Chapitre 24
Après Rihanna, on passe à Patrick Sébastien
Amélie
Trois semaines se sont passées depuis notre dernière coloration. Trois semaines de rires et de chamailleries où Livia et Baptiste ont passé leur temps chez moi, chacun à leur tour pour ne pas se brusquer dans le processus de réconciliation. Si depuis une petite semaine Livia se fait de plus en plus discrète pour s'éclipser avec Achille, son frère ne se fait pas prier pour prendre sa place. Toutes les excuses sont bonnes pour passer du temps avec moi, surtout à l'approche des vacances d'été. Dernière excuse en date : l'organisation de l'anniversaire de Livia. Pour ses seize ans, Baptiste a insisté auprès de ses parents pour tout organiser et ainsi prouver une fois de plus sa bonne foi auprès de sa sœur.
Je vous laisse imaginer la tête de Livia quand elle a appris ça...
En tout cas, même en train de pomper de toutes ses forces sur l'eau pour me rejoindre, il ne fait que parler de toutes les tâches auxquelles on doit penser avant de rentrer chez nous. Parce que oui, il m'a embarqué dans cette histoire.
Hier soir, nous sommes allés faire quelques courses histoire de nous alléger mais une petite discussion avec Ludovica, la belle-mère de Baptiste, nous a rappelé des choses essentielles que nous n'avons pas jugé bon d'acheter. C'est vrai qu'un Virgin mojito sans menthe... je ne sais pas ce que c'est, mais ce n'est pas un mojito.
— Il ne faut pas qu'on oublie de mettre les ballons dorés et les noirs aussi, faudra qu'on compte pour en avoir le bon nombre et...
— Baptiste, c'est un anniversaire, on n'accueille pas le président. Dans tous les cas, Livia vient se préparer chez moi pour qu'elle soit toute belle, tu auras largement le temps de tout mettre en place. Et Ludo sera là pour t'aider, avec ma mère aussi. Et mon père en fait. Tu ne seras pas seul.
Un coup de sifflet retentit sur l'eau me faisant sursauter. Je me rattrape de justesse en lâchant la main arrière qui tient mon wishbone et me rééquilibre comme je peux. Dieu merci il n'y a pas trop de houle aujourd'hui.
— Une minute, crie Lissandre avec les yeux sur son chronomètre.
Je jette un coup d'œil à mes concurrents qui commencent à s'activer autour de nous, puis m'écarte de Baptiste qui rumine.
— J'adorerais parler chiffons et petits fours avec toi mon beau, mais je te rappelle que j'ai un national décisif la semaine prochaine. Alors adios muchachos !
J'envoie ma voile sur l'avant pour abattre et prendre de la vitesse puis me recule sur ma planche pour me rapprocher du zodiac de Lays qui représente le bateau comité. Je trouve une place parfaite près de lui sans le toucher pour éviter une petite pénalité, et passe du côté de la ligne quand il commence à annoncer les secondes. Dans moins d'une semaine je serai avec eux pour la national à Lacanau qui me permettra d'avoir ma place toute chaude pour les mondiaux. Je suis déjà au top de ma forme mais je ne crache pas sur un ou deux entraînements de plus. Lays est particulièrement exigeant aujourd'hui, surtout en sachant ce que je vise. Là, on ne parle pas d'une petite régate de village où on rigole et on se chamaille. Là, je me frotte à bien plus fort que moi : ceux du Pôle France. On parle de ceux qui ont des entraînements à gogo dans la semaine et des horaires aménagés, ceux qui s'entraînent pour être des sportifs de très haut niveau. Moi à côté, même si je connais ma valeur, je ne suis qu'un moucheron facile à éliminer.
Hormis Lays qui croit en moi plus que quiconque, personne dans le club ne me pense capable d'atteindre cet objectif. Et au fond, je les comprends. Personne ne parierait sur une petite nana sortie de nulle part, sans entraînement intensif à son âge et qui ne veut pas spécialement poursuivre après. Ceux qui iront aux championnats seront seulement les premiers arrivés et les meilleurs. Sans cette place, je n'aurais pas les moyens de m'inscrire et de concourir.
J'y crois.
Lissandre siffle le départ ce qui me tire de mes pensées, mais je démarre un peu à la traine sans vitesse préalable. Pas de soucis, je suis là pour leur prouver que je peux tous les éclater les yeux fermés.
***
— Tu es sûre de ça ? me demande Livia alors que je termine sa coupe de cheveux.
— Parfaitement sûre, tu es magnifique.
Elle se regarde longuement dans la glace alors que je la libère de mes mains, ce qui me permet de contempler fièrement mon œuvre. Elle qui a tout le temps les cheveux lâchés sans forme particulière, je trouve qu'un chignon bien serré avec quelques tresses rend merveilleusement bien sur son crâne. En plus, des mèches ont dégorgé plus que d'autres ce qui donnent des jolis reflets de rouges. L'adolescente se colle au miroir au point que son nez le touche avant d'approuver d'un hochement de tête. Elle essuie rapidement un peu de crayon noir que je lui ai mis sous les yeux avant d'être pleinement satisfaite. Ce noir fait tellement ressortir ses yeux bruns ! Elle est vraiment magnifique comme ça.
Entre cette coupe, ce maquillage et la jolie robe que je lui ai prêtée, il est évident que se sera la plus belle. Bon, on a dû ruser comme ma robe est terriblement trop large pour elle, mais au final ça reste dans son style : ample et décontracté.
— Bon, on n'est déjà pas en avance donc faut qu'on fonce, dis-je en souriant.
Livia me devance en quittant la salle de bain alors je lui emboîte le pas. Nous sortons, je ferme derrière moi sans prendre de veste étant donné qu'on a juste deux mètres à faire pour être chez les Abbelli. Des dizaines de voitures sont garées dans le quartier et j'en viens à me demander qui a bien pu être invité pour cette fête. C'est vrai quoi, ils viennent d'Italie, ils ne doivent pas connaitre des centaines de personnes. Et honnêtement, ça m'étonnerait que sa famille face le déplacement pour un seul jour de fête. Ma famille de merde ne le ferait pas, c'est à peine si j'ai parlé à mes grands-parents depuis cinq ans donc venir me voir dans un autre pays... Je ne l'imagine même pas.
Je m'empresse d'envoyer un message à Baptiste pour dire qu'on est là, et après un OK de sa part j'invite Livia à rentrer chez elle. Des cris de joies, des chants et des applaudissements nous surprennent quand la porte s'ouvre pour dévoiler la foule. Tout le monde chante pour Livia en la prenant dans les bras ce qui la pétrifie. Raide comme un piquet, elle salue tout le monde un à un avec un petit sourire crispé. Il y a quelques adultes comme ses parents et les miens mais je suis surprise de voir autant d'adolescents. Quand elle arrive au niveau d'Achille, celui-ci l'attrape pour la faire tournoyer dans ses bras ce qui arrache un éclat de rire à la jeune fille.
— S'il pose ses pattes plus bas sur elle, je vais devoir aller le taper, me prévient une voix grave derrière moi.
Je me tourne en ricanant pour voir Baptiste dans mon dos. Ses yeux verts rivés sur le jeune couple — je soupçonne —, il ne détourne pas le regard du jeune coréen. J'ai même l'impression que ses yeux lancent des éclairs et que sa moustache frémit d'énervement.
— Ils s'amusent Baptiste, c'est normal d'avoir un copain à son âge...
— Un copain ?!
Un rire nerveux sort de ma gorge alors je décide d'attraper le bras de Baptiste et de le tirer vers le salon où il a préparé un buffet pour l'apéritif. Comme un robot, il se laisse guider et boit d'une traite le verre de soda que je lui sers.
— Pas assez alcoolisé ça, relève-t-il en haussant un sourcil.
— Le but n'est pas que tu sois bourré, au contraire.
Monsieur hausse nonchalamment des épaules avant de se servir une bière. Je décline la mienne quand il me propose et opte plutôt pour quelque chose de soft. Je ne vais pas mentir, j'ai le tournis rien que de penser à la semaine prochaine et l'enjeu pour moi, alors si je dois être en dé-cuite deux jours, ça ne va pas le faire. Je profite d'être un peu en retrait pour observer les alentours, et surprends Livia à sourire réellement. Elle qui est si fermée en général à l'air totalement épanouie au milieu de ces adolescents que je n'ai jamais vu de ma vie. Baptiste semble lire dans mes pensées car il intervient aussi vite.
— Achille a réussi à la faire sortir de la maison, à découvrir des horizons. Tu vois là, il y a un mec de D3, je ne sais pas comment il s'appelle mais il est en planche à voile. Là, un mec qui fait du catamaran avec sa coéquipière qui est là-bas. Enfin bref, je ne sais pas grand-chose de la vie de ma sœur, mais ce que je sais c'est que j'ai vu passer plusieurs photos d'eux qu'elle poste sur les réseaux sociaux.
— Et elle sourit, soufflé-je.
Le regard de Baptiste dévie vers moi, intense et en même temps lumineux. Je me tourne vers lui pour sourire sincèrement, ce qui lui fait faire la même.
— Et elle sourit, il répète tout bas.
— Baptiste ! s'exclame quelqu'un.
Je me tourne vers l'homme qui ouvre grand les bras pour prendre mon ami contre lui, et je ne suis pas surprise de voir Francesco, son père. Il me salue aussi en lissant son inlassable costume et remplit son fils d'éloges quant à la réalisation de la soirée. Ce qu'il dit sonne faux, terriblement faux. Hypocrite, me crache mon instinct.
— Je n'étais pas seul, interrompt Baptiste en prenant mon bras sous le sien. Amélie m'a beaucoup aidé. Je m'y connais en fête mais pas en fête pour une fille de seize ans.
— Tu exagères, j'articule en riant de gêne.
Francesco me toise doucement avant de me féliciter aussi et de prétexter une envie pressante. Dès qu'il est assez loin, Baptiste éclate de rire comme s'il venait d'entendre la meilleure blague de Thomas Deseur.
— C'était bizarre, je ne rêve pas ?
— Nan, nan, tout était parfaitement étrange, il me rassure entre deux rires. Je crois qu'il digère mal le fait que je ne veuille pas voir mes amis Italiens. Il m'en parle depuis des semaines mais je l'évite ou l'ignore. Tu sais, il n'est pas souvent à la maison et moi souvent en cours ou en train de naviguer. Je ne l'éviterai pas éternellement, mais tu m'as bien aidé sur ce coup là.
— Tu m'en dois une alors.
— Une sacrée, oui.
Au même moment, la musique se lance et il n'en faut pas plus pour que maman se lance au milieu de salon, ses meilleurs talons au pieds pour se taper une chorégraphie digne des années 80. Prise dans le délire, Ludovica suit le mouvement en secouant son afro tout en entraînant Livia qui semble gênée au maximum. Par soutien, papa se joint à la danse, deux doigts en l'air avec son meilleur déhanché. J'explose de rire jusqu'à ce que le bras de Baptiste ne me quitte et que sa main trouve la mienne. Je lui lance un regard inquiet et le sourire que je vois sur son visage m'indique bien que je devrais avoir peur. En moins d'une seconde, je me retrouve au milieu de la petite troupe dansante. Aussi raide que Livia, j'essaye de me détendre et de faire abstraction des regards sur moi mais c'est compliqué. Autant de paires d'yeux sur moi, surtout des jeunes de cet âge, ça m'angoisse.
— Eh, me dit doucement Baptiste en prenant ma tête en coupe. On s'en fout des gens, ok ?
J'hoche la tête sans vraiment être convaincue et me laisse faire quand il me fait tourner. Il attrape ma main, passe un bras sous ma taille, et danse de gauche à droite avec gaieté. Je me laisse prendre au jeu au fur et à mesure jusqu'à qu'il n'y ait plus que les danseurs et nous. En fait, plus personne ne fait attention à nous je crois, la nourriture étant plus intéressante. Quand la musique ralentit, je pose ma tête sur le ventre de Baptiste et me laisse bercer. Son père nous rejoint tout comme Achille, et tout le monde se lance dans un long slow digne d'un bal. Je profite de l'odeur boisée de Baptiste dans mes narines, de la musique qui raisonne dans ma tête et de la sérénité qui plane autour de nous. L'anxiété qui me ronge depuis quelques jours se dissipe le temps d'une danse, et j'en profite au maximum en respirant à plein poumon. L'air rentre et me transporte autre part, loin d'ici, sur un nuage.
La soirée risque d'être prometteuse...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top