Chapitre 17
Le vélociraptor et le rondoudou
Baptiste
Dans le jardin, au milieu de la pelouse, je m'active à réparer provisoirement le trou dans la voile d'Amélie. Elle n'a pas exagéré quand elle m'a parlé de sa mésaventure en revenant à terre. J'avoue que le vent était aux abonnés absents, alors il fallait se créer soi-même un semblant d'air pour avancer, mais delà à pomper trop fort et trouer sa voile, une première ! Mais je la crois, parce qu'elle n'est pas du genre à mentir. Ou du moins, elle n'aurait pas inventé une histoire aussi folle.
Je l'ai croisé ce matin alors qu'elle allait à la fac pour réviser ses partiels la semaine prochaine, et m'a avoué que la réparation de sa voile prendra trop de temps pour qu'elle puisse naviguer mercredi. Le pire, c'est qu'elle compte la mettre en réparation la semaine prochaine, quand elle sera sûre de ne pas avoir d'entraînement. J'ai trouvé dommage qu'elle ne navigue pas pendant deux semaines alors j'ai proposé de faire une petite réparation qui tiendra pour une navigation. Ses joues ont rosi comme ses cheveux mais elle a fini par accepter contre je ne sais quoi. J'ai refusé mais elle a insisté alors je ne sais pas comment elle va me remercier.
Peu importe. Seul dans mon jardin au milieu de l'herbe, je savoure la douce chaleur du soleil sur mon corps. À l'abri du vent, je me sens comme en Italie pendant un moment. J'attrape le scotch fait pour la matière de la voile et poursuis ma réparation bancale.
J'ai été regarder les résultats finaux d'hier sur internet et en effet, les filles sont bien affichées mais elles ne sont pas assez pour que ça compte dans le classement régional et national. Noémie en première, Amélie en deuxième et Charline en troisième. Il devait y avoir une quatrième mais elle n'a fait qu'une seule manche sur les cinq ce qui l'a disqualifiée automatiquement.
Quand Amélie m'a appris son intention de foutre la merde pendant la course, j'ai eu un peu peur qu'elle ait des sanctions. Aussi improbable que ça puisse être, je me suis inquiété pour elle avant de voir sa procédure. Tout était millimétré, comme si elle avait fait ça des centaines de fois. Petit à petit, le chaos régnait sur l'eau et la tension entre les couleurs palpable. Je ne pouvais pas m'empêcher de jeter un coup d'œil toutes les cinq minutes pour voir ce qu'elle faisait, laissant ma course de côté. Si j'ai été moins bon que d'habitude par cette tornade rose de distraction, Noémie n'a quand même rien pu faire contre ma détermination. Pour l'honneur de ma nouvelle amie, il fallait bien que sa rivale reste un peu en arrière.
Alors j'ai gagné la bataille d'égo, j'ai soutenu Amélie de temps en temps quand je le pouvais et j'ai admiré ses talents de connasse suprême. Elle qui me traite de con à tout va, j'ai failli lui dire qu'elle n'était pas mieux quand elle s'y met. Malheureusement, j'avais trop peur des représailles. Déjà que j'essaye de me racheter sur mon comportement, je ne me vois pas l'insulter de nouveau.
Je me lève pour observer mon travail, pas peu fier de la propreté de la réparation. Le scotch transparent regroupe parfaitement les lambeaux de voile et je pense même que ça peut tenir un petit moment.
— Pas mal du tout, intervient une voix grave qui fait disparaitre mon sourire satisfait.
Mon père débarque sur la terrasse, toujours vêtu d'un costard fait sur mesure. Il observe de lui ma réparation en hochement machinalement la tête. J'en profite pour ramasser mon bazar et rouler la voile, puis la range dans sa housse pour la rendre à Amélie.
— FRA 466, énonce-t-il d'un air suspicieux, ce n'est pas toi ça.
— Le jour où je serais entièrement français, ça se saura, déclaré-je un peu trop sèchement ce qui n'a pas l'air de plaire à mon père.
Il inspire et expire bruyamment, comme lui a appris Ludo lors de leurs séances de yoga. Apparemment, il est plus calme grâce à ça.
— C'est la voile de la voisine.
— Je m'en doutais, dit-il en haussant les épaules.
Je retourne sur la terrasse et dépose la voile dans un angle. J'attrape le t-shirt que j'avais laissé à l'abandon et l'enfile rapidement avant que Livia n'arrive et me reproche encore d'être en tenue d'Adam.
Même si j'ai un short, cette fois.
— J'ai eu Paolo Rossi au téléphone, sous l'appui de Ricardo Sabbatini, m'explique mon père en replaçant sa cravate droite sur son torse. Tes amis ont l'intention de venir en France te rendre visite. C'est adorable, tu ne trouves pas ?
Je réprime une grimace en attrapant le paquet de clopes abandonné sur la table extérieure. Je l'allume et prends la plus grande taffe de mon existence à m'en faire monter les larmes aux yeux. Papa continue de me parler de sa discussion avec mes amis italiens, relatant l'envie du second de venir plutôt pour son anniversaire en juin. Je ne dis rien, fume en silence, écoutant de temps en temps ce que mon père dit sans vraiment suivre.
Parce que je sais déjà tout. J'ai fait l'erreur de décrocher mon téléphone hier en attendant Amélie, ce qui m'a valu une avalanche de nouvelles sur la gueule. Voyant que j'étais réticent à leur venue, ils ont dû décider que le mieux à faire était de joindre mon idiot de père qui, lui, acceptera sans broncher.
Le pire, c'est que je suis persuadé qu'il ne les aime pas. La seule chose qui l'intéresse, c'est la position sociale des familles Rossi et Sabbatini. Rien de plus, rien de moins. Tout est une question de paraître, comme d'habitude.
Si mon père était plutôt reconnu en Italie, avec un nom de chirurgien qui inspirait le respect et la confiance. Mais il a décidé de venir ici, où son nom est tout aussi connu dans son milieu, certes, mais il souhaite ne pas perdre son influence dans notre pays. Le fric, le pouvoir, tout ça tout ça...
— Enfin bref, ma porte est grande ouverte pour eux. Peut-être même qu'il faudra louer quelque chose autre part ? Ça sera sympa. N'oublie pas qui ils sont, fils.
Avec rage, je lâche le mégot dans le cendrier et mon père ne lâche pas des yeux le moindre de mes mouvements. Il sait que je ne veux plus avoir rien avoir avec ces types. Mais le bonheur de son fils n'a pas l'air d'être une priorité.
— Je compte sur toi Baptiste. Tu as moyen de rester en contact sans pour autant te les coltiner tout le temps. Comporte-toi en adulte et fais-le pour moi.
J'acquiesce avec difficulté et ne bouge pas quand mon père tape mon épaule avec bienveillance. Parfois, je le déteste du plus profond de mon âme.
J'entends la porte d'entrée s'ouvrir puis se fermer, et je m'autorise à respirer quand sa voiture quitte notre maison.
Va opérer tes gonzelles en manque de seins au lieu de me faire chier.
J'entre dans la maison, ferme la baie vitrée et m'affale dans le canapé de tout mon long. J'ai l'impression d'être épuisé. Ma nuit a été courte mais quand même.
Des pas se font entendre dans l'escalier qui mène à l'étage puis plus rien. Je tourne la tête pour voir les cheveux rouges de Livia qui me fixe de ses yeux bruns devenus noirs par la colère, sans un mot, le visage dur. J'ouvre la bouche pour parler mais elle se précipite dans la cuisine, main devant elle pour m'empêcher de lui adresser la parole. J'hésite entre rire de son remake de Parle à ma main ou me sentir vexé. Je devrais être habitué à force, mais savoir que ma sœur m'en veux pour ce que j'ai dit à Amélie me fait plus mal que je ne le pensais.
Déjà que j'ai l'impression qu'elle ne me porte pas dans son cœur...
Dans un même élan, je m'assoie sur le canapé pour me lever et la rejoindre mais elle m'évite. Me tournant son dos pour se servir un verre d'eau, j'ai envie de lui arracher sa grosse veste verte qu'elle porte. Elle doit mourir de chaud là-dedans !
— Livia, tu vas chopper la mort si tu ne te découvres pas un peu.
— Ne me parle pas, crache-t-elle avec fureur.
Elle penche la tête pour avaler son verre d'une traite, puis l'abandonne dans l'évier quand il est vide, décidant qu'emporter la bouteille d'eau sera sûrement plus productif. Elle baisse la tête et contourne l'îlot central à mon opposé, mais trop rapide, je lui bloque le passage.
Elle me pousse avec rage en arrière, deux mains sur mon torse, mais je ne bouge pas. J'attrape ses deux poignets mais elle se met à gémir de douleur, s'arrachant à moi. Je recule de surprise et elle en profite pour courir vers l'escalier, abandonnant la bouteille d'eau qu'elle a lâché pour me pousser.
Je cligne plusieurs fois des yeux pour essayer de comprendre ce qu'il vient de se passer mais je ne comprends rien. Tout s'est passé très vite. Au même moment, ma belle-mère débarque avec sa fraîcheur et sa bonne humeur de fin de soirée, le sourire aux lèvres.
— Comment ça va, Baptiste ? me demande-t-elle en déposant son sac du midi sur le canapé.
— Bien, je crois.
Elle hoche la tête puis enlève sa veste en jean si petite que je ne pourrais même pas passer un bras dedans. Je ramasse la bouteille d'eau avant qu'on ne se fasse engueuler, la range à sa place et retourne dans le jardin où je récupère la voile. Dans l'entrée, je me recoiffe rapidement dans le miroir rectangulaire puis lisse ma moustache et annonce à Ludo que je reviens. Elle me lâche un regard lourd de sens que j'ignore, ainsi qu'un petit sourire qui veut tout dire.
N'importe quoi, je vais juste rendre une voile à une amie.
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