Chapitre 95

 PDV Cyrus

Mes yeux ne savent pas où se poser. Sur la tombe de ma louve, un édifice qui me troue le cœur chaque fois que je le vois. Sur le loup de Ramin, dormant sur la terre encore fraîche. Ou sur la femme que j'aime, endormie contre le loup.

La seule chose que je sens, à cet instant-ci, c'est que l'ensemble de ces éléments me brise le cœur. Ils ont mal. Elle n'est plus là.

Et elle ne sera plus jamais là.

Je crois que je n'oublierais jamais la première fois que j'ai croisé la route de cette petite louve. Elle était déjà timide, mais incroyablement intelligente. Son regard brillait de mille feux. Elle était belle. C'était ma louve. Je l'ai su avant même de croiser son regard. J'ai passé des dizaines et des dizaines d'années à la protéger de tout. Comme un grand frère. Comme un père. Comme un Alpha.

Une partie de moi. C'est ce qu'elle était. Et c'est ce qu'il me manque.

Tala était douce. Chétive, mais incroyablement forte, au fond d'elle. Elle était perspicace, attention, rusée. On ne pouvait que l'aimer.

Et je n'arrive pas à croire qu'elle soit partie. Je n'arrive pas à parcourir cet endroit sans croiser à nouveau son regard, sentir son odeur, entendre son rire. Je n'arrive pas à supporter cette toile à laquelle il manque l'un des piliers.

Est-ce seulement possible, d'endurer une telle douleur ?

Elle était jeune. La plus jeune d'entre-nous. Elle avait encore tant de choses à vivre. Elle devait encore découvrir l'amour. L'amitié. Le monde. J'aurai voulu lui offrir plus de temps.

J'aurai pu. J'aurai pu courir vers l'intérieur de cet entrepôt à l'instant même où j'ai vu Arman arriver. J'aurai du comprendre qu'elle allait se mettre en danger. J'aurai du mieux la protéger.

Être un Alpha, c'est protéger ses loups. J'ai échoué. Ai-je vraiment essayer ?

Mon poing se serre, alors que j'observe Ramin et Yuki endormis là. Je ressens leur douleur. J'aimerais être assez fort pour la contenir. Mais j'en suis incapable. Je peux seulement les empêcher de se répercuter un peu trop sur les autres. Comme si cela allait changer quelque chose. Y a-t-il l'un de nous qui ne crève pas de douleur en cet instant ?

Mon père se glisse à mes côtés, et observe la scène pendant un moment, en silence. Que pense-t-il de tout cela ? Se dit-il lui aussi que nous aurions pu éviter d'arriver à une telle extrémité ?

Je n'ai pas envie de lui demander. Ma réponse me suffit. J'ai perdu ma louve. Rien ne pourra le changer.

Mes regrets ne sont là que pour me torturer, parce que je l'ai bien mérité.

- Est-ce que cela passe ?

Je voudrais qu'il me dise que oui. Qu'un jour, on se remet de la perte de l'un des siens. Que comme les humains, la douleur peut se tarir, et laisser place aux bons souvenirs. Mais son souffle me répond à sa place. Et je n'ai même pas besoin d'écouter ses paroles.

- Non. Jamais. C'est un trou béant dans la poitrine que l'on ne peut reboucher. On peut seulement apprendre à vivre avec cette douleur. Et ce sera encore plus difficile pour lui.

Je ferme les yeux un moment, ne supportant plus de voir Ramin couché sur la tombe de celle à qui il était lié.

- Il n'y a rien à faire ?

- Continuer de vivre.

- Facile à dire.

Ses conseils ne sont pas vains. Mon père est suffisamment vieux pour avoir eu affaire à la perte de certains de ces loups. Mais pour l'instant, ils me paraissent utopiques et inaccessible. Comment continuer à faire comme si de rien n'était quand cela fait si mal ? Si moi j'ai du mal à l'envisager, qu'en est-il de Ramin ?

- Je n'ai pas dis que ce serait une étape simple, ou bien même rapide. Vous aller souffrir. Et tu souffriras à nouveau, dans l'avenir. Mais tu te dois de rester debout, pour les autres de tes loups. Tu te dois de rester debout pour les relever quand cette perte les met à genou. C'est le rôle d'un alpha. Endurer sa douleur pour calmer celle de sa meute.

Je n'ose pas imaginer toute la douleur qu'il a du accumuler, au fil des siècles. Les pertes de ses loups. Mais aussi de tous les loups. Alpha suprême. L'alpha de tous les loups. Je suppose qu'il ressent avec un moindre effet la perte d'un loup extérieur à sa meute directe, mais elle le touche tout de même. Quand je vois comme j'ai mal, c'est un rôle que je n'ai plus envie de reprendre. Mais c'est mon destin. Et j'ai presque envie de rire en le pensant.

- Vous y survivrez. Ensemble. Vous apprendrez à faire passer la douleur après les autres émotions. Vous apprendrez à vivre pour honorer vos proches qui ont donné leurs vies. Honore ta louve, fils. Elle a donné sa vie pour vous. Vous devez vivre pour elle, afin qu'elle ne soit pas morte en vain.

Il se retourne, et pose une main sur mon épaule.

- Tu es l'Alpha. Protège ta meute. Protège tes loups.

Un dernier regard, et il s'éloigne me laissant là. Protéger. N'ai-je pas déjà échoué ? Et si au final, ce terme était bien plus vaste que ce que je n'imaginais ? Protéger non pas seulement de la mort, mais aussi, de la douleur, de la peine, de la colère, des regrets.

Voilà comment je dois protéger ma famille.

Yuki remue un peu et se relève, encore à moitié endormie. Elle pose un regard sur Ramin, le couve un instant des yeux, avant de le détourner vers moi. Quand elle s'approche, je ne peux m'empêcher de sourire. Malgré ma douleur, il y a aussi cette joie presque irréelle qu'elle soit encore là.

- Le lit n'était pas assez confortable pour toi ?

- Tu ronflais.

Je laisse un rire couler en moi, tandis qu'elle me rejoint. Quand elle est suffisamment près, je ne peux que tendre la main et remettre une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, avant de caresser sa peau.

- Tu as mauvaise mine, vampire.

- N'es-tu pas cessé me trouver belle en toute circonstance, loup ?

- Je ne suis pas aveugle.

Elle me met un coup dans l'épaule, avant de se placer à mes côtés et de regarder Ramin, encore endormi.

- Il va avoir mal.

- Il a déjà mal. Comme nous tous.

Je hoche la tête, mais je n'ai pas besoin de lui préciser que ce n'est que le début d'une longue souffrance. A quoi bon tenter de le cacher ?

- Amour m'a parlé.

Je hausse un sourcil, peu ravi de l'information. Quand bien même il est celui nous ayant réincarné des centaines de fois, je suis légèrement frileux quand il s'agit de ces espèces de dieux. On en a trop bavé pour que je ne sois confiant à leur sujet.

- Il a dit que la seule façon de sauver Ramin de lui-même, c'était en l'aimant.

- Ce n'est pas vraiment étonnant comme conseil venant de celui qui représente le sentiment.

- En effet. Mais je sens qu'il n'avait pas tort. Il a perdu celle qu'il aimait. Avant même d'avoir pu se lier avec elle. Il se détruira, si rien ne compte suffisamment à ses yeux pour le maintenir sur le bon chemin.

- Il tiendra pour toi. Votre lien n'est pas rien.

- Il ne sera pas suffisant, pas plus que le temps. Il n'a pas besoin de temps. Il a besoin de nous.

Je glisse une main dans la sienne, et lui fais une promesse autant qu'à moi-même.

- On sera là. Toujours.

Sa tête se pose sur mon épaule, et pendant un moment, nous savourons ce moment de douceur. Je commence à y prendre goût. A ces instants hors du temps, avec elle. A cette personnalité que nous ne développons qu'entre nous.

- Dis moi loup, qu'as-tu vu, pendant ton sommeil ?

Je n'ignore rien que ce qu'elle a pu voir, elle. Ni de la raison pour laquelle Destin a choisi de la laisser revenir. Mais moi, qu'ai-je vu ? Rien. Rien d'autre que le néant.

- La dernière chose dont je me souviens, c'est ton regard, dans cet entrepôt. Quant ma conscience est revenue, j'étais à l'infirmerie.

- Pourquoi est-ce moi, qu'Amour a voulu voir ?

Je ne lui réponds pas, n'ayant rien à lui offrir. C'est une question que je n'ai pas envie de me poser. Plus maintenant. Je veux arrêter de penser à ces entités qui ont rendues nos vies si compliquées. Je veux seulement penser à elle, pour un instant.

Alors je lui demande de fermer les yeux, et je passe un bras autour de sa taille.

Elle me laisse la guider, même si au fond, elle a très bien compris où je l'emmenais.

Avant de lui laisser retrouver la vue, je l'observe un moment. Je n'arriverais jamais à oublier le souvenir de son visage mourant. Je n'arriverais jamais à oublier la peur et la douleur que j'ai ressenti sur le moment. J'ai besoin d'être certain qu'elle est là, en permanence. Qu'elle va bien.

L'un de mes doigts glisse sur la peau de son visage. Ses joues, son front, ses yeux, ses lèvres. Et ma main vient recouvrir sa nuque, pour l'attirer un peu plus contre moi, contre mes lèvres.

Je respire de son baiser, comme si j'avais été en apnée chaque minute séparées d'elle.

Et puis mon front vient se poser sur le sien, nos regards s'accrochent, brillant d'un amour que nous ne saurions contrôler.

- Nous revoilà enfin à cette cascade.

Elle s'écarte un peu et regarde autour d'elle.

- C'est ici que tu m'as dit que tu m'aimais.

Elle se retourne vivement vers moi, avant d'afficher un sourire joueur.

- Je ne l'ai pas dit.

- Tu l'as pensé. C'est un peu pareil. Mais peut-être te jouais-tu de moi ?

J'avance, en douceur, comme une chasseur devant sa proie. Mais elle n'est pas ma proie. Elle est mon tout, peu importe combien cette formulation est un cliché sur patte.

- Qui sait ?

- Je dirais que je le sais. Alors dis-moi vampire, m'aimes-tu ?

- Veux-tu l'entendre, loup ?

Ses doigts se glissent entre les miens, et s'accrochent autant que nos regards. Comme j'aime cette nuance de rouge, qui brillent pour moi.

- Je crois que tes yeux me le crient.

- Sûrement moins que les tiens.

Ne jamais laisser l'autre gagner, mais jouer ensemble, toujours.

- Je ne t'aime pas, Alpha.

Elle laisse tomber son front contre le mien, avec une touche de brutalité qui me fait grincer les dents. Un humain s'en sortirait avec une belle bosse.

- C'est bien plus que cela. Je te vis, mon loup.

Oui, c'est exactement ça.

Une vampire. Un loup. Un jeu opposant l'Amour et le Destin pendant des siècles. Notre vie n'a rien de simple et mon instinct me souffle qu'elle ne va pas le devenir de si tôt.

Mais je m'en fous. Parce qu'elle. Parce que nous.

Nous avons été contre le Destin. Pour elle, j'irai contre tout.

- Je te vis, moi aussi.

Et je te vivrais, quoi qu'il en coûte, jusqu'à la fin de mes jours.

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Retrouvez tout de suite (ou dans quelques minutes, si vous êtes super rapide), l'épilogue de cette histoire. Et il annonce la suite... 

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