Chapitre 10

Mmh, toujours écouter les femmes.

Baptiste

   J'allume une clope et tire dessus rapidement pour qu'elle ne s'éteigne pas. La fumée rentre dans mes poumons avec une certaine fraîcheur qui me fait un bien fou. J'expire dans ma chambre en ouvrant la fenêtre, histoire de ne pas me faire trop engueuler quand mes parents se rendront compte de ça.

Mon téléphone se met à sonner sur mon lit, je me déplace pour attraper l'engin et soupire quand je vois le nom s'afficher. Je laisse sonner jusqu'à ce que mon téléphone vibre, comme si je n'avais pas vu l'appel vidéo, et attends deux minutes pour rappeler normalement.

Je suis à poil et j'ai un peu la flemme de me changer juste pour un appel vidéo, il devra se contenter de ma voix.

Je porte mon téléphone à mon oreille, ça sonne une fois, deux fois, puis la voix grave de mon ami résonne dans le haut parleur en italien.

— Baptiste ? demande Paolo quand il décroche.

Son italien me fait frissonner tant ça fait étrange d'entendre si clairement ma langue native dans sa plus naturelle utilisation.

— Sì, sono io. Come stai, Paolo ? (Oui, c'est moi. Comment ça va, Paolo ?)

— Ma sta andando alla grande ! È da un po'che non abbiamo tue notizie e io e Ricardo eravamo preoccupati per te. (Mais ça va super ! Ça fait longtemps qu'on n'avait pas de tes nouvelles, on s'inquiétait avec Ricardo.)

— Sì... Sono stato molto occupato. (Ouais... J'ai été pas mal occupé.)

Le plus gros mensonge de mon existence. Certes, j'ai été plutôt occupé depuis mon arrivée en France, mais pas de là à les oublier.

Paolo et Ricardo ont de loin été les meilleurs potes dont j'ai pu rêver. Jusqu'à ce que Ricardo touche un héritage colossal, nous entraînant dans la débauche, les soirées, et tout ce qui va avec. Ma décision de suivre mes parents a principalement été prise sur cet aspect de ma vie que je veux changer. Alors parler avec eux me fait autant de bien que de mal, me rappelant les plans foireux qu'on a pu avoir en Italie. Pour vous faire une idée, ça inclut des dizaines de meufs, de l'alcool, beaucoup d'alcool, et quelques produits illicites en haut d'une maison traditionnelle. Chouette soirée si on ne se souvient que d'une partie.

— Ricardo è con me. Ci stiamo preparando per una festa, credo. Il tizio che vende la drogua a Ric' gliene ha parlato. Se ci sono troppi drogati, prendiamo una o due ragazze e ce ne andiamo. (Ricardo est avec moi. On se prépare pour une teuf, enfin je crois. C'est le mec qui vend de la came à Ric' qui lui en a parlé. S'il y a trop de camés, on choppera une ou deux nanas et on se barrera.)

Et dire qu'il y a quelques semaines à peine, je trainais dans ce genre d'endroit avec eux. En l'espace de quelques jours, j'ai l'impression d'être dans une tout autre dimension. Et le pire, c'est que je sais qu'avec leurs belles gueules ils n'auront aucun problème à chopper une femme. Peu importe l'état dans laquelle elle se trouve.

Un frisson de dégoût remonte le long de mon dos, me donnant presque envie de me couvrir.

— E' bello, (C'est cool), coassé-je tant j'ai envie de vomir. Divertitevi, anche se... È Pasqua ?Esci davvero di domenica sera ? (Profitez bien même si... C'est Pâques ? Vous allez vraiment en soirée un dimanche soir ? )

— Amico, sei pazzo ? Certo che sono malato. Beh, era ora che tornassi da noi prima di finire vecchio nella tua patria parigina. (Mec, t'es malade ou quoi ? Bien sûr que oui. Putain, il est temps que tu reviennes avec nous avant de finir comme un vieux dans ton pays parisien.)

Je grimace tout seul, réfléchis à quoi répondre avant d'être interrompu par Ricardo criant dans le téléphone, fier de m'expliquer leur dernière orgie. J'écoute d'une oreille distraite en tirant une taffe, puis pense à autre chose quand il me donne trop de détails. Des seins, du cul, et quelques positions que j'ai dû mal à imaginer.

Ils me posent quelques questions sur ma vie, je réponds, évasif, puis mens quelques fois sur les soirées que je fais. En fait, je ne sors pas beaucoup. Hormis les quelques fois où nous allons boire un verre avec le peu de connaissances que j'ai, je préfère m'axer à fond sur mes études et obtenir mon diplôme. Parce qu'ici, je ne peux pas l'acheter. Mon père n'est pas le doyen de l'université, ou je n'ai pas autant d'argent à foutre en l'air plutôt que de bosser. Là-dessus, j'ai toujours eu un avis différent du leur.

— Nessun pulcino in vista al momento ? (Pas de nana en vue du coup ?) demande Paolo en riant.

J'éteins ma clope et la jette dans ma poubelle de bureau, puis reprends mon téléphone que j'avais posé dans un coin.

— No, non proprio, (Non, pas vraiment), déclaré-je en réfléchissant. Beh, sì, c'è una ragazza che spacca le palle, ma lo vedrete ! Impossibile contattarla. (Enfin si, y a cette meuf casse-couilles mais tu verrais ! Impossible de mettre le grappin dessus.)

— Ti eccita ? (Elle t'excite ?) ricane mon ami.

— No, non è così. E' così... stronza e altezzosa. È impossible sbloccare qualcosa, quindi c'è un'altra ragazza, non so come si chiama. Una brunetta piuttosto scorsa, non avrei  problemi a portarmela a letto. (Non, ce n'est pas ça. Elle est si... chiante, et hautaine. Impossible de débloquer quoi que se soit, du coup y a une autre meuf, je sais plus comment elle s'appelle. Une brune plutôt mignonne qui me tournait autour la semaine dernière, je n'aurais pas de mal à la foutre dans mon lit.)

Cette dernière phrase a dû mal à sortir de ma bouche tellement elle me répugne. Jamais je ne ferais ça à qui que se soit. Enfin, maintenant.

Putain, j'ai vraiment été un connard.

— E' fantastico !(C'est top !) renchérit Ricardo d'une voix plus lointaine. Non devi perdere il ritmo, amico. Perché se torni e non c'è più niente nella macchina... Saremo bravissimi a rimetterti in piedi... (Il ne faut pas que tu perdes la cadence, mec. Parce que si tu reviens et qu'il n'y a plus rien dans l'engin... On va suer pour te remettre sur pied.)

Je serre mes dents les unes contre les autres pour éviter de l'envoyer chier, mais c'est plus dur que ce que je pensais. Et dire qu'avant j'étais comme eux ! J'ai dû mal à y croire. Mais est-ce que j'ai réellement changé, au fond ? Parce que ce que j'ai dit à Amélie l'autre jour était digne du grand connard d'italien que je suis. Ma remarque était à leur niveau, plus à la mienne. Après coup, je me suis rendu compte de la gravité de ce que j'ai insinué, mais surtout de la blessure que j'ai due lui causer. C'est à cause de mecs comme moi que Livia ne se nourrit presque pas et manque d'aller en hôpital psychiatrique. C'est à cause de ça qu'elle déteste le monde entier. C'est à cause de remarques comme ça qu'on peut se sentir mal dans sa peau.

Je passe ma main libre sur mon visage, culpabilisant un peu plus chaque jour de celui que j'ai été.

— Ragazzi, siete stati gentili a chiamare, ma devo lasciarvi soli. (Les gars, c'est sympa d'avoir appelé mais je vais devoir vous laisser), déclaré-je froidement.

— Una ragazza che ti aspetta a letto, giusto ? (Une meuf qui t'attend au pieux, c'est ça ?) ricane Paolo.

Putain mais on est dimanche ! On ne peut pas passer un dimanche penard en famille ?

— Sì, è così, (Ouais, c'est ça), répliqué-je pour qu'ils me lâchent la grappe.

— Ci vediamo, fratello ! (À plus, bro !)

— Sì, ciao (Ouais, au revoir.)

Je raccroche et le prénom de mon ami disparaît. Sa photo de profil aux allures de mafieux disparaît et je m'autorise enfin à souffler un bon coup. Je sais que je ne pourrais pas les fuir indéfiniment, mais ça me tue d'entendre leurs ébats si dégueulasses avec la plus grande normalité.

J'enfile rapidement un short pour ne pas sortir nu et tuer ma sœur d'un arrêt cardiaque, fonce dans le couloir et l'escalier pour rejoindre le salon où Ludo et papa se prélassent en amoureux. Ils ne m'accordent pas vraiment d'attention tant leur film à l'air prenant.

Je me dirige vers la cuisine, emporte le sac poubelle remplit à ras-bord et décide d'aller le jeter dans la poubelle dehors. L'air plus frais me fera du bien.

J'ouvre la porte et m'engouffre à l'extérieur, où une légère brise rafraîchit ma peau malgré la lourdeur de l'air ce weekend. Je regarde quelle poubelle je tiens et me dirige vers la benne à couvercle vert pour y jeter ce sac. Mais soudain, bruit de verre brisé me fait sursauter. Je regarde à gauche et à droite sans voir d'où provient le bruit, puis mon regard se porte un peu plus loin dans le quartier, où sont disposés de grands conteneurs à ordures pour le verre et les choses ménagères, de ce que j'ai compris. C'est un peu dur de s'y retrouver parfois.

Je cligne des yeux plusieurs fois pour être sûr de bien voir, mais je ne rêve pas. Jetant des dizaines de bouteilles d'alcool, elle sourit en écoutant chacune d'elle tomber pour se briser en mille morceaux dans le trou. Ses cheveux roses sont ramenés en arrières par de petites barrettes colorées, et elle porte une jolie robe à fleur qui met en valeur ses rondeurs. Je manque de rire en voyant ses petites baskets mauves remplies de cœurs rouges.

J'observe autour de nous, mais personne ne se balade dans la rue. Je me regarde, ou plutôt constate ma tenue inconvenante, et décide de ne pas aller la voir. Après tout, c'est dimanche, je ne veux pas qu'elle pense que je la harcèle. Déjà qu'elle refuse chacun de mes contacts... Je ne suis plus ce genre d'homme.

Amélie se retourne, et je ne sais pas pourquoi mon instinct me souffle de me planquer. Alors je me baisse, accroupi, pour être caché par la poubelle. Mon cœur se met à battre dans ma poitrine comme si je venais de voir mes parents en plein ébat.

J'entends ses pas s'éloigner, jusqu'à ce qu'elle émerge sur ma droite, vers la maison de mes voisins, celle en face de la chambre de Livia. Elle essuie doucement ses chaussures sur le paillasson, avant d'entrer et de refermer la porte derrière elle.

— Mais qu'est-ce que tu fous ! s'exclame une voix qui me fait trébucher et me retrouver les fesses au sol.

Je tourne vivement la tête vers notre porte d'entrée où Livia s'y trouve, un air à la fois dégouté et désespéré sur le visage. Je sens mes joues rougir, ce qui m'arrive très rarement, et cherche vite une excuse. Parce qu'être caché derrière une poubelle comme un gros voyeur, bof bof.

— Je... Je voulais fumer, déclaré-je sans être vraiment sûr de ma proposition.

Livia me regarde lentement de haut en bas, avant de pousser un long soupire et de ravaler la bile qui lui ait monté.

Parce qu'elle aussi, elle me déteste.

— T'es qu'un pauvre mec.

Elle ferme la porte d'entrée sur elle, me laissant seul avec les poubelles.

Je suis si con que ça ?

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