Chapitre 14

So Bad

Baptiste

Je monte à pas de loup les marches de l'escalier, observe les quelques cadres photos qui illustrent la jolie petite famille et les quelques photos rétros de ses parents. C'est fou comment Sophie n'a pas changé de vêtements depuis les années 80. Quand j'arrive en haut, un couloir se dresse mais pas trop difficile de trouver la porte qui mène à la chambre d'Amélie. Elle est toute peinte en rose flashy avec un gros A en paillettes dessus, ainsi que de petits papillons qui décorent le tout. En bas, il y a même une planche à voile dessinée au marqueur noir, ce qui me laisse échapper un petit sourire.

J'arme mon poing pour toquer mais me dégonfle très vite.

Allez Baptiste, ce n'est pas compliqué.

Je détends mes jambes, échauffe ma nuque et mes épaules avec de petits cercles, puis reboutonne un peu ma chemise histoire d'être convenable.

J'ai fait le con. Encore. Mais ce n'était pas intentionnel. Je pensais qu'elle réagirait mieux, qu'elle rirait ou que je pourrais la taquiner, mais sa réaction fut totalement disproportionnée. Elle ne répondait plus d'elle-même, elle semblait totalement ailleurs. Si ces parents l'ont remarqué, ma famille n'y a vu que du feu. Pourtant, les larmes qui menaçaient d'éclater au coin de ses yeux étaient bien réelles. J'ai vu sa détresse. Je ne sais pas pourquoi, mais cette petite boutade a été la goutte de trop.

Je me chauffe enfin et toque doucement à la porte rose. J'attends une seconde. Puis 10. Puis 30. Mais personne ne répond. Je toque de nouveau, un peu plus fort mais c'est le même résultat.

Un peu hésitant, je presse la poignée de la porte et ce sont une multitude de murs roses et jaunes qui m'accueillent. À ma droite, un grand lit deux places se dresse, pourvu d'une bosse en couverture bleue. Je m'approche à pas de loup pour ne pas déranger la grande boule et m'assoie sur le bout du lit.

Je tends l'oreille et entends de petits gémissements qui me font penser à des pleurs. Zut, elle n'allait vraiment pas bien.

— Amélie ?

Un gémissement un peu plus fort me répond ce qui m'arrache un sourire. J'observe un peu plus sa chambre très colorée, mais il y a tellement de choses accrochées au mur, tellement de peluches au sol et de vêtements empilés un peu partout.

— Amélie, je suis désolé, j'insiste en posant ma main sur la bosse.

Elle se tortille en râlant mais ne sort pas la tête de la couette. J'entreprends alors quelque chose de plus intelligent en trouvant son dos et commençant à chatouiller. Malheureusement pour moi, la couverture est bien épaisse donc elle ne doit pas sentir grand-chose. J'arme ma deuxième main et insiste un peu plus. Elle commence à bouger dans tous les sens en lâchant de petits bruits étouffés, puis roule totalement sur la droite pour m'écraser la main sous elle. J'aperçois une ouverture et tire dessus, libérant la tête rose d'Amélie et ses joues rouges à force d'avoir trop pleuré. Ses yeux gorgés de sang me regardent avant qu'elle n'essaye de disparaitre de nouveau, mais je l'en empêche. Elle râle — encore — mais finit par arrêter pour fuir simplement mon regard.

— Amélie, il faut que tu parles, déclaré-je tout doucement. Je sais que tu n'as aucune envie de me voir là, mais tout le monde s'inquiète en bas. Ton comportement n'est pas normal. Je ne voulais pas te faire du mal, c'était qu'une tarte, une petite taquinerie.

Une larme coule encore sur sa joue mais elle ne dit rien. Elle se redresse pour s'assoir, dévoilant sa chemise toute froissée et tachée d'eau. Je cherche dans ma veste un mouchoir propre et le lui tend. Elle le saisit en disant un léger merci, puis mouche son nez.

— Amélie, qu'est-ce qui se passe ? j'insiste. Je sais que je suis un con et je vais tout faire pour m'excuser. Mais là, ça a l'air grave. Tout se passait bien puis tu m'as menacé avec une paire de ciseaux. Je viens avoir l'allure d'un mafieux italien mais ça ne veut pas dire que je suis capable de contrer une attaque à l'arme blanche.

Elle rit légèrement en pliant proprement le mouchoir. J'essuie une larme qui reste perler sur sa joue.

— Je suis désolée, murmure-t-elle d'une voix cassée.

— Désolée de quoi ? Tu as le droit de péter des capables, mais là ça faisait un peu film d'action quoi. Qu'est-ce qu'il se passe ? Si tu ne veux pas me parler, je peux appeler Livia alors...

— Non, c'est bon, souffle-t-elle en reniflant de plus belle. J'ai juste, trop de choses à gérer. Je ne voulais pas te faire mal, je tenais à ce bout de gâteau. Et si tu viens pour me dire que je suis assez grosse comme ça, j'ai une paire de ciseaux cachée dans ma chambre.

J'explose de rire en imaginant la scène. Dans l'état où elle est, c'est vrai que je devrais craindre pour ma vie.

— Je ne t'en voudrais pas, dis-je en me calmant. Je vois bien que tu n'es pas en forme depuis quelques jours, je gagne un peu trop souvent aux entraînements. Et pourtant, je vois bien que tu t'arraches. Mais là, tu tournes trop tôt aux bouées, tu prends des faux départs et t'as même refusé une priorité !

— C'est vrai que ça ne me ressemble pas...

— Ça ne te ressemble pas ! Amélie, je ne te connais pas depuis longtemps mais punaise, si ton objectif c'est les championnats du monde ne te laisse pas distraire par une amie qui n'en vaut pas la peine !

En entendant ça, elle se raidit et daigne enfin me regarder. Ses joues reprennent une couleur de peau plus normale tandis que ses petites tâches de rousseurs réapparaissent. Une lueur de douleur passe dans son regard et elle se mord légèrement la lèvre, laissant une marque rosée dessus, avant de reprendre.

— Comment tu sais que Charline est impliquée ? questionne-t-elle en recoiffant ses cheveux.

— Ça crève les yeux... Vous êtes tout le temps collées et là plus rien. Tout le monde a remarqué dans le groupe, elle ne voit plus que l'autre là, je sais plus son nom.

— Adam, elle me rappelle.

— Oui, lui. D'ailleurs je ne le sens pas ce mec.

— Tu ne le connais pas.

— Et toi, est-ce que tu le connais ?

— Depuis un moment oui.

— Mais est-ce que tu le connais vraiment ? Est-ce que tu sais ses passions ? Que font ses parents dans la vie ? Qu'est-ce qu'il souhaite faire plus tard ? Sa couleur préférée ? Ses allergies ?

Amélie fronce ses sourcils puis se concentre sur ses mains qui tiennent son mouchoir. Je vois qu'elle se remet à rougir, signe qu'elle va pleurer.

— Désolé, déclaré-je un peu trop rapidement, ne pleure pas ! Je ne voulais pas être con. C'est juste pour te faire comprendre que je ne le connais pas plus que tu ne le connais. C'est une connaissance, pas forcément un ami. En tout cas, moi je considère que mes amis sont ceux que je connais un minimum. Tu commences à être mon amie.

Amélie attrape le coussin en forme de cœur derrière son dos et me le lance au visage avec force. Je me le prends en pleine poire mais ça ne fait pas mal. Décidément, elle est un peu violente sur les bords quand on la connait.

— Je ne suis pas ton amie, dit-elle avec amertume. On ne peut pas être ami avec quelqu'un quand il se comporte mal avec vous.

— Je t'ai dit que j'étais désolé ! Je sais que tu m'en veux, c'est totalement normal. Je ne peux pas me justifier mais j'ai toujours été un con jusqu'à maintenant. Te voir dans cet état, à me tenir tête et à m'en vouloir pour ce que je t'ai fait comprendre même sans les mots, ça m'a fait quelque chose. Je veux plus être le con que j'étais en Italie. Tu m'as fait avoir le déclic que je voulais avoir depuis un moment. Je veux vraiment faire un effort, et t'es la personne parfaite pour me remettre en place quand il faut. Pas besoin d'être réellement amis, surtout sur l'eau, je veux que tu me fasses la misère. Mais dans des moments comme ça, je veux qu'on s'entende. Rien que pour Livia. Putain je ne l'avais pas vu sourire et rire comme ça depuis des semaines ! Je veux bien prendre ce titre de con que tu m'as attribué, et je veux que tu continues à m'engueuler. Mais je ne veux pas faire le con au point de faire l'aveugle quand ça va mal. Et ça se voit, Amélie, que tu vas mal. Si tu ne veux pas parler à tes parents, alors je veux bien être là.

Elle ne dit rien un moment. Peut-être une bonne minute, puis soupire bruyamment. Punaise, mon cœur bât super vite dans ma poitrine, j'ai l'impression d'avoir besoin de mille clopes pour me calmer. Je sens mes mains trembler légèrement mais les cache en serrant le coussin cœur contre ma poitrine. Ce que je viens de dire me terrifie.

— C'est quoi ta couleur préférée ? me demande-t-elle très bas.

— Le noir, je crois. Et toi ?

— Le rose.

Je ris ce qui a le don de soulager un peu mon cœur, puis elle reprend.

— Et tes allergies ?

— Je n'en ai pas. Et toi ?

— Les poneys.

Je cligne des yeux plusieurs fois, essaye de retenir le fou rire qui monte dans ma gorge, et arrive juste à lui demander si j'ai bien entendu. Elle choppe un autre coussin en forme d'étoile pour cacher son visage dedans.

— Oui, je suis allergique aux poneys, ne cherche pas à comprendre.

— D'accord, d'accord, je capitule en ricanant. Mais en tout cas, je sais que tu aimes la voile, les films et Eminem apparemment.

Je regarde un instant les murs pour voir si j'ai loupé quelque chose mais rien d'autre ne me saute aux yeux.

— Ta mère travaille dans un magasin de vêtements et ton père est ambulancier, je continue en réfléchissant un peu à mes mots. Je ne sais pas exactement ce que tu souhaites faire plus tard mais je sais que tu veux travailler sur la géologie des océans. Ou sur les océans tout court d'ailleurs. Tu aimes le rose, d'où tes cheveux et tu es allergique aux poneys.

Amélie lâche un rire clair et rauque avant de hocher la tête. Puis elle réfléchit un peu à l'ordre des réponses je suppose, avant de déclarer.

— Tu aimes la voile et les cigarettes.

Elle s'arrête pour réfléchir mais j'avoue que ce n'est pas facile. Moi, j'ai accès à sa chambre qui donne une centaine d'indice sur sa vie alors qu'elle doit essayer de se souvenir de conversation qu'on a pu avoir. Super dur.

— J'aime bien Eminem aussi, je l'aide en souriant.

Elle me remercie des yeux avant de continuer un peu plus gaiement et sûre d'elle-même.

— Ton père est chirurgien et ta belle-mère travaille dans le magasin de ma mère maintenant. Tu envisages de travailler dans le marché de l'art, surtout le droit. Tu aimes le noir et tu n'es allergique à rien.

J'acquiesce à mon tour et elle me sourit en réponse. Un petit blanc s'installe alors je jette un coup d'œil dans sa chambre, trouvant l'objet qui m'a aidé tout à l'heure. Je me lève du lit tout mou pour chercher le disque qui m'intéresse, puis allume sa platine à vinyle vintage. Amélie ne dit rien et se contente de m'observer alors que je sors délicatement le vinyle de son étui, puis l'installe sur le tourne-disque. Celui-ci se met à tourner et des premières notes s'élèvent dans la pièce quand je pose la branche dessus.

Je retourne à ses côtés, elle me fait une place à sa gauche pour que je puisse m'adosser au mur. Dans le silence, nous écoutons les paroles d'Eminem s'envoler dans la chambre et mourir au fil des morceaux. Au bout de quelques minutes d'écoute, un souffle régulier se distingue de la musique et je me risque à regarder Amélie, avachie contre son coussin, les yeux fermés. Sa respiration m'indique clairement qu'elle s'est assoupie, alors je me lève, pose la couverture bien sûr elle, puis retourne à la platine pour l'éteindre. Je ferme son volet ainsi que la lumière de la chambre, et ferme doucement la porte pour plonger la chambre dans le noir. Au moins, elle n'aura pas à affronter la suite du dîner.

Quand je descends les escaliers pour arriver dans le salon où ma famille a enfin décidée de se lever, les paroles du chanteur tournent encore en boucle dans ma tête. Je salue ses parents, quitte la maison pour aller fumer une clope à l'abri des regards, l'esprit perdu dans la nuit.

« I'm as calm as the breeze, I'm the bees knees, his legs and his armes I'm a

S-Superstar, girl, I'm ready for you mama !

Why you think the only thing I got on is my pajamas ? »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top