Chapitre 29
Le calme avant la tempête
Baptiste
Sacha se gare dans le parking du super-marché à côté du minibus conduit par Lissandre et la drôle de dame qui nous accompagne. De tout le trajet, je n'ai fait que ruminer et repasser en boucle le visage d'Amélie. Son regard quand elle m'a vu discuter avec Sacha m'a fait froid dans le dos même si j'ai feint de ne pas l'avoir vu. Quand notre coach lui a expliqué toute ma situation, j'avoue que je ne m'attendais pas à sa réaction : elle est simplement partie avant d'enfoncer son casque profondément sur ses oreilles. Sacha m'a intimé de venir avec lui en voiture donc je n'ai même pas pu essayer de briser cette glace qui nous sépare depuis quatre jours.
Elle me manque.
Oui, Amélie qui me rendait fou il y a quelques mois me manque. Jouer avec elle aux jeux vidéo, regarder des films ridicules qui m'arrachent une larme à chaque fois ou nos discussions qui durent des heures me manquent. Ses cheveux roses me manquent. Son odeur de fraise me manque tout comme la voir en pyjama plus loufoques les uns que les autres.
Je soupire un peu trop bruyamment face à ces souvenirs ce qui interpelle Sacha. Il me lance un regard interrogateur mais je détourne les yeux pour ouvrir ma portière. Il semble respecter mon silence car il coupe le contact pour se joindre à moi en massant son crâne rasé. Deux voitures et le minibus du Vent d'Ouest nous rejoignent sur le parking presque vide. Il est dix-huit heures passées mais le super-marché ressemble à un vieil entrepôt abandonné, sans aucun client à l'horizon. Jocelyn nous salue avant de dire qu'ils partent déjà au camping. Plus organisés que nous, ils ont déjà prévu toutes leur nourriture pour la compétition. Sacha acquiesce avant de rejoindre notre minibus qui semble bien mouvementé. Lissandre descend en premier, les yeux rouges avec des cernes énormes qui me font penser à Droopy. On a l'impression que l'intérieur du minibus est une boite de nuit.
— La route s'est bien passée ? demande Sacha d'un ton amusé.
— Super... Ils ont refait ma playlist pour les cent ans à venir... Et vous ?
— Il n'y a que Baptiste qui m'a tenu compagnie. Les trois autres se sont endormis à l'arrière.
Lissandre acquiesce avant de se décider à ouvrir la portière du minibus. Si nos compagnons de routes ont vite trouvé le sommeil face au calme olympien de la voiture, ça n'a pas l'air d'être le cas du bus. Quand le coach ouvre la portière transversale, Sacha n'arrive pas à retenir un rire. Tous tournés vers nous, lunettes de soleil sur le nez et bobs sur la tête, ils bougent en rythme sur la musique qui émane d'une enceinte. Un sourire m'échappe alors que Lissandre leur demande de sortir de la voiture, épuisé de sa route mais au même moment, les trois qui dormaient dans notre voiture se sont réveillés. Attirés par la musique, on a à peine le temps de les voir prendre de l'élan qu'ils finissent déjà dans le minibus, sautant sur leurs collègues. Des rires et des cris retentissent par-dessus la musique alors que les filles râlent. Même si elles ne sont que deux tout au fond du bus, on les entend bien. En voyant tout ce petit monde, j'ai l'impression d'être de retour en primaire alors qu'ils sont tous au lycée.
— Sortez de là putain ! râle Lissandre avant d'attraper un des intrus par le pantalon.
Pour le prendre de court, le jeune se dégage pour baisser son pantalon et dévoiler des fesses bien blanches, soutenu par l'hilarité de ses amis.
— J'abandonne, lâche le coach en se dirigeant vers le super-marché, un sac en main.
— Attends ! l'interpelle Sacha, en vain. Bon, dégagez de ce bus maintenant.
Entre les rires et la musique, ils s'exécutent pour rejoindre Lissandre qui s'est arrêté à l'entrée du magasin. Au bout de quelques secondes, une tête rose apparaît sans casque sur les oreilles. Je tends la main pour l'aider à descendre au vu de la hauteur de la marche, mais elle ne m'envoie même pas un regard et saute sur la terre ferme. Elle passe devant moi pour rejoindre la joyeuse troupe, le menton haut. Je ne sais pas si je dois rire de la situation ou pleurer parce qu'elle m'ignore royalement. Un peu des deux je pense.
Je les rejoins avec Sacha et nous nous engouffrons dans les rayons, Lissandre faisant les courses avec la mère de je ne sais qui et Sacha faisant le flic. De temps à autre, je me risque à approcher Amélie qui discute avec l'autre jeune fille que je n'avais jamais vu, mais elle continue d'ignorer ma présence.
Quand je l'ai mal traité à notre rencontre, je comprenais son comportement et sa réticence à mon égard, mais maintenant ? Ok, ma licence est morte et je ne peux pas concourir avec elle. Mais c'était pour défendre son amie ! Quand j'ai vu ce porc se pavaner fièrement alors qu'il a tabassé sa petite amie quelques heures auparavant, je n'ai pas pu faire autrement. Mon poing est parti tout seul, comme les coups que je lui ai assené plus tard. Je n'ai pas senti les bras des coachs qui essayaient de me séparer de lui, je ne pensais qu'au sang qui coulait de son visage. Et ce n'était pas assez.
Un planchiste me sort de ma rêverie en me bousculant pour attraper un énorme sac de pop-corn. Discrètement, ils essayent de le cacher jusqu'à le mettre au milieu des autres courses mais Lissandre n'est pas dupe. Quand il remarque la supercherie, s'en suit des cris et des rires entre les râles de protestation.
— Mais même pas en rêve les gars ! On a un budget, les engueule Lissandre en attrapant un énorme paquet de pâtes. Rangez ça où vous l'avez pris et on se rejoint à la caisse.
Une lueur de malice passe dans leurs regards avant qu'ils baissent leurs lunettes de soleil sur leur nez. L'un brandit une enceinte tandis que l'autre allume la musique à fond, et ils partent à trois en Moonwalk. Les joues de Lissandre s'empourprent avant qu'il ne soupire.
— On ne les connait pas, ok ?
Tout le monde acquiesce en riant. Au moins, on aura juste à tendre l'oreille pour savoir où ils sont.
***
Étonnement, l'arrivée au camping s'est faite dans le calme. Le temps de récupérer nos clés de bungalow, de répartir chaque personne avec chaque coach, ça nous a bien pris une bonne demi-heure. Sans que ça n'étonne personne, Jocelyn a pris les trois filles avec elle car il était préférable que la mère de je-ne-sais-toujours-pas-qui prenne les garçons plus sages. Moi, ils ont jugé bon de me laisser avec Sacha pour tenir les terreurs. Terreurs dont Achille fait parti, super...
— Temps libre le temps qu'on prépare la bouffe, annonce Sacha à toute la clique. N'allez pas faire les zouaves je ne sais où, je veux tout le monde dans son bungalow à vingt heures pile ! Les plus grands, je compte sur vous pour resserrer la vis si besoin.
Toujours la même chose, les grands qui doivent faire les flics pendant que les adultes vont boire un coup. Super exemple.
Sans se faire prier, quelques uns détalent à toute vitesse vers le petit parc de jeu pour justement, faire les zouaves. Heureusement pour nous, les vacances scolaires sont terminées donc le camping est assez calme et vide : personne ne blâmera la présence d'adolescents surexcités. C'est la première fois que je viens ici, mais de ce que m'a dit Sacha, les coureurs y sont habitués à force de venir faire des nationaux dans cette région. Dernier en date : en plein jour d'Halloween. Apparement, les garçons ont pris le temps de se créer des costumes dans le dos des coachs avant de créer des frayeurs à tout le camping. Ils ont failli se faire virer alors que c'était le premier jour. Et même si j'ai compris le message subliminal qu'il a voulu me faire passer, je n'en ai rien à foutre. Certes, je suis considéré comme accompagnateur ces quelques jours, mais je ne suis pas là pour être la nounou. Je suis là pour Amélie. Pour lui prouver que même sans naviguer à ses côtés, je serai là.
Très vite, je me retrouve seul devant le bungalow blanc. Les épines de pin crissent sous mes claquettes et certaines me griffent les pieds. En vitesse, je dévale la descente en zigzaguant entre les places libres du camping jusqu'à rejoindre ce qu'ils considèrent comme la salle de bain commune. Un grand bâtiment ouvert avec des toilettes à l'infini, des éviers plutôt propres et des douches qui laissent à désirer. On est en plein mois de mai et pourtant je transpire encore en ce début de soirée. Je me passe un rapide coup d'eau sur le visage, ignorant les regards insistants d'une quadragénaire qui se tord le coup pour sécher ses cheveux sous un sèche-mains. Je lui souris poliment avant de la voir s'éclipser dans les toilettes. Très glamour.
J'en profite pour m'éclipser à mon tour et respirer l'air boisée qui sature l'air. L'avantage d'être dans le sud de la France, c'est d'être totalement dépaysé de la Bretagne. Tout ça me fait un peu penser à mon Italie. Je me sens bien.
Les cris amusés des planchistes me parviennent d'ici même si je ne les vois pas. De temps à autre, un ballon en mousse perce le ciel pour retomber vers eux ce qui attise la curiosité des quelques enfants qui traînent par là et qui meurent d'envie de se faire des copains.
Bonne chance, j'ai envie de leur dire.
— Tu vas rester longtemps devant les chiottes ? me demande une voix que je ne connais que trop bien.
Sur ma droite, Amélie arrive avec une serviette dans les mains, ses cheveux roses mouillés. Eux qui sont toujours en désordre, on remarque bien qu'elle les a coupés récemment pour refaire son carré. Je souris en la voyant m'adresser la parole, et me retiens de lui faire remarquer que je suis à l'extérieur, bien loin de la quadragénaire qui pose sa pêche.
— Comment va Charline ? j'arrive à demander alors qu'elle vient se poser sur le muret à côté de moi.
— Elle va bien. Ma mère m'a dit qu'elle va porter plainte avec ses parents. C'était assez compliqué comme étape mais ses parents sont aussi fous que les miens, alors ils ont un peu réagi de la même façon.
J'hoche doucement la tête, sincèrement heureux qu'elle ait pris cette décision. Pour le bien de toutes les femmes qui peuvent finir entre ses mains, le secouer un peu est la meilleure chose à faire.
— Noémie est prête à appuyer sa plainte si Cha' le veux. Je vais lui en parler en rentrant mais j'ai peur de la brusquer.
— Noémie ?
— Oui, ma concurrente du Vent d'Ouest. Tu sais, celle qui porte toujours un bandeau et deux petites tresses à l'avant et qui a la fâcheuse tendance de se casser la gueule à chaque bouée en régate.
— Bouche rouge ?
— Bouche rouge, oui.
Je me souviens de qui c'est, je l'ai vu tout à l'heure. Du peu que j'en sais, Amélie ne semble pas trop l'apprécier et c'est réciproque. Je crois même qu'elle avait essayé de me draguer à l'époque, mais mes souvenirs sont flous.
— Il faut qu'on parle, dis-je avec sérieux ce qui fait soupirer Amélie.
Elle pose sa serviette délicatement à sa droite et je m'assoie à sa gauche.
— Je n'en aurais pas pour longtemps, promis. En plus, tu ferais mieux de te sécher les cheveux, tu risques d'attraper froid.
Un petit rire secoue ses épaules avant que ses yeux bruns ne se posent sur moi.
— Tu t'inquiètes que je tombe malade ?
— Tu m'as ignoré toute la journée, je n'ai fait que m'inquiéter pour toi, Amélie.
Ses lèvres s'entrouvrent légèrement comme pour dire quelque chose, mais elle se ravise en observant ses jambes qui se balancent dans le vide.
— Excuse-moi, cette régate est importante pour moi. Je veux me concentrer.
— Je comprends vraiment, mais je suis là. Je suis venu pour te soutenir. Alors même si tu penses que je t'abandonne, ce n'est pas le cas. Je t'ai promis de te soutenir dans ta quête, alors je le fais. Ce n'est pas une licence qui va m'arrêter.
J'attrape sa main et la serre doucement pour appuyer mon discours mais elle semble gênée. Un peu comme quand vous sentez que quelqu'un va vous larguer, une sorte de pressentiments. Mais on ne sort pas ensemble. Enfin si ? Je ne sais pas. On s'est embrassé mais est-ce que ça veut réellement dire quelque chose ? Est-ce qu'Amélie était simplement perturbée ? Est-ce qu'elle ressentait son cœur s'affoler comme le mien dans ma poitrine ?
— Baptiste, je suis touchée, vraiment. Mais j'ai un objectif. Laisse-moi faire ma régate, et on verra après.
— De quoi tu parles ?
Elle pince ses lèvres avant de rougir. Je remarque tout juste des petites paillettes qui brillent sur ses pommettes. C'est joli.
— Toi, de quoi tu parles ? me questionne-t-elle en riant doucement. Ne me fait pas croire que tu ne parles que de voile, c'est faux. Samedi dernier... c'était chouette. Vraiment chouette. Mais j'aimerais qu'on ne se précipite pas. Je t'aime bien, Baptiste, mais je ne peux pas être distraite cette semaine.
J'acquiesce lentement, me mangeant en pleine face ses mots. Ils me touchent plus que je ne le voudrais. C'est comme si je me faisais écraser par un bulldozer.
Amélie saute pour descendre du muret, reprend sa serviette roulée en boule avant de s'écarter.
— On avise après la compétition, d'accord ? Tout a changé, Baptiste. Mais sache que ce qui se passe là-dedans, me dit-elle en montrant sa poitrine, ça n'a pas changé. Ce n'est juste pas le bon moment.
Sans attendre ma réponse, elle s'éclipse pour monter la pente qui mène à son bungalow, me laissant seul face aux pins. Une pomme de pin tombe à quelques mètres de moi avec fracas, mais je l'ignore. Je ne peux pas décrocher mon regard de ces cheveux roses qui gravissent la pente avec détermination, jusqu'à ce qu'ils disparaissent derrière un buisson.
Ce n'est juste pas le bon moment.
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