Chapitre 2
Concentre-toi, ma belle.
Amélie
Je me débats une dernière fois pour me libérer des manches qui entravent mes mouvements, puis la combinaison lâche ma peau dans un claquement sec. Même si l'air est lourd, je le sens se coller contre la peau suante de mes avant-bras. Je tire encore un coup pour descendre la combi jusqu'à ma taille, et profiter un peu des rayons de soleil sur la peau de mon torse.
— J'adore ton maillot de bain ! s'exclame Charline qui passe près de moi, sa voile enroulée dans les bras.
Je jette un coup d'œil à mon haut, un simple maillot une pièce bleu électrique, mais finit par sourire face aux compliments de mon amie. Je décide quand même de laisser le bas de ma combinaison, faisant pendre les manches dans le vide. Même s'il fait beau, je ne suis pas vraiment sûre de vouloir me trimballer en maillot de bain devant tout le monde.
Je m'empare de ma voile à mon tour, roulée à la perfection dans sa housse. Dans le conteneur blanc légèrement rouillé par l'âge, j'attends que Charline range la sienne comme elle le peut, au dessus de sa planche qu'elle a déjà pris le temps de déposer sur des rails. Quand elle s'écarte pour me laisser place, je m'empresse de tout ranger à mon tour sans ne rien laisser traîner. Ici, c'est simple. Tu oublies quelque chose sans t'en rendre compte, il disparaît au bout de dix minutes à peine.
Je vous avoue que la liste d'outil que j'ai « perdus » ici commence à être sacrément longue.
— On va toujours Au Centre Du Globe tout à l'heure ? me demande mon amie en mentionnant l'idée d'aller boire un verre dans ce bar. Je te dois une bière pour avoir perdue la course tout à l'heure, même si c'était prévisible.
— Ça me va ! Il n'est pas tard et demain, pas de régate ! Donc tout est réuni pour passer une bonne soirée, déclaré-je en lançant un grand sourire à Charline qui enlève son haut de combinaison rose.
— Ah non, Amélie ! Pas de boite ce soir, l'année a bien commencé, ce n'est pas le moment de tout foutre en l'air. Et puis j'ai un devoir à rendre, comme toi d'ailleurs... Donc je n'ai pas envie de passer mon dimanche dans les choux !
Je ris doucement en me remémorant nos sorties en boite de nuit de cet été, où Charline devient une tout autre personne. Si elle déteste parler en public, après quelques verres elle peut faire chanter et danser tout un club !
Mais je reconnais qu'elle a raison. Depuis quelques années maintenant que nous sommes amies aussi bien dans le sport que dans la vie courante, notre passion pour la mer n'a fait qu'accroître notre amitié. Toutes les deux en deuxième année de Géologie, chimie et tout ça, l'océan est notre horizon à toutes les deux. Si j'espère faire un master en géo-science des océans, Charline a pour objectif de faire un master en écologie, biodiversité... Donc comment vous dire que nous sommes sur la même longueur d'onde en continu.
Pendant qu'elle se bat à enlever en entier son vêtement, je me mets à en faire de même pour finir un minimum au sec. Le bas est nettement plus facile à enlever, si bien qu'en deux petites minutes je suis en maillot de bain. J'enfile rapidement un poncho pour cacher mon corps, et entreprends la fameuse épopée de la peau qui colle, du jean qui laisse du bleu sur soi, et du t-shirt qu'on enfile à l'envers.
— C'est un temps à faire un apéro sur la plage ça... continue doucement mon amie en soupirant. Pourquoi on fait des études déjà ?
— Pour sauver la planète je pense ?
— Les bébés tortues... Tu as raison.
Charline se relève d'un coup, bombant le torse malgré son corps fin dissimulé sous un maillot de bain deux pièces rouge. Un début de bronzage démarque son cou de son torse, signe que la combinaison va nous poser quelques problèmes avec les beaux jours qui arrivent.
— Aller, change-toi vite ma belle, j'ai soif !
Mon amie sourit et s'empresse d'enfiler sa serviette pour se changer. Autour de nous, les autres s'activent pour ranger leur matériel où se changer comme nous en discutant tranquillement. J'aime cette ambiance soudée, quand l'été revient et que se changer dans les vestiaires devient surfait. Un garçon se met à courir devant nous, serviette autour de la taille, poursuivit par un de ses amis qui tente de le mettre nu devant tout le monde.
Je les ignore en me retenant de rire. Fut une époque où nous étions à leur place, profitant de nos amis de la voile et des soirées d'adolescents. Mais toute bonne chose à une fin. Les études arrivent, on grandit, et le sport devient secondaire et les amitiés se dissipent jusqu'à disparaître. Si je continue le sport au club, c'est uniquement parce que Charline tient à ce que nous ayons une pause pour nous vider la tête en faisant ce que nous aimons. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais déjà arrêté de venir aussi souvent.
— Tu le connais ? me questionne-t-elle en jetant un coup d'œil derrière moi.
Ses yeux dorés s'éclairent d'une drôle de teinte, m'incitant à me retourner lentement pour observer ce qui l'intéresse tant. Pas très loin de nous, les coachs discutent avec Baptiste, l'idiot qui m'a fait tomber au début de notre entraînement. Sacha à sa droite, Lissandre à sa gauche, il ne manque qu'une seule personne pour qu'ils ressemblent aux Dalton. Concentré sur la conversation, il repousse ses cheveux noirs humides de son front.
— Oui, j'ai eu la grande chance de faire sa rencontre tout à l'heure, confirmé-je en me tournant vers elle qui n'a d'yeux que pour les trois hommes. Il était sur l'eau aussi, tu n'as peut-être pas vu, il était plutôt fort...
— Ah mais si ! Ça me revient, vous étiez deux à rattraper la flotte à chaque fois comme vous aviez un tour d'avance sur nous. Je me demandais pourquoi tu avais autant la rage mais je n'ai pas vraiment fait attention, Achille me collait comme jamais c'était énervant.
Je fronce les sourcils en entendant ça, surprise qu'un adolescent de 15 ans arrive à embêter mon amie. Même si Charline n'a pas le meilleur niveau de l'univers, elle est quand même assez douée pour laisser les plus jeunes à bonne distance. Je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de voir Achille naviguer, mais je n'ai pas entendu qu'il était si fort que ça...
— Oui peut-être. Il m'a fait tomber sur la première manche, donc je ne l'ai pas courue. Et après, il n'a fait que m'énerver sur l'eau à chaque course. J'ai pris sur moi, mais je reconnais qu'il est fort.
— Il t'a dépassé ?
J'explose de rire tout en enlevant ma serviette pour révéler une petite robe fleurie que j'ai achetée il y a peu, puis lance un regard rieur à mon amie.
— Tu rêves, je suis bien meilleure que lui pour qu'il ne me passe devant.
— Je m'en doutais, personne n'est à ta hauteur !
Je lui souris une dernière fois avant de prendre le temps de réunir toutes mes affaires dans mon grand sac imperméable. Quand Charline a fini de se changer, elle en fait de même avant de libérer ses cheveux bouclés du chignon qui tenait sur sa tête. Qu'est-ce qu'elle doit avoir chaud sous tous ces cheveux ! Vu la lourdeur de l'air environnant, je suis bien contente d'avoir des cheveux coupés au carré. Je passe d'ailleurs une main dans ceux-ci, arrachant l'élastique qui les tenait banalement sans faire exprès. Je le ramasse au sol, le passe autour de mon poignet, et constate en effet que mes cheveux roses sont toujours sur ma tête.
— Les girls ! se met à beugler quelqu'un à notre intention.
Je me redresse pour voir Adam arriver vers nous en boxer, un sourire éclatant sur le visage. Marchant à côté de lui, Baptiste nous observe, mains dans les poches.
— Vous avez prévu quelque chose tout de suite ? demande le brun quand il est assez proche pour ne pas crier.
Devinant que Charline vient de perdre toute confiance en elle, je réponds pour nous deux en lui rendant son sourire, tout en démêlant un peu mes cheveux raides.
— On allait boire un verre Au Centre Du Globe, vous pouvez vous joindre à nous si vous voulez.
Une paire d'yeux verts se posent sur moi, me tordant le ventre une fraction de seconde. Mais qu'est-ce qui m'arrive ?
— De ouf ! Je crois que tu as déjà rencontré Baptiste, dit Adam en montrant l'intéressé d'un geste. Charline, je ne suis pas sûre donc voilà Baptiste Abbelli, nouveau coureur du club des Crevettes Bleues ! Je fais mon petit speech parce que les coachs veulent l'intégrer au plus vite dans le groupe, pour l'ambiance et tout ça...
— T'inquiètes pas, ça nous va, répondis-je encore une fois pour nous deux. Va t'habiller un peu plus décemment et on vous attend avec joie.
Adam porte un regard rapide à son boxer bleu remplit de requin, puis sort sa meilleure attitude de drague en posant son bras sur l'épaule de Baptiste qui ne dit toujours rien.
— Je te plais comme ça ?
Je souffle fort en levant les yeux au ciel, puis me retourne pour attraper mes chaussures roses.
— Ta gueule, Adam. Va te changer au lieu de montrer ton paquet ridicule à tout l'univers.
Un rire discret mais profond arrive à mes oreilles, me faisant frissonner de toutes parts. Je m'assoie au sol en risquant un regard vers les garçons, Baptiste ayant un petit sourire en coin qui le rend adorable. Adam affiche une moue boudeuse, avant d'entraîner son compagnon à sa suite vers leurs affaires.
Je me tourne pour me mettre face à Charline bien qu'elle soit toujours debout contrairement à moi qui suit incapable de faire mes lacets debout. Ses joues sont plus rouges que jamais, ce qui fait ressortir les taches de rousseurs sur son nez.
— Cha', tu commences à le connaître quand même... Je veux bien te couvrir mais là tu te trahis toute seule. T'as déjà vu son cul nu, ne fais pas la choquée quand il se trimballe comme ça.
— Tu as raison ! déclare-t-elle trop fort et trop vite.
Elle s'assoit à son tour en tailleur, ignorant ses pieds toujours nus.
— Cette année, je me lance. J'en ai marre de devenir un concombre de mer tout mou quand il est là ! Je te promets de faire quelque chose.
— C'est-à-dire ?
— Je vais... lui proposer un rendez-vous ? Par message. Plus tard. Un jour. Mais je le ferai !
Je noue mon dernier lacet avant d'attraper les sandales de mon amie pour lui faire comprendre de les mettre. Elle me remercie en les prenant, puis les enfile.
— Si tu as besoin d'aide...
Elle fronce le nez dans une grimace, déçue que je n'ai pas oubliée sa promesse.
— Mince, je regrette de t'avoir dit ça.
— C'était il y a deux minutes, Charline !
— Je sais, mais le dire à voix haute rend la chose beaucoup plus vraie. Enfin, là je me suis engagée auprès de toi donc je suis obligée de le faire, que si j'avais eu l'intelligence de me taire, je serais sûre de bien dormir ce soir.
— Tu es un peu compliquée. Parfois j'ai du mal à te suivre.
— T'en fais pas, moi-même j'ai dû mal à me suivre.
Elle se relève en prenant appui sur le sol, et je fais de même en devinant que les garçons doivent avoir fini de se changer. J'attrape mon énorme sac, et propose à Charline d'aller les ranger dans ma voiture pour ne pas être encombrées. Elle acquiesce et nous nous dépêchons de tout poser dans mon minuscule coffre, qui ne semble pas apprécier le poids que nous lui imposons.
— Putain, je déteste toujours autant ta caisse, râle Charline en poussant très fort son sac pour arriver à fermer le coffre correctement.
— Tu devrais voir quand il est rempli et qu'on est plus de trois dans la voiture...
— Je le sais, je suis venue en vacances avec toi, je te rappelle.
Je l'aide à tout fermer, puis nous rejoignons les garçons qui ont pensé à se débarrasser des leurs aussi. Charline se tend légèrement, juste assez pour que je devine sa gêne, puis se force à sourire pour paraître à l'aise. S'ils la connaissaient aussi bien que moi, ils la charrieraient à coup sûr.
Alors que nous nous mettons d'accord pour y aller, le coach Lissandre passe près de nous, attachant sa chevelure en catogan. Il nous salue de la main et refuse de venir avec nous quand Adam le lui propose. Je ne peux que le comprendre, il a sûrement autre chose à faire que de traîner avec nous.
Sous le ciel bleu, nos discutons brièvement de tout et de rien en allant au bar. Charline prend énormément sur elle, me faisant sourire par son audace et sa détermination. Adam, toujours fidèle à lui-même, ne peut s'empêcher de sauter dans tous les sens sur le chemin, riant à chaque moment qui le permet. Sa bonne humeur est si contagieuse que j'arrive à oublier la petite rancune que j'éprouve à l'égard de Baptiste, me faisant me promettre de passer outre lors de la soirée.
Pas très loin du club, le bar apparaît, sa terrasse en hauteur remplit de personnes qui profitent du soleil.
— Merde, lâche Adam en constatant la même chose que moi. Y a beaucoup de monde, on ne trouvera jamais de place.
— T'as raison, putain j'ai la flemme d'aller jusqu'au port de commerce pour boire un verre, complété-je en lissant ma robe.
— Allez, on y va quand même, décide Baptiste d'une voix grave presque enrouée.
Un peu surprise de son intervention comme il est bien muet depuis le début, je me tourne lentement vers lui. Son regard fixé sur la terrasse, il se met à marcher avec détermination vers l'entrée. Ses cheveux noirs maintenant secs lui donnent un certain mystère comme on le voit dans les films. Je ris doucement à cette pensée idiote, puis emboîte le pas à mes amis qui l'ont déjà rejoint.
Malgré ma petite douche imprévisible de tout à l'heure, quelque chose me donne envie d'apprécier ce mec malgré tout. Son attitude nonchalante et sa façon de parler, sûre et dotée d'un drôle d'accent, le rend magnétique. Je secoue rapidement la tête pour me remettre les idées en place. Je dois penser à moi avant tout. Mon objectif, ma meilleure amie et Adam, mes études. Je n'ai de la place pour rien d'autre.
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