Chapitre 13
Le dernier bout de tarte, c'est sacré.
Amélie
Nous arrivons en rires devant ma maison, suivit d'assez loin par un Baptiste silencieux. Livia se lâche enfin un peu si bien que j'ai pu lire un certain soulagement sur le visage de son frère à un moment dans la soirée. Dès le début, j'ai senti que la jeune adolescente n'était pas spécialement à l'aise au milieu de ces inconnus puis je me suis mise à sa place. Est-ce que j'aurais aimé déménager et reprendre ma vie comme si de rien était, loin de mes habitudes et de amis ? Je pense qu'à son âge, j'aurais pété un câble et quelques assiettes au passage.
Parfois, faut savoir montrer qu'on est en colère.
Je sonne à la porte histoire de ne pas surprendre mes parents, et c'est ma mère qui vient nous ouvrir, les mains vêtues de gants de cuisine.
— Génial ! s'exclame-t-elle en tapant gaiement dans ses mains. On allait passer à table, venez !
Elle prend Livia par la main et l'entraîne à l'intérieur en ignorant l'expression de surprise de la jeune fille. Je ris doucement et me risque à jeter un coup d'œil derrière moi pour voir Baptiste écraser un mégot sous sa chaussure, et le ramasser directement après. Quand son regard croise le mien, il hausse un sourcil.
— J'ai ramassé, il me fait remarquer en montrant le mégot orange.
— Je sais, je ne t'ai rien dit. Tu n'avais pas le choix de toute façon.
Je me détourne et pénètre dans la maison en l'ignorant de plus belle. J'avoue que sa réaction de tout à l'heure m'a un peu étonnée. Sa sœur a directement monté le ton et il s'est totalement écrasé. Il a exprimé ces regrets plus d'une fois à mon égard, et même si je commence à croire qu'il est sincère, il faudra qu'il me le montre mieux que ça. Personne ne mérite un simple désolé quand on vous traite mal, quelle que soit la façon.
Dans la salle à manger, mon père, Ludovica et Francesco sont embarqués dans une conversation mouvementée sur... les moyens économiques mis en place dans les hôpitaux ? Passionnant.
— Mais Henry, reprend Francesco en tenant son verre de vin rouge, vous ne pouvez pas dire de tels propos.
— Avec tout le respect que je vous dois, sortez un peu de vos salles d'opérations et venez voir les urgences un peu, poursuit mon père avec une grande conviction. On a plus de budget, c'est la guerre.
— Ne croyez pas que ce n'est pas la guerre dans le bloc opératoire, nous aussi on ressent les effets du budget qui se réduit.
— Mais alors pourquoi...
J'arrête d'écouter et rejoins ma mère qui s'est éclipsée dans la cuisine après avoir installé les deux enfants des invités. Je la vois sortir un gros poulet du four et manquer de se brûler avec un assortiment de patates cuitent à l'eau. Quand elle relève enfin les yeux, elle m'indique le robot pour faire la purée.
— Tu appuies là, ici et là. Rajoute du lait aussi, m'indique-t-elle en sauçant une dernière fois le poulet avec du beurre et des oignons confis.
— Maman, je sais faire une purée, déclaré-je en riant.
Elle ne me répond pas, trop concentrée sur sa nourriture. Je m'exécute à la tache, puis glisse la purée dans un récipient transparent. Ma mère dispose bien le poulet dans le plat avec un couteau et une cuillère pour la sauce, puis part de la cuisine pour tout déposer sur la table. Je la suis avec mon plat et fait vite fait un aller retour pour la salade.
Beurk, inutile ce truc vert.
***
Le repas passe rapidement dans une grande euphorie et une bonne humeur mutuelle, hormis Livia qui se tait depuis que nous sommes rentrés. Face à ses parents, elle essaye de rester polie pour les hôtes mais ses réponses sont cassantes, presque insolentes. Alors arrivés au dessert, tout le monde a lâché l'affaire pour lui adresser la parole.
— Prêts pour votre compétition demain ? demande Francesco en jouant avec sa tarte au citron meringuée.
— Rien de très complexe, ajoute son fils avec sarcasme.
Affalé sur sa chaise, il s'attire longuement les bras avec ennui et fatigue. Je peux le comprendre, il est minuit passé et moi aussi je commence à avoir sommeil.
— On verra bien, je poursuis en mordant avec appétit dans la tarte. C'est je ne sais plus où et je pense qu'il y aura un peu plus de clubs que la dernière régate. Enfin, j'espère surtout.
— J'aurais voulu être là pour voir ça, continue le père de Baptiste en caressant la joue de sa femme. Mais nous avons prévu de nous rendre du côté de Meneham, il parait que c'est très beau là-bas.
— Oui c'est vrai ! s'exclame papa en enlevant ses grosses lunettes à la monture noires. Vous verrez, la plage est très belle et les cailloux...
Je décroche encore de la conversation pour me concentrer sur ce bijou de l'univers qu'est cette magnifique tarte citron meringuée. Ce jaune appétissant, ce blanc nuageux et légèrement mou... J'attrape le dernier bout qu'il me reste pour finir ce merveilleux dessert, mais celui-ci m'échappe des doigts. Je vais pour le récupérer sur la nappe blanche de ma mère, mais une main inconnue arrive de nulle part et vole mon gâteau.
Un cri d'effroi m'échappe quand je vois la main se déplacer jusqu'à la bouche de Baptiste qui engloutit sans vergogne mon morceau délicieux de tarte. Tout le monde s'arrête de discuter pour nous observer, le silence est de plomb.
La bouche ouverte, j'observe cet idiot mâcher lentement avec un stupide sourire sur le visage. Ses cheveux noirs bougent sur son front en même temps que sa mastication, et mon cœur bât à ton rompre, mon cerveau se déconnecte. Je me lève brusquement, cours dans la cuisine pour attraper une paire de ciseaux, puis reviens en les pointant avec menace vers lui.
— JE VAIS TE COUPER LA LANGUE, hurlé-je en ignorant les quelques bruits étonnés des adultes. NON, JE VAIS TE COUPER LES COUILLES.
Baptiste rit un peu en se reculant dans sa chaise, tout en levant les mains en l'air en signe d'innocence ou de capitulation.
— Amélie, tu ne trouves pas que tu exagères un peu ? demande maman d'un ton rieur.
— IL M'A VOLÉ MA TARTE CET ENFOIRÉ ! LE DERNIER BOUT !
Je m'avance vers lui avec les ciseaux toujours pointés en avant, et cette fois j'entends une chaise glisser bruyamment sur le sol, puis des mains fermes tenir mes épaules.
— Amélie, dit calmement mon père, maman a raison. Ce n'est qu'une tarte, on en refera d'autres...
— C'ÉTAIT MA TARTE ET IL L'A BOUFFÉ CET IDIOT ! LE MEILLEUR BOUT !
J'entends quelqu'un pouffer et vois Ludo se retenir comme elle peut, les larmes aux yeux, ainsi que Francesco qui se cache derrière sa main. Je crois même voir Livia qui rit.
— RENDS-MOI MA TARTE !
Je m'élance sur lui pour finir sur ses genoux, les ciseaux sous sa gorge. Baptiste rit comme un fou toujours avec les mains en l'air, alors que quelque chose de très coupant le menace de lui trancher la jugulaire. Ses yeux verts s'ancrent dans les miens, mais j'essaye de rester concentrée pour ne pas trembler et le blesser involontairement.
J'ai envie de le faire payer, mais peut-être pas de le tuer pour ça.
— Ma tarte, enfoiré, je lui crache au visage.
— Tu veux que je crache ? chuchote-t-il avec dédain. Nan, pas glamour. Viens alors, mes lèvres sont toutes à toi.
Je m'écarte un peu mais appuie un peu plus les ciseaux sur sa gorge. Je sais que je ne le coupe pas encore, mais j'ai vraiment envie de le lui planter sous l'oreille.
— Tu vas payer, dis-je finalement alors que mon père me soulève par la taille pour m'entraîner loin de celui que j'agresse.
J'essaye de me débattre mais il est beaucoup plus fort que moi. Je vois Ludovica qui pleure de rire en silence, ma mère qui ne semble plus du tout amusée et Francesco qui semble assez curieux. Je déteste qu'on me regarde comme une bête de foire.
— C'est bon ! Lâche-moi ! crié-je à mon père qui me tient fort la taille. J'ai plus trois ans, LAISSE-MOI PUTAIN !
Il me lâche avec délicatesse pour que mes pieds retouchent le sol, puis s'écarte avec prudence en attrapant ma paire de ciseaux.
— Tu dois être fatiguée, Amélie. Monte dans ta chambre pour te reposer. Je comprends que tu sois sur les nerfs en ce moment, mais ce n'est pas pour autant qu'on doit agresser un homme à cause... d'une tarte ! Enfin, Amélie. Tu as 19 ans, j'en attends plus de toi.
— C'est ça, oui... dis-je tout bas pour qu'il ne m'entende presque pas.
Je ne prends pas le temps de saluer tout le monde et me contente d'aller dans les escaliers. Il a raison, je dois être fatiguée. Ce n'est qu'une tarte. Qu'il m'a volé, certes, mais une tarte. Je me sens un peu ridicule maintenant mais en même temps... Raahhh ! Une larme coule sur ma joue et je l'essuie avec rage en rejoignant ma chambre. Je ne sais pas ce qui m'arrive mais j'ai envie de pleurer. Je savais que c'était une mauvaise idée cette soirée. Je savais que j'aurais dû rester dans ma chambre en pyjama devant Titanic. Je déteste ce qu'il vient de se passer. Je déteste de savoir que les amis de mes parents doivent me prendre pour une mal polie. Je déteste que ma meilleure amie me lâche comme une merde. Je déteste ces putains de partiels qui approchent. Je déteste de ne jamais avoir eu la fin de Gilmore Girls. Je déteste qu'on me vole ma nourriture. Je déteste mon putain de corps et merde, qu'est-ce que je déteste ce mec !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top