Chapitre 31
À vos marques...
Amélie
Le téléphone sonne deux fois dans le vide avant qu'une voix claire ne me salue, enjouée mais avec une pointe de réserve. Charline semble rayonnante malgré les épreuves qu'elle traverse, je ne sais pas d'où elle trouve toute cette force.
— Coucou ma copine, comment tu vas ? demandé-je en m'asseyant sur les marches du bungalow.
— Ça va, me répond clairement Charline. Et toi, ma queen ? Comment c'était les premiers entraînements ?
Je soupire doucement en tirant une grimace qui me fait un peu ressembler au Grinch je pense. Chacun de mes muscles crient déjà à la mort et mon cerveau est à deux doigts d'exploser. Je lui explique comment tout s'est déroulé, la blondasse qui me gâche la vie et son amie brune trop impressionnable. Je n'oublie pas de mentionner ma première victoire et la deuxième défaite qui m'a plombée le moral mais au moins, j'ai eu le droit à un supplément de compote. Je parle vaguement de Noémie qui semble totalement à la rue et des garçons qui enchaînent les bêtises au grand désespoir de nos coachs, même si j'avoue que débarquer en moule-bite pile poil avant le premier entraînement était assez drôle.
Mon amie rit en me demandant toujours plus d'anecdotes mais je viens vite à court de ragot. En un jour, il ne se passe pas des centaines de choses non plus. Je lui parle un peu de l'accompagnatrice militaire et de l'ambiance sur le bateau, mais je me rends vite compte de mon erreur quand un grand blanc naît suite à ça.
— Baptiste est ici ? lâche-t-elle avec méfiance au bout de deux longues secondes.
Oups, dans le feu de l'action je n'ai pas pensé à lui parler de ce détail. J'ai abordé brièvement le fait qu'il s'est battu avec Adam et la suspension de leur licence, mais je ne l'ai pas eu au téléphone depuis mon départ hier après-midi. J'étais tellement concentrée sur mon objectif que je n'ai pas jugé bon de lui mentionner ce détail de taille qui pourrait me faire tout foirer s'il me distrait un peu trop.
— Oui, Lays a accepté qu'il l'accompagne sur son bateau pour toute la régate alors... il est là.
— Mais pourquoi ?
Trop de questions. J'adore l'enthousiasme de Charline, j'adore qu'elle aille bien malgré tout ce qui se passe dans sa vie, j'adore qu'elle ait la chance de penser à autre chose, mais là, c'est trop. J'ai l'impression d'être en lendemain de cuite et elle me harcèle de questions dont je n'ai pas la réponse. Pourquoi il est là ? Peut-être parce qu'on s'est embrassés. Pourquoi il ferait ça ? Parce qu'on s'aime bien ? Moi-même je n'en sais rien.
— Je ne sais pas trop Cha', il veut me soutenir je crois. Et comme il ne peut plus courir avec moi, eh bien il se déplace.
— C'est gentil de sa part je trouve.
— Oui c'est vrai.
— Tu as de la chance de l'avoir. Je m'en veux beaucoup tu sais...
Même si je suis seule, mes sourcils se froncent. J'attends qu'elle développe son idée mais rien n'a l'air de venir alors j'en profite pour caler le portable sous mon oreille et attacher mes cheveux roses en une mini queue de cheval ridicule.
— Charline, pourquoi tu t'en veux ? Tu n'as rien à te reprocher.
— Mais si, j'ai tout à me reprocher ! Je t'ai lâché comme une merde pour un mec. Pour un mec qui était horrible, en plus de ça...
Elle marque une petite pause qui me brise le cœur. Je ne veux pas que mon amie se pense fautive de tout ce qui lui est arrivée et pourtant...
— Enfin bref, je retire tout ce que j'ai pu dire sur Baptiste, il t'a aidé quand je n'étais pas là pour le faire et je m'en voudrais toute ma vie.
— Charline, c'est incroyable comment tu peux dire autant de conneries en si peu de temps. Ne t'en veux pas, c'est moi qui devrais m'en vouloir dans toute cette histoire. Je te rappelle que je n'ai rien vu, je t'ai laissé filer sans chercher à ouvrir le dialogue. Enfin bref, je ne veux pas avoir cette conversation avec toi par téléphone. Quand on se dira tout ça, se sera en face à face, d'accord ?
— Oui, je comprends.
— En attendant, ne culpabilise pas, mange du chocolat et dès que je rentre de cette régate avec mon ticket pour les championnats, on se fera notre meilleure soirée pyjama.
— Avec des sushis ?
— Et de la tarte au citron, des fruits et des burritos.
— Je t'aime, Amélie.
— Je t'aime aussi, Cha'.
Quelqu'un tousse nerveusement à ma droite et je découvre Lola, celle qui a remplacé Charline pour cette régate, serviette en main. Ses longs cheveux roux sont ramenés en un chignon digne de ceux de ma meilleure amie tandis que ses joues pleines de tâches de rousseurs s'empourprent. Du haut de ses quatorze ans, elle a déjà tout d'une championne sauf sa confiance en elle qui est inexistante, alors si je peux la soutenir un peu pour qu'elle tienne la cadence de ces quatre jours...
— Désolé Charline, je dois te laisser on va à la piscine. Gros poutou sur ta fesse droite.
— Et toi sur la gauche.
— Bisous.
Je raccroche et m'excuse auprès de la jeune fille qui m'attend. Ce soir, c'est pool-party au camping alors les coachs nous ont autorisés à y participer à la seule condition que les garçons mettent un bas digne de ce nom et pas de string pour les filles. C'est mal nous connaître.
J'ai un peu hésité, trouvant préférable de rester au chaud dans mon lit à détendre mes muscles engourdis, mais la petite Lola m'a convaincue. Timide comme jamais, elle n'osait pas vraiment y aller seule alors je lui ai proposé de l'accompagner. Voir un sourire comme le sien illuminer son visage m'a fait du bien.
Je me lève et nous nous dirigeons gaiement vers la piscine fermée. À l'intérieur, il ne semble pas y avoir beaucoup de monde mais beaucoup d'agitation, signe que les garçons ont déjà élu domicile dans l'eau. Au même moment, nous croisons justement un maître nageur qui ramène l'un des jeunes du Vent d'Ouest à l'extérieur, sûrement viré de l'endroit.
— Que des bouffons, lâche tout doucement Lola en soupirant.
— Non, pas tous. Ils sont juste jeunes. Et puis, dans dix minutes tout au plus, on aura la piscine rien que pour nous, tu as ma parole.
Je dépose rapidement ma serviette dans un casier et la rejoint dans le pédiluve. Beurk, j'accélère rapidement avant d'attraper des boutons tout comme Lola qui semble détester le moment, et la scène qui se déroule sous nos yeux me sidère. Le lieu est assez grand, avec pleins de bassins, un chemin plein de courant et des décorations qui donnent l'impression d'être dans la jungle, mais ce n'est pas ce qui nous scotche sur place. Au-dessus du bassin principal où se déroule une sorte de séance d'aquagym géante, les garçons sont tous rassemblés dans un petit bassin suspendu au milieu des plantes. On dirait une sorte de jacuzzi.
Une grande partie des planchistes se met à monter sur le rebord, là où toutes les familles peuvent les voir, et baissent tous à l'unisson leur caleçon. Plusieurs paires de fesses multicolores apparaissent, faisant arracher quelques rires et cris surpris d'enfants entre les protestations des parents mécontents. Trois maîtres nageur nous dépassent en trottinant, prêt à intervenir mais les garçons ont le temps de réagir et de s'enfuir avant qu'ils ne se fassent attraper. Je me tourne vers Lola qui arbore un air dégouté et dépité, ses sourcils broussailleux haussés.
— On ne les connait pas, hein ? la questionné-je dans un soupir.
— On va faire du toboggan ? réplique-t-elle en observant la course poursuite avec dépit.
J'acquiesce et attrape sa main pour nous emmener à l'opposé de nos amis, là où ils ne nous foutront pas la honte. Mon regard croise celui de Baptiste dans le grand bassin, souriant de toutes ses dents avant de se détourner pour reprendre le cours d'aquagym. Mon cœur se serre à cette vue, mais je ne dois pas craquer. Lola me montre le premier toboggan, et je la suis sans sourciller.
***
Premier coup de sifflet, mon cœur bât fort dans ma poitrine. Je jette un dernier coup d'œil à mes coachs tandis que tout le monde se presse autour de moi, mais ils sont trop occupés à rassurer Lola qui panique totalement. Baptiste, lui, a les yeux rivés sur moi. Ses yeux verts accrochent aux miens alors il me lance un petit clin d'œil qui se veut rassurant. Je souffle longuement pour me concentrer, libérer le stress, et c'est parti.
J'attire ma voile pour accélérer et zigzague entre les participantes qui sont beaucoup plus nombreuses que lors de l'entraînement. La voile tire déjà sur mes bras alors que c'est seulement le premier coup de sifflet, mais je sais que je suis capable de tenir. Souple sur mes appuis, j'amortis chaque vaguelette et anticipe chaque risée qui pourrait avoir ma peau à une minute du départ.
Un silence de mort règne sur la ligne. Seul le bruit du vent siffle dans nos oreilles avec les bruits que font les gens sur le bateau comité.
Trente secondes.
Je vide mon esprit pour me concentrer uniquement sur les sensations qui parcourent mon corps. La mèche rose près de mon oreille qui vole dans le vent. L'eau froide qui clapote sur mes pieds nus. Mes doigts de pieds contre le rugueux de la planche. Mes mains pleines de cloques sur la mousse du wishbone. Les yeux de Baptiste. Le sourire de Charline. Les cheveux de Baptiste. Les cheveux de ma mère. Le torse de Baptiste. La maladresse de mon père. Ses lèvres contre les miennes.
Un homme commence à hurler le décompte jusqu'à ce qu'il siffle bruyamment le départ. Les voiles s'agitent, les planches fusent, et je ne perds pas de vue la blonde.
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