Chapitre 26
Ni una más
Amélie
Dans les bras de Charline, mon cerveau se déconnecte. Comme si une marée de serpent venait encercler ma gorge pour me faire mourir à petit feu, je suffoque. Les émotions que j'ai ressenties quelques minutes auparavant ont été balayées si brutalement que j'ai peur de voir mon cœur fuir à toutes jambes et mon âme avec. Contre mon torse, ma meilleure amie tremble légèrement. Si légèrement que j'en viens à me demander si ce sont les battements de son cœur qui s'affolent ou s'il s'agit des prémices d'un malaise.
Une grande main se pose avec délicatesse sur mon épaule pour me séparer d'elle, mais je me laisse faire. D'un geste sûr, Baptiste enserre la taille de mon amie pour la soutenir doucement, prêtant attention aux blessures qui maculent son corps trop nu à mon goût. Le petit débardeur qu'elle porte n'a plus rien de blanc tandis que le short de pyjama sur ses jambes est froissé, un peu tâché. Avec la fraîcheur de la nuit, je me demande comment elle a pu venir à pied jusqu'ici.
Je respire un moment pour reprendre mes esprits et chasser cette image d'horreur, puis me précipite pour prendre mes clés restées chez Baptiste. Mes parents sont trop occupés à danser pour remarquer ma présence ce qui me soulage, mais le visage livide de Livia en voyant ma tête trahit les émotions qui doivent se lire sur ma figure. Je la rassure d'un geste et d'un faux sourire avant de foncer à toute vitesse chez moi pour laisser Baptiste entrer avec Charline.
Quand vient le moment de monter les marches, j'aide celui dont je sens encore ses lèvres sur les miennes malgré les mille degrés que je viens de perdre, et Charline ne dit toujours rien. Nous pénétrons dans ma chambre trop criarde de couleur pour ce moment si douloureux, et je referme derrière nous pour que mes parents ne tombent pas sur cette scène que je ne saurais expliquer. Baptiste aide Charline à s'assoir sur une chaise tandis que j'attrape la trousse de secours dans mon armoire et la lui tend. Pour la première fois de ma vie, je remercie mon côté bordélique à la Penny quand Leonard n'est pas dans les parages.
— Charline, ça va piquer sur tes coupures, la prévient Baptiste alors qu'il imbibe une compresse de désinfectant.
— Tu es sûr qu'on fait comme ça ? demandé-je avec nervosité en observant par-dessus son épaule.
— Mon père a toujours fait ça et il est chirurgien. Vu le nombre de fois où il m'a soigné quand je me battais à l'époque... Par contre, va t'asseoir Amélie.
— Je peux rester là, déclaré-je avec assurance.
— Tu trembles...
En effet, mes mains tremblent plus que je ne le voudrais et seul quelque chose de plus terrifiant que le Slenderman pourrait me faire cet effet. On dirait carrément une machine à laver. Résignée mais surtout parce que mes jambes sont en coton, je décide de m'installer sur le rebord de mon lit, face à eux. Charline ne bouge pas d'un pouce, les yeux perdus dans le vide. Sa crinière n'a plus rien de soyeuse, si ce n'est que ses boucles restent bien formées malgré sa coiffure approximative. Sur le bras que Baptiste soigne, des bleus et du sang. Beaucoup de sang. Des dizaines de petites coupures se chevauchent et même si ce n'est rien de très profond, on a l'impression qu'elle s'est jetée d'une fenêtre. Mon cerveau me crie de lui demander ce qu'il se passe, de parler et de crever ce silence qui pèse dans la pièce, mais rien ne sort. L'état de choc dans lequel est mon amie me fait froid dans le dos. Je ne l'ai jamais vu comme ça.
Baptiste passe doucement le désinfectant sur les différentes plaies sans que Charline ne bronche une seule fois, puis colle de minuscules pansements que je ne pensais même pas posséder avec délicatesse. Au bout de quelques minutes qui me paraissent des heures, il interrompt enfin son travail minutieux.
— Pour les bleus, je ne sais pas vraiment quoi faire. Ils ne m'ont pas l'air si énorme et je t'avoue en avoir vu des biens pires sur toi...
Premier frisson de Charline. Première réaction de mon amie. Sa tête bouge doucement pour que son regard se pose sur l'Italien. À bout de forces, elle murmure à peine, les larmes aux yeux.
— Ce n'est rien...
Un frisson remonte le long de mon échine. Il est temps, il faut qu'on sache. J'essuie mes joues du revers de la main, essayant de ne pas m'énerver quand toujours plus de larmes les imbibent, puis parle enfin.
— Il faut que tu me dises ce qu'il vient de se passer, Cha'.
Charline se redresse, ses yeux posés loin devant elle, prenant soin de m'éviter. J'encaisse le coup en me mordant les joues, mais surtout en attente d'une réponse de sa part.
— Charline, c'est important, me soutient Baptiste qui pose toute son attention sur elle. On t'a trouvé pleine de bleus et de sang... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Toujours pas de réponse. Les yeux rouges de mon amie s'emplissent de larmes et je vois bien qu'elle lutte pour ne pas craquer. Je me lève à la hâte, manquant de tomber au sol, me précipite sur mon amie pour la prendre dans mes bras. Évidemment, je fais attention à ne pas la blesser plus qu'elle ne l'est déjà, et me contente de la serrer de dos, mes bras autour de ses épaules. Un sanglot lui échappe alors, jusqu'à ce que tout ce qu'elle contenait se libère. Ses mains tremblantes se posent sur les miennes près de son cœur, et je la laisse sangloter et évacuer tout ce dont elle a besoin en la serrant bien fort. Baptiste en profite pour tout ranger le temps qu'elle se calme et puisse enfin articuler quelques mots sans étouffer.
— Je suis désolée... parvient-elle à dire entre deux pleurs.
— Ne t'excuse pas, je sais ce que c'est d'être amoureuse pour la première fois.
Je crois que ma remarque la fait rire car elle est atteinte de quelques soubresauts tout en pleurant avant de s'effondrer à nouveau. Le souvenir de mon premier petit copain à travers qui je vivais à l'époque ne me fait pas réellement mal car nous étions jeunes, mais c'est plutôt tout ce qui est autour qui me blesse. Avec mes cours et les championnats qui approchent, je n'ai pas remise en question ce que j'ai pu penser de Charline quand elle est avec Adam. Et c'est injuste parce qu'au final, j'ai sûrement délaissée mon amie de la même manière quand j'étais avec mon ex et sans m'en rendre compte.
Une pointe de culpabilité me serre le cœur alors je resserre mes bras encore plus autour de mon amie pour qu'elle sache que je suis là. Et que je m'excuse. Parce que oui, dans ma chambre rose entourée de toutes ces compresses et ce désinfectant, je me rends soudainement compte que j'ai peut-être été injuste.
— Hum, Amélie, m'interpelle Baptiste les yeux rivés sur mon portable que j'ai posé sur mon lit. Ton téléphone sonne et...
— Et quoi ? dis-je d'une voix tremblante d'émotion.
— C'est Adam.
Au moment où il mentionne son nom, je sens la poitrine de Charline s'arrêter de bouger. En apnée, les larmes cessent de couler. Ses tremblements redoublent. L'expression de Baptiste passe d'interrogateur à profondément inquiet devant l'expression de mon amie. Je la lâche, la contourne pour me mettre face à elle près de Baptiste, elle est livide. Mais quand je dis livide, ce n'est pas oh, elle ne se sent pas très bien et est un peu pâlotte. Pas du tout. Charline est blanche. Blanche de peur, les yeux écarquillés de terreur. Paralysée.
Baptiste est le premier à bouger, s'agenouille près d'elle pour prendre ses mains dans les siennes. Les yeux toujours grands ouverts, elle plante ses prunelles dorées dans les iris vertes de Baptiste.
— Charline, il faut que tu nous parles c'est important. Réponds par un hochement de tête s'il le faut, d'accord ?
Charline acquiesce et je décline l'appel d'Adam. Il m'a appelé trois fois depuis que Charline est arrivée.
— Est-ce que tu as fait une mauvaise rencontre sur la route ?
Charline secoue la tête. Une pointe de soulagement allège ma poitrine quelques secondes.
— Est-ce que se sont tes parents ? Ton frère ?
Elle secoue la tête deux fois. Baptiste se mord la lèvre, anxieux. Lui qui évite l'inévitable depuis tout à l'heure... Nos craintes ont l'air de se fonder.
Je décline encore un appel d'Adam.
— Est-ce que... Est-ce qu'il s'est passé quelque chose avec Adam ?
Sa voix est calme, posée et pleine d'empathie. Mes poings se serrent en attente de la réponse de Charline qui se met à sangloter. Tremblante et hésitante, elle hoche quand même la tête.
— Est-ce qu'il t'a fait du mal ?
Elle hoche la tête.
— Charline, est-ce que tu penses être en danger si tu rentres chez toi de suite ?
Charline hésite en haussant les épaules mais ça veut tout dire.
— Est-ce qu'il t'a frappé ? Je sais que c'est dur mais tu t'en sors comme une championne.
Les encouragements de Baptiste semblent lui faire du bien car ses sanglots silencieux diminuent tant elle essaye de reprendre un souffle régulier. Elle hoche la tête et mon cœur se brise.
Mon amie se fait frapper. Elle se fait frapper par son copain et je n'ai pas réagis.
— Est-ce qu'on doit appeler la police ?
— Non ! s'exclame-t-elle, la voix cassée. Surtout pas, s'il-vous-plaît...
L'Italien hoche la tête avant de se relever pour libérer les mains de mon amie. Je le remplace et accueille toute la douleur de Charline sans rien dire. Parce que moi aussi, je suis choquée. J'arrive à marmonner une excuse mais les mots m'irritent la gorge.
— Il faut qu'on en parle, tu comprends ça ? demande Baptiste en prenant sa tête dans ses mains. Pour l'instant, c'est trop tôt. Reste dormir ici ou chez moi, peu importe. Tes parents savent que tu es là ?
Elle déglutit péniblement avant d'expliquer en vitesse qu'elle devait dormir chez Adam. Donc non, mais elle ne devait pas non plus rester chez elle.
— On va se changer, d'accord ? dis-je tout bas en me redressant, tirant légèrement sur sa main.
Charline se laisse faire, molle, puis je nous entraine dans la salle de bain. Je l'aide à enlever ses vêtements poisseux pendant que Baptiste retourne chez lui ranger la fête et rassurer tout le monde quant à ma disparition. Je nettoie mon amie comme les nombreuses fois où elle a fini trop bourrée pour se toiletter seule, puis lui prête de vieux sous-vêtements, les plus petits que j'ai conservé ainsi qu'un pyjama. Charline se laisse faire comme une poupée de chiffon, me remercie toutes les deux minutes pour un rien. Quand nous sommes prêtes et qu'on retourne dans ma chambre, Baptiste nous attend déjà lui-même en pyjama. Un coussin sous le bras, il enlève son t-shirt pour dévoiler son corps musclé et bien sculpté, mais rien ne se passe pour moi. Je pose ma copine sur le lit, inquiète pour elle avant tout. La culpabilité me ronge l'esprit mais je la chasse comme je peux.
Je l'aide à se border, lui passant l'un de mes coussins mais aussi ma peluche de chat pour lui tenir compagnie, et dès que ses cheveux démêlés par mes soins se posent sur le côté, elle s'endort instantanément. Je regarde son visage et le léger bleu qui se forme sur sa mâchoire, les quelques traces de maquillage que j'ai eu du mal à faire partir et ses joues rouges irritées par les pleurs.
Je me redresse pour voir Baptiste attraper un plaide au pied du lit, près à dormir sur le sol. Je me pousse sur le milieu pour lui laisser la place, et ne lui laisse pas d'autre choix que de me rejoindre.
Dans d'autres circonstances, j'aurais bavé devant la perfection de son buste et le port de ce short un peu bas sur ses hanches. Mais ce soir, j'ai juste envie de pleurer.
Baptiste se pose en silence à ma gauche, ouvre ses bras pour que je me blottisse dedans. Le lit étant grand mais assez étroit pour trois personnes, je m'avance pour entourer sa taille de mes bras et poser ma tête sur son torse. Il ne dit rien, pose son menton piquant sur ma tête et me serre un peu plus. Très vite, les sanglots qui ne voulaient pas sortir disparaissent jusqu'à ce que la fatigue monte et m'emporte, entourée du corps chaud et rassurant de Baptiste.
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