Chapitre 18

Allez viens, j't'emmène au vent

Amélie

Je zippe l'avant de ma combinaison puis fais quelques mouvements de bras pour me sentir un peu moins à l'étroit. Rien à faire, le néoprène est vraiment la pire invention du monde quand c'est sec.

Charline passe à côté de moi, un léger sourire aux lèvres en allant vers Adam pour qu'il lui ferme sa combinaison. Le garçon bouge ses cheveux bruns qui lui donnent un style de surfeur d'un mouvement de tête avant de passer sa main dans le dos de mon amie que je vois frissonner d'ici. Mais son visage n'est pas détendu comme quelqu'un qui se fait caresser le dos par son copain, tout le contraire. Je vois sa mâchoire se serrer doucement et sa poitrine se soulever plus rapidement. Adam sourit comme un idiot à la vue de ce dos, puis se penche vers son cou pour lui souffler des mots doux. C'est seulement là que les épaules de Charline redescendent, détendues.

Je fronce les sourcils toute seule et range mes vêtements avec rage dans mon sac. Quelque chose cloche, ce mec fait un lavage de cerveau à ma meilleure amie. D'habitude, même si elle m'ignore, c'est moi qui ferme sa combinaison rose trop stylée !

— Dépêche, tu vas être en retard, m'interpelle Baptiste en riant.

Je lui lance un regard noir en le voyant avancer sur ma droite, sa voile sur la tête pour aller vers la cale. Je lui tire la langue et enfile mon gilet de sauvetage ainsi que mon harnais, mais mon regard se perd rapidement sur ses fesses parfaitement moulées par sa combinaison. L'idiot va se rendre compte seulement en bas qu'il a oublié d'enfiler son harnais, karma.

Une fois mon sac à l'abri dans le conteneur, je me penche de côté, une main sur chaque strap noir de ma planche et la soulève jusqu'à ce que mon épaule trouve la dérive qui me permet de maintenir ma planche en équilibre. Quand je suis bien calée, je lâche ma main gauche pour que seule la droite et mon épaule associée ne portent le tout.

Je traverse la terrasse en bois en courant jusqu'à ce que j'arrive au bitume et son gravier douloureux pour mes pieds nus, me la pétant un maximum la tête haute pour les gens qui me regardent sur la promenade. Porter sur une seule épaule une planche si lourde, c'est impressionnant pour certains, et on en profite tous, croyez-moi.

Je dévale la cale en courant doucement, slalomant entre les catamarans et les optimists jusqu'à arriver tout en bas où je dépose délicatement ma planche pour éviter qu'elle ne se fracasse au sol. Plus qu'à tout remonter pour aller chercher ma voile cette fois. Je me dépêche et quand j'arrive enfin dans l'eau, voile et planche accrochées ensembles, il y a déjà une bonne dizaine de planchistes sur la rade.

Je monte avec difficulté sur ma planche puis attrape le tire-veille qui me permet de soulever ma voile. Celle-ci se décolle de l'eau avec lenteur mais je mets tout mon poids en arrière pour ne pas fatiguer mes bras. Je constate que la réparation éphémère de Baptiste tient bien l'eau, ça devrait le faire pour la séance.

J'avoue que quand il m'a proposé d'arranger ma voile le temps que je l'emmène à réparer, j'ai été très surprise. Je ne serais pas venu à l'entraînement au pire mais c'est vrai que l'optique de ne pas naviguer pendant deux semaines me fait un peu mal au cœur. Je me suis dis que mes études sont une priorité, n'empêche que ça me manquerait vite de ne plus aller sur l'eau.

Je quitte la cale en profitant pour faire mes réglages avant que le vent ne soit trop fort et manque de tomber à l'eau deux ou trois fois. J'ai un petit doute quant à ma foi envers ma voile quand je commence à sentir l'air puissant qui souffle sur mes cheveux mal attachés. Je repère le bateau de Lays beaucoup plus loin, entrain de mouiller un parcours de bouées. Son bateau qui saute par-dessus les vagues aurait dû me mettre la puce à l'oreille, tant pis.

Je dépasse la barre de vent, celle qui me protégeait un peu à cause des catway remplis de bateaux, et m'affale un peu plus vers la mer. J'accroche mon harnais à la boucle qui pend sur mon wishbone et c'est parti. Le vent souffle dans ma voile, faisant crisser le scotch, puis la vitesse commence à faire décoller l'avant de ma planche. Rapide, je remonte ma dérive pour accentuer cette vitesse et passe mes deux pieds dans les straps noirs qui me permettent une meilleure adhérence à la planche.

Pendant cet instant, je n'entends plus que le vent qui siffle dans mes oreilles, les vagues qui tapent contre mon flotteur. Je suis plus concentrée que jamais à sentir mes fesses taper contre la mer bien proche de mon dos, à appuyer sur la pointe de mes pieds pour ne pas finir face au vent et à maintenir ma voile bien lourde. Un instant de distraction, et je me fais emporter par la puissance de celle-ci.

Je vous avoue que finir à l'eau avec cette vitesse-là, ça donne autant envie que de sauter d'une voiture qui roule à trente kilomètre heures. Sur le papier, tu te dis tranquille, mais une fois que tu y es, tu fais tout pour ne pas le faire.

Je profite que Lays prépare la séance pour faire plusieurs bords à toute vitesse, rejointe par Baptiste plus bas que moi. Lui aussi file comme un éclair, le sourire aux lèvres. Quand il le peut, il se met à frimer en attrapant une vague pour sauter. Le saut est si ridicule que j'explose de rire et me fais emporter ma voile. Mon corps se soulève à cause de la puissance, jusqu'à ce que ma voile se fracasse à l'avant de ma planche avec moi. Mon tibia tape dans mon mât et je sens la mer froide planter ses griffes acérées sur mon corps. La tête sous l'eau, je décroche rapidement mon harnais de la boucle qui m'empêche de sortir respirer, puis remonte à la surface.

Le sel de la mer me pique les yeux et je me prends quelques baffes de vagues un peu plus grosses que les autres. Je m'essuie le visage et respire profondément pour reprendre mon souffle. La vache, je me suis bien fait catapulter.

Je reste quelques instants dans l'eau froide, flottant comme une idiote. Une planche passe à côté de moi puis ralentit jusqu'à s'arrêter. Baptiste me regarde avec un sourire rieur, lui aussi dégoulinant d'eau. Il pose sa voile dans l'eau puis s'assoie sur sa planche pour me regarder.

— Elle est bonne ? questionne-t-il en plongeant ses jambes dans l'eau.

— C'est moi qui devrais te demander ça, tu es tombé avant.

Il me tire la langue puis son regard est attiré plus loin, là où Lays mouille son bateau en mettant l'ancre. Je décide de remonter sur ma planche, me hissant à bout de bras avec une classe... bien propre à un planchiste. Je m'assoie comme Baptiste et nous restons un petit moment comme ça, silencieux, reprenant nos souffles et laissant nos planches dériver vers là où nous poussent le vent et les vagues.

Un premier coup de sifflet se fait entendre, suivit d'une dizaine d'autres qui brisent nos tympans. Je soupire et me lève en équilibre sur le support tanguant, puis relève ma voile. Baptise en fait de même, plus difficilement que moi car son gabarit plus imposant que le mien lui donne moins de stabilité, mais il repart plus vite pour frimer.

Je réprime un sourire qui menace de naître sur mon visage, et borde ma voile en l'amenant vers moi pour attraper le vent et accélérer. Il peut frimer autant qu'il veut, je vais gagner toutes les manches d'entraînement.

***

Je hisse ma planche sur la cale puis l'abandonne dans un coin pour qu'elle ne gêne pas et retourne à ma voile qui git dans l'eau entre les autres planchistes et les dangereux catamarans. Je peste deux trois fois contre des idiots qui ne font pas attention à mon bébé puis la tire pour enlever un maximum d'eau.

Avec les dernières forces que je possède, je la soulève et la pose sur ma tête, manquant de tomber quand le vent s'engouffre dangereusement dedans. Je rétablis mon équilibre, le cœur battant à tout rompre à cause de mes forces qui me quittent mais aussi à cause du vent qui souffle trop fort. Le problème, c'est que même hors de l'eau, une voile reste une voile. Elle prend le vent et peut s'envoler à tout moment si je ne me place pas au bon endroit.

Difficilement, je marche pas à pas, montant la pente de la cale avec le poids écrasant mon dos. En haut, je fais une pause pour reprendre mon souffle et laisser passer les gens qui se promènent mais qui n'en ont strictement rien à foutre de me laisser passer. Alors je force le passage. J'ignore la dame qui râle quand elle sent de l'eau couler sur sa veste et avance vers la terrasse en bois où je pourrais enfin souffler.

Une bourrasque de vent manque d'emporter ma voile quand je passe le virage, mais je tiens bon jusqu'à être en sécurité. Des conteneurs de plusieurs mètres de hauts encadrent la terrasse ce qui nous protège du vent la grande majorité du temps. Je dépose enfin la cause de toutes mes douleurs sur le sol, et profite de ce moment où je me sens légère. J'abandonne mon gilet qui me comprime la poitrine autant que ma combinaison et retourne chercher ma planche.

Mes pieds me supplient d'arrêter cette torture mais je ne peux rien y faire. Je refais tout ce périple une nouvelle fois, et remercie l'univers entier quand j'ai enfin tout rangé. J'ai vite dégréé ma voile et ma planche, je me suis vite changée pour être au sec et maintenant j'ai juste hâte de rentrer chez moi pour prendre une bonne douche.

Baptiste passe à côté de moi avec sa voile sur la tête, rentrant tout juste. Le vent s'est vachement levé, sachant qu'il était déjà fort à la base je n'avais plus de forces pour rester profiter comme il vient de le faire. Il pose sa voile à l'endroit où j'ai déposé la mienne tout à l'heure puis me sourit de toutes ses dents. Il secoue sa tête comme un chien pour enlever un peu d'eau qui dégouline de ses cheveux avant de se laisser tomber sur le sol.

— Je suis rincé !

— Tu ressembles à un chien mouillé comme ça.

— Ça me rend sexy, dit-il en bougeant sa main comme un tigre.

Je ne dois pas rire. Je ne dois pas rire. Baptiste étire ses bras au-dessus de sa tête et se laisse tomber en arrière pour s'allonger sur le bois. Il râle en sentant son gilet rentrer dans son dos mais continue de s'étendre en étoile de mer, ignorant les gens qui le regardent.

— C'est bon, je vais chercher ta planche, soupiré-je en levant les yeux au ciel.

Il redresse sa tête et passe ses mains sous sa nuque comme s'il se prélassait à la plage.

— Je croyais qu'on devait faire comme si on n'était pas amis ? demande-t-il avec une lueur de malice dans ses prunelles.

Je jette un coup d'œil à Charline qui rit, main dans la main avec Adam avant de répondre.

— Je dois te remercier pour ma voile qui a tenu le coup, alors comme il fait beau je t'emmène manger quelque part ce soir, lâché-je en soupirant. Donc il faut que tu bouges ton petit cul, il est déjà dix-huit heures et j'aimerais me doucher.

Baptiste hoche la tête qu'il repose au sol avec un gémissement de satisfaction. Je le dépasse pour rejoindre la cale où m'attend sa planche, mais il m'interpelle.

— Oui ? demandé-je en me retournant sans m'arrêter de marcher.

— Mon petit cul hein ?

— Range ta voile, j'en ai marre d'avoir du sel sur moi.

Il me lance un clin d'œil avant d'éclater de rire et je file en vitesse vers sa planche. Je suis sûre d'avoir les joues rouges, mais j'essaye de rester stoïque. J'attrape les straps et balance le tout sur mon épaule, avant de me la péter devant les passants.

Eh ouais, grosse mais forte.

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