Chapitre 91

 PDV Yuki

Je tourne le dos à Cyrus et nous nous concentrons chacun sur l'un des hommes qui se sont avancés.

Celui en face de moi se tient droit, toujours ce rictus sur les lèvres. Je voudrais voir son visage en entier, avoir accès à chacun des traits de ce monstre, pour les intégrer dans ma mémoire, et ne jamais oublier.

Ne jamais oublier cette fierté qu'il affiche de se trouver là. D'avoir pris tant de vie. De n'en regretter aucune. Je veux voir la laideur de son cœur s'afficher sur son visage.

Mais a-t-il un cœur ? Tuer ne procure pas de plaisir. Sauf celui que je ressens lorsque j'enlève la vie d'un des siens. Parce qu'ils sont des abominations, qui prennent la vie d'innocents. Mais lui, comment peut-il prendre du plaisir à massacrer des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards, sans aucun regard pour leur innocence ?

Définitivement, je ne comprendrai jamais l'esprit des psychopathes. Je ne veux pas les comprendre, en réalité. Seulement les éliminer. Comme je vais l'éliminer, lui.

L'image de Tala dans un coin de ma tête, c'est bientôt le corps sans vie de cet homme là, que j'imagine. Baignant dans son propre sang. Dans mon esprit, j'entends sa voix me supplier de l'épargner. Ou de l'achever. Et je fais durer le plaisir, encore et encore, déchirant sa chair, augmentant sa douleur, me délectant de sa peur.

Mon rêve, son cauchemar, et bientôt, notre réalité.

C'est une promesse silencieuse que je me suis faite sur le corps de ma louve. Je peux bien mourir, aujourd'hui, si le Destin le veut. Tant que j'ai le temps auparavant de faire s'éteindre tous ces connards là.

Il sort une lame, dans chacune de ses mains. Moi, rien. Je veux lui montrer la différence entre son espèce et la mienne. Lui faire comprendre combien il est insignifiant.

Je ne doute pas de ses capacités. Mais je connais les miennes.

Sa lame frôle ma joue une première fois. Une deuxième, et une troisième. Mais jamais elle ne m'atteint. Mes pieds ne bougent pourtant pas, fermement ancrés dans le sol. Et je souris, devant la rage qui brûle en mon ennemi.

Il lâche ses armes, de colère, et serre les poings. Il veut frapper. Qu'il fasse.

Je laisse le premier coup m'atteindre. Un uppercut en pleine face, qui me fait détourner le visage une seconde. Mais je ne ressens aucune douleur. Je relève la tête, vers lui, j'attends le prochain. Il vient, comme le premier, puis un autre et un suivant. Ils sont forts, maîtrisés, contrôlés. L'homme en face de moi n'a rien des rejetons qu'ils ont envoyés sur le premier front. Pourtant quand bien même, ce n'est pas suffisant. J'encaisse, sans le moindre mal. Et chaque fois, je souris un peu plus. Chaque fois, je le défis du regard de faire mieux. De frapper plus fort. Il s'en brisera les os si il le faut. La différence, c'est que les miens guériront aussi vite. Pas les siens.

Je sens Cyrus dans mon dos qui rend les coups, lui. Il se bat avec cet homme, alors que moi, je le laisse se rendre compte de son insignifiance. Je le laisse comprendre qu'il n'est pas suffisamment important pour que j'y mette toute ma force dès les premières secondes. Oh, je me battrai. Mais avant, je joue.

Après tout, n'est-ce pas que le Destin veut ?

Je rentre dans la partie. Cette manche-ci, contre cette raclure, je la fais durer. Pour mon bon plaisir.

Le dos de mon loup revient contre le mien, juste un instant.

- Tu as prévu de rester plantée là, Shadow ?

Dans ce moment, encore et toujours ces piques. Celles qui nous définissent, depuis le tout début. Ce ton rieur dans la voix, même quand la fatalité est là. Le lien qui nous unit transparaît dans nos mots, dans la tension de nos corps qui se touchent et voudraient ne pas se quitter.

La colère sourde est toujours là. La douleur aussi. Mais ce besoin d'être nous également. Pour ne pas sombrer avant de les avoir achevés.

- Je te laisse prendre un peu d'avance, pour que tu te penses aussi fort que moi, Alpha.

- Cesses donc de jouer.

- Et si tu jouais avec moi, plutôt ?

J'entends son sourire comme si il émettait le moindre son. Il envoie un coup de pied à son adversaire et se retourne vers moi. Ses mains se saisissent de mes bras et me font tourner avec lui. Je me retrouve face à son ennemi, et lui au mien.

- Une petite danse ?

Un sourire mauvais monte sur mes lèvres. Oui, dansons. Une danse pour appeler la mort, que nous maîtrisons parfaitement.

Un pas, un coup. Un pas, une esquive. Une valse dangereuse, une valse mortelle, 1, 2, 3 temps.

Je tourne sur moi-même, en parfaite symétrie avec mon loup, et nos pieds viennent s'imprimer dans la cage thoracique de nos assaillants. Parfaitement synchronisés. Un sourire, sur nos visages, une pointe d'amusement, dans nos iris.

Rien qui ne traduit parfaitement l'état de tristesse dans lequel nous sommes. Mais avant de sombrer, enterrons-les. Avec un sourire, pour leurs montrer qu'ils n'ont pas gagné.

Le bras de Cyrus passe dans mon dos, me retenant alors que je me penche en arrière pour éviter un coup. Quand il me relève, il laisse sa force m'accompagner, me permettant de décoller du sol, pour venir coller mon genou dans le nez d'une des deux ordures.

Je me lèche les babines exagérément devant le sang qui en coule. Juste pour voir son regard se voiler de cette peur qu'il parvient si bien à camoufler. Il va avoir peur. Peur et mal.

J'en viens à penser que je devrais tuer cet homme avec mes crocs, le vider de son sang si pourri jusqu'à la dernière goutte.

Un genou à terre, celui en face de moi récupère les armes précédemment abandonné, signe de cette urgence qu'il semble enfin saisir. Cette différence, entre lui et moi. Moi le prédateur et lui la proie.

- Tu ressembles à un chat qui joue avec une souris.

- J'aurai préféré lionne, mais j'aime le principe.

- N'abîme pas trop ton déjeuner, tout de même.

L'humain n'a jamais fait parti de mon régime alimentaire, et il le sait, mais pas nos assaillants. Et l'expression de terreur qu'ils affichent est un véritable délice.

- La peur rend leur sang meilleur.

Comme si quoi que ce soit pouvait rattraper la gangrène qui s'étend dans leur âme. Ils seront toujours infecte, reflet de ce qu'ils ont été toute leur vie. Pour le jeu, je laisse mes canines débordées sur mes lèvres, et si Cyrus ne le voit pas, il semble le comprendre et s'en amuser.

Un geste, rapide, et je me retrouve devant le Sancœur qui me fait face. D'un bras, je retiens son corps contre le mien, le laissant se débattre comme un petit rongeur entre mes pattes. Je savoure son rythme cardiaque qui s'affole, ses yeux qui cherchent autour de lui une solution pour m'échapper. Il n'y en a pas.

Et je cesse le jeu, car d'autres manches m'attendent.

Ma main traverse sa cage thoracique, trouvant son cœur, et le broie entre mes doigts. Je prends plaisir à observer sa douleur si forte, sa désillusion, et ce moment précis, où il comprend qu'il a perdu. Que c'est fini. Je serre, jusqu'à ce qu'en lui ne reste plus aucun signe de vie.

En souriant, je me tourne vers Cyrus, qui laisse tomber le corps de son propre ennemi. Nos regards s'accrochent, juste un instant.

Et le mien dévie dans son dos. Je ne vois pas le sien faire de même. Je ne vois pas son expression changer, prendre cette teinte d'anxiété que j'aborde à présent.

Je ne l'entends pas crier mon prénom. Je m'entends seulement crier le sien.

Je m'avance, lui aussi. Je me saisis de ses bras, le fait pivoter pour qu'il se retrouve à ma place. Comme lui.

Et puis je le vois. Cet assaillant, derrière lui. Qui était auparavant derrière moi. Alors je sais qu'on a perdu. Je sais qu'il a voulu m'éviter ce que voulais éviter pour lui.

Un ennemi derrière chacun d'entre nous. La même volonté de sauver l'autre.

Je sens la lame de la lance me transpercer le dos. La douleur fuse. Je la vois sortir à l'avant de mon corps, et foncer dans celui de mon loup. Comme j'en vois une autre ressortir du sien et se loger dans ma poitrine.

Mon souffle se coupe. Ma douleur, la sienne, tout se mélange.

Je crois que mes loups hurlent. Je crois qu'ils ont mal, eux aussi. Je ne parviens pas à rester claire, sur ce qu'il se passe autour de nous.

Je quitte des yeux les deux lames qui nous transpercent et nous relient. Je les plonge dans les siens, et je sais ce que j'y trouve.

De la tristesse, de la douleur, de l'incompréhension. Et une sombre désillusion. Nous aussi, nous avons perdu.

Un jour, j'ai pensé que l'inquiétude que se portaient Emna et Jeiran se retournerait contre eux, lors d'un combat. Je n'aurai pas imaginé un instant me retrouver dans ce cas. Et pourtant. J'ai voulu lui éviter la mort, il a voulu empêcher la mienne. Et nous voilà liés dans celle-ci.

- Tu n'avais pas tort. On aurait dû retourner à cette cascade.

Il sourit, et un filet de sang s'échappe d'entre ses lèvres. Cette vision me tord le cœur.

Il a autant de mal à parler que moi, mais il me répond. Parce que ça ne peut pas se finir en silence.

- Je t'avais dit de ne pas me dire cette phrase, mourante entre mes bras.

- Je ne suis pas entre tes bras.

Et pourtant, je le voudrais. Quitte à crever, je voudrais sentir la chaleur de son corps une dernière fois. Celle de ses lèvres sur les miennes. Mais tout ce que je peux faire, c'est rester là. A la fois si proche et si loin de lui. Même dans la mort, le Destin nous sépare.

Nos forces cèdent en même temps et nous tombons à genoux.

J'essaie de déglutir, mais je n'ai que le goût du sang qui me monte à la gorge. Je sens l'acier d'une des lames me torturer de l'intérieur, quand la seconde en argent a le même effet sur lui.

- On aurait dû gagner, loup.

Je ne peux retenir une larme sur ma joue. De douleur ? Non. Si, peut-être. J'ai mal de me dire que plus jamais je n'ouvrirais les yeux pour les plonger dans les siens.

- On gagnera la prochaine fois, vampire.

Dans une autre vie. Une autre réincarnation. Mais pas nous. Il le sait tout autant que moi. Il en souffre tout autant que moi.

Je veux hurler, mais je n'en ai pas la force. Je n'ai même pas la force de pleurer quand ses yeux se ferment. Ni de l'appeler. Je reste seulement silencieuse, ma propre vue se troublant de plus en plus.

J'ai perdu. On a perdu.

Je n'ai pas tenue ma promesse. Je n'ai pas vengé ma louve. Et je perds aussi mon loup.

Une dernière image s'imprime dans mon esprit.

Celle d'Emna qui se jette sur le chef du groupe. Derrière elle, l'entrepôt explose. Je ne sens ni la chaleur ni le tremblement qu'il provoque. Je ne vois que ma louve. Que ses doigts qui glissent sur le visage de cet homme. Elle est renvoyée en arrière avant de pouvoir l'atteindre. Mais ses griffes à moitié transformées parviennent à déchirer l'un des côtés de son masque. Suffisamment pour que je comprenne.

Suffisamment pour que je le reconnaisse.

Et que le dernier sentiment que je ne ressente, avant de fermer les yeux, ce soit une colère sourde.  

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Aïe, chapitre qui finit mal... vont-ils s'en sortir ? Qui est le chef ? Yuki le connait, en tout cas. 

Le prochain chapitre arrivera dès que j'aurai un peu de temps au milieu de mes examens, je pense d'ici 10 à 15 jours (je sais, c'est sadique de vous laisser là-dessus, mais je suis sadique x))

A bientôt, 

Kiss :*

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