateau de jury est trop loin pour nous entendre, mais la brune et Noémie ne sont pas si loin de nous au final. Je prends une grande inspiration, prête à en découdre.

- PROTEST', je hurle autour de moi pour attirer l'attention.

Le bateau jury nous regarde, intéressés de voir si la blonde va faire un 360 mais que nenni. Celle-ci serre la mâchoire, baisse la tête, et continue la course. Je la talonne de près, vérifie que le jury note bien ma protestation, puis poursuis la régate.

Je ne me laisserai plus faire.

***

- Tu vas donc protester, hein ?

Baptiste apparaît dans mon champ de vision, son short rouge plein de sel dévoilant ses jambes musclées qui ressemblent presque à celles d'un cycliste. Un peu trop à mon goût mais je ne crache pas dessus.

- Il faut bien défendre mon honneur, je souris en répliquant.

- Tu as raison, cette peste ne mérite que ça.

J'aurais donné cher pour voir le visage de la blonde quand on lui a annoncé le rendez-vous pour défendre sa position. Je n'ai jamais vécu ce type de protestation alors je ne sais pas trop sur quoi m'appuyer hormis la défense de Noémie que j'ai pris comme témoin. Malgré notre passé compliqué, elle n'a pas hésité une seule seconde. Non pas par sympathie pour moi, ça aurait été trop beau, mais juste pour, je cite, « défoncer cette connasse de poufiasse de mes deux ».

Très poétique, je sais.

- C'est bientôt d'ailleurs ? Me demande Baptiste l'air un peu gêné.

- Dans trente minutes je crois.

- D'accord.

L'ambiance est assez particulière. Autant on discute brièvement sur l'eau, autant maintenant... j'ai l'impression qu'un fossé s'est crée entre nous par ma faute. Même si je ne regrette pas un instant mon choix et que la régate occupe tout mon esprit, parfois il me manque un peu quand je n'arrive pas à dormir. Notre complicité me manque. Nos moments ensembles aussi. J'ai même hâte que l'on rentre en Bretagne pour que tout redevienne comme avant et qu'on reprenne là où on s'est arrêté.

- Au fait, j'ai une petite surprise pour toi.

Méfiante, je le regarde en biais pour essayer de desceller la moindre expression qui trahirait sa surprise, mais rien du tout. Il me sourit de toutes ses dents comme un idiot, fier comme un paon.

- Je voulais attendre avant, il m'explique en sautant d'une jambe sur l'autre, mais je ne tiens plus du tout et ta surprise non plus.

- Je serais contente ? Je demande les yeux plissés.

Il se recule avec les deux mains en l'air comme si je braquais un flingue sur lui. Et il arrive à m'arracher petit sourire.

- Je ne te garantis pas que tu vas sauter de plaisir et faire un pipi de joie, mais je te préviens, ce n'est pas une tarte au citron.

- Un poney ?

- Question piège, tu en es allergique.

Putain, qu'est-ce qu'il me manque. J'ai presque envie de lui sauter dessus pour agripper son cou et poser mes lèvres sur les siennes. Oui, il me distrait tellement que j'en oublie ma protestation.

- Un tube de coloration alors ?

- Toujours pas, retourne-toi.

Un peu dubitative mais assez curieuse pour le faire, je me retourne lentement en imaginant une énorme part de tarte citron meringuée m'attendre sur un beau plateau mais pas du tout.

Une choucroute blonde, des lunettes fantaisies et une crinière blonde.

Ma bouche s'ouvre toute seule alors que Charline me saute dans les bras, comme je voulais faire plus tôt avec Baptiste, le baiser en moins. Elle me serre fort en me berçant de gauche à droite et c'est seulement au bout de quelques secondes que je me rends compte de ce qu'il se passe. Je la serre à mon tour, heureuse de la voir ici.

- Alors ma chérie, cette journée ? Me questionne papa en passant une main dans ses cheveux poivre-sel.

- Henry, attends au moins que je lui fasse un câlin avant que tu ne poses toutes tes questions.

Charline s'écarte de moi pour laisser ma mère venir me serrer contre son pull jaune fluo et son jean bleu électrique. Décidément, même en trois jours elle n'a pas décidé de s'habiller plus sobrement. Je la serre contre moi en essayant d'éviter de bouffer ses cheveux et sa grosse boucle d'oreille orange. Elle me laisse enfin respirer puis c'est papa qui me fait une accolade plus sobre, assez étonnant lui qui d'habitude aime bien me faire d'énormes câlins bien longs.

- Alors, la journée du coup ?

Je lui lâche un grand sourire avant d'expliquer toute ma journée de course avec passion. Je m'emporte un peu en parlant de la blonde et de ma protestation mais personne ne me coupe dans mon récit bien que maman regarde déjà furtivement autour d'elle pour trouver une blonde à qui péter ses dents.

- Et ta protestation est quand ? Demande maman en fronçant le nez de mécontentement.

- Dans un quart d'heure, j'ai largement le temps.

- On est fier de toi en tout cas, interrompt papa en me prenant par les épaules. Tu es dans le top du classement dans tous les cas, plus que demain et on sera fixé.

J'acquiesce doucement et remarque que Baptiste n'est plus là. Papa me libère alors j'en profite pour essayer de le trouver et c'est le cas. Plus loin, il discute avec Jocelyn qui est encore en tenue de navigation. Je suppose qu'elle doit être malade depuis quelques jours car ses joues se creusent et elle a de sacrés cernes. Je sais qu'elle fait du diabète comme elle se pique tous les jours dans notre bungalow, mais je commence à avoir un peu peur qu'elle cache quelque chose de plus grave.

- Amélie, appelle quelqu'un derrière moi.

Je me retourne pour voir Noémie et ses tresses, se remaquillant la bouche d'un rouge cerise comme d'habitude. On a presque du mal à la reconnaitre sur l'eau quand elle n'en porte pas.

- On va peut-être y aller ? Autant être avant cette cruche.

J'hoche la tête et prévient rapidement ma famille pour suivre ma concurrente, alliée le temps de quelques minutes. On ne sait pas trop où aller alors on vagabonde dans le bâtiment du club jusqu'à trouver l'endroit où se tiendront les protestations. Par chance, il n'est pas très tard et on passe dans les premières si ce n'est pas premières. Je n'aime pas trop arriver à de tels extrêmes, mais on n'a pas le choix. Je ne peux pas la laisser me martyriser comme une adolescente alors qu'on est dans une régate décisive. Si je perds, je veux au moins garder les bons souvenirs.

- Ça va ? Me demande Noémie d'un ton posé.

- Oui, un peu nerveuse.

- C'est normal, ça va bien se passer t'en fait pas. Je suis une reine pour gagner les protestations tu verras.

- C'est vrai que tu es habituée à force.

Noémie ricane tout bas pour ne pas se faire remarquer, puis reporte son intention sur le tableau qui relate toutes les protestations qui vont être traitées aujourd'hui. Quand j'y jette un coup d'œil, je suis un peu étonnée — et fière — de voir que le nom de Lola y est inscrit. Je ne l'ai pas croisé de toute la compétition et même de retour sur terre, mais je suis sûre qu'elle va gérer.

- J'ai vu Charline tout à l'heure avec toi, m'annonce mon alliée en lisant toujours les noms.

Je confirme en me rappelant qu'elle aussi a vécu quelques trucs avec Adam dont elle m'en a révélé quelques brides. Je n'ai pas eu envie d'en parler à ma meilleure amie en pensant que Noémie sera plus précise quant à son vécu, mais c'est vrai qu'il est peut-être urgent de s'en inquiéter alors qu'elle est en pleine procédure judiciaire.

- Ça te dérange si je vais lui parler après la protection ? Tu n'auras plus besoin de moi et... j'aimerais bien porter plainte aussi.

Je suis un peu étonnée de ce qu'elle m'avoue mais en même temps, mon cœur se serre. Je me dis que ça aiderait énormément Charline pour dénoncer Adam et son comportement tout en montrant qu'il récidive, qu'elle ne ment pas ! Mais je me dis aussi que pour porter plainte, c'est que Noémie a dû souffrir, elle aussi. Que pendant tout ce temps, elle n'a rien dit, elle a préféré oublier plutôt que de se lancer dans une procédure qui n'est pas sûre d'aboutir.

- Je suis fière de toi, je dis avec un grand sérieux. Pas pour Charline, même si tu l'aideras énormément. Mais parce que tu as du courage. Je sais qu'on ne s'entend pas à merveille depuis des années, mais ça ne m'empêche pas de te trouver sacrément forte et courageuse.

Le regard brun de Noémie trouve le mien, embué de larmes. Elle lâche un petit merci qui ressemble plus à un murmure jusqu'à ce qu'un homme nous interrompe sans que je ne puisse lui dire une dernière chose.

- Madame Marceau et madame Martin ? demande l'homme qui a ouvert une porte.

- C'est nous.

- Entrez, je vous en prie.

Noémie entre la première dans le bureau, puis moi à sa suite. En face de nous, un autre homme plutôt âgé ainsi que celui qui nous a ouvert la porte. Il nous invite à nous asseoir en face de lui, puis c'est la blonde qui rentre à son tour, le visage couvert de sueur et essoufflée.

Elle a failli oublier je parie.

Quand elle me voit puis qu'elle voit Noémie, ses yeux s'arrondissent comme des soucoupes.

Eh ouais ma belle, on va te couler.

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