Chapitre 89
PDV Cyrus
J'attrape par le col un type sur le dos d'Emna et l'envoie plusieurs mètres plus loin. Mon âme de loup prend le dessus, et mes quatre pattes viennent fouler la terre, tandis que mes crocs se logent dans quelques peaux que je rencontre.
Leur sang vient salir mon pelage, âcre sous ma langue. J'arrache, je déchire, je réduis en morceau leurs corps, mes yeux perçants se plantant dans les leurs pour apprécier de voir s'y éteindre leur étincelle de vie.
Je deviens le prédateur, le monstre des cauchemars qu'ils faisaient enfants. Qu'ils me haïssent pour quelque chose, enfin. Pas de pitié, de compassion.
Je me fous de participer à ce carnage, de prendre tant de vie. Ils sont plus insignifiants que des insectes, à mes yeux. La nature doit être respectée. Ils sont des colonisateurs qui détruisent son bon fonctionnement. Alors ils doivent disparaître. Tous.
Et sous mes griffes, je m'assure que ce soit le cas.
Emna me rejoint sous sa forme animale, lacérant tous ceux qui s'approchent de trop près de son homme. Si la situation le permettait, je serai fier de voir Jeiran se battre avec tant d'aplomb. Là, alors qu'il enchaîne les coups mortels, c'est comme si il oubliait ses angoisses, et la perte de son œil. Il est tout aussi fort qu'auparavant. Peut-être plus impressionnant, encore.
Je déplace mon regard un instant sur Ramin. Si il se bat, il tourne en rond. Il fait tomber nombre d'ennemis, mais son esprit est ailleurs. Près de Yuki. Son lien de protecteur le tiraille, et si son frère n'était pas déjà là-bas, il aurait tout abandonné pour la rejoindre. C'est ce genre de lien. Indéfectible. Il nous condamnerait, pour elle. Parce qu'il n'y a plus de raison, quand il s'agit de sa protégée.
Nader aussi bien que lui seraient capable de donner la mort à n'importe qui pour la vampire. A eux-mêmes également.
Mes ordres sont caducs, les sentiments qu'ils peuvent ressentir pour les autres également. C'est plus fort qu'eux. J'en viens à me demander ce qu'ils feraient, si un jour ils devaient choisir entre la protection de Yuki et celle de leur compagne. Deux liens forts. Mais lequel prédominerait ? Au fond, je le sais. Elle passerait avant tout. Avant moi, leur alpha. Avant les membres de leur meute. Avant la personne à laquelle ils seront liés.
C'est dans leur nature. Plus fort que toute raison.
Alors je regarde mon loup se battre en me demandant à quel instant il abandonnera tout pour courir la rejoindre. Il suffirait qu'il ressente la moindre douleur percer à travers elle. Je sais qu'elle fera tout pour la retenir, afin qu'il ne franchisse pas cette limite où l'existence des autres sera totalement annihilée de ses pensées. Mais le pourra-t-elle seulement ? J'ai peur de la réponse.
Comme j'ai peur de ce qu'il va se produire, chaque instant à venir.
J'ai cette boule au creux du ventre, qui me tiraille de l'intérieur. Chaque ennemi que je tue ne parvient pas à apaiser cette sensation néfaste qui naît en moi. Je devrais me réjouir de voir leurs corps s'entasser à mes pieds, leur nombre diminuer. J'en suis pourtant incapable. La partie est loin d'être finie. Et j'ai comme l'impression qu'elle est déjà jouée d'avance.
Est-ce vraiment moi, qui plante mes crocs dans la gorge de cet homme ? Ou bien est-ce le Destin, qui me manipule, comme il le fait depuis des millénaires ? Peut-il aussi contrôler mes loups ?
Quand Emna saute sur un Sancœur, je me le demande. Quand Jeiran tranche la gorge de l'un d'eux, je me le demande. Quand Ramin décime un bataillon qui s'approche de nous, la question reste la même. Que contrôle-t-il, exactement ? Où sont ses limites ? Quelle est notre part de libre arbitre ?
Des réponses auxquelles je ne trouverai jamais de réponse, si tant et que j'ai ne serait-ce que le temps d'y penser dans l'avenir. Que j'ai un avenir.
Alors qu'il se tient à genou sur un homme, l'étranglant, je vois le jumeau relever la tête vers l'entrepôt, et je sais avant qu'il n'ait bougé qu'il va y aller. Qu'a-t-il ressenti ? Je ne saurais le dire. Et si j'avais le temps d'y songer, peut-être détesterais-je l'idée qu'il puisse comprendre ce qu'il se passe pour elle avant moi. Nos âmes ne sont-elles pas liées ? Pourtant, celle de Ramin semble vibrer bien plus vite et plus sensiblement que la mienne, quand il s'agit d'elle.
Il se relève à une vitesse folle et fonce vers la bâtisse. Jeiran grogne, quand l'homme que tenait précédemment le loup se relève et lui saute dessus. Un temps de récupération incroyablement court pour un simple humain, mais dont je n'ai guère à faire.
Je m'apprête à avancer vers mon loup quand un corps passe devant moi et liquide l'assaillant. Je fronce les sourcils, reconnaissant sans trop de mal la silhouette plantée là. Qui ne devrait pas être là.
Je redeviens humain, parce que j'ai besoin de réponse, j'ai besoin d'éteindre cette inquiétude qui couve en moi, et ne semble pas prête à disparaître.
- Arman !
Il se retourne vers moi et m'interroge en haussant un sourcil, tandis que j'élimine deux hommes avant d'avancer vers lui.
- Qu'est-ce que tu fous là putain ?
- Tu pensais que je pouvais me cantonner à rester en arrière vu la vague d'ennemi que vous vous êtes pris dans la gueule ?
Je grogne, plus à cause de sa réplique qu'à cause du couteau qu'il lance, coupant ma joue avant de plonger dans la poitrine d'un Sancœur derrière moi.
- Tu devais protéger Tala !
- Elle a foncé dans la foule avant moi. J'ai tenté de la retrouver mais impossible. Alors quitte à être là, autant m'assurer que personne ne se fait descendre.
- Elle est celle qui a le plus de risque de se faire descendre !
- Tu crois que je ne le sais pas ? Mais explique moi un peu comment faire, dans cette situation ? Elle est introuvable, elle a bridé son lien, et au milieu de ces hommes, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Vaut-il mieux que je ratisse toute la zone en vous laissant vous faire démonter, ou que je vous aide en espérant qu'elle parviendra à s'en sortir ? C'est une louve, pas un chien auquel j'aurais pu mettre une laisse. Elle a décidé de foncer ici, je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher. Et puis merde, on a le temps de se disputer ?
Non, on n'a pas le temps, c'est ce que me hurle ma conscience quand un homme se dresse derrière lui et que je tends le bras pour lui arracher le cœur. Si tant et qu'on puisse appeler cela comme ça, quand il s'agit de ces monstres.
Il a raison. Tala est tout à fait capable de semer n'importe lequel d'entre nous si elle en a envie. Elle l'a voulu, elle l'a fait. Mais la savoir au milieu de ces hommes me donne la chair de poule, et renforce la boule au creux de mon ventre.
Je crois que maintenant, je sais. A quel point le Destin nous contrôle. A quel point il tire les ficelles de ce jeu.
Parce que le jeu commence vraiment.
Et quand une douleur sourde perce dans mon cœur, je sais qu'il a gagné la première manche.
PDV Yuki
D'abord, c'est l'odeur du sang. Puis, le souffle erratique de la victime. Les sentiments qui explosent en Nader. En moi. En l'ensemble des loups. Et puis la douleur. Sourde, dévastatrice.
Presque au ralenti, le loup se tourne dans mon dos. Il reste figé, et il me faut un instant de plus, pour suivre le même mouvement. Je ne vois rien d'autre que la largueur de son dos, ses muscles tirés qui trahissent autant que son esprit ce qu'il peut ressentir.
Il a mal. Autant psychologiquement que physiquement.
Mais pas parce qu'il est blessé.
Parce qu'elle l'est.
Je me décale d'un pas, juste un. Et je la vois. Je vois son sourire, les larmes au coin de ses yeux. J'y lis sa douleur. Et un certain... apaisement.
Et puis la tâche rouge au creux de sa poitrine m'apparaît. La lame qui traverse son corps aussi.
Le temps paraît suspendu. Pourtant, le liquide rougeâtre qui s'étend sur son corps me prouve le contraire.
Alors si la bombe ne le fait pas, j'explose. De douleur et de colère.
Je laisse mon pouvoir se dégager de moi sans contrôle. Geler les hommes autour de nous. Les faire exploser.
Je veux hurler.
Je veux pleurer.
Je n'y arrive pas.
Elle s'effondre en avant et Nader rattrape son corps avant qu'il ne s'écrase au sol. C'est comme si je me réveillais. Je bouge, enfin. Je tombe à genou devant elle, je le prends entre mes bras. Je passe une main sur sa joue, essuie une larme qu'elle ne peut retenir.
- Tala...
Elle va pour lever le bras, toucher ma main, mais Nader l'en empêche. Il lui souffle de garder ses forces. Elle se contente de sourire. Parce qu'elle sait. Elle sait autant que nous que c'est fini.
Que nous ne pourrons pas la sortir de cet endroit assez vite. Que la lame en argent est déjà en train de lui prendre son dernier souffle de vie. Que nous sommes impuissants face à sa douleur.
Je déteste cette sensation. Je déteste ressentir toute cette peine, ce mal-être, cette blessure profonde qui se créée en moi alors que je sens son corps peser de plus en plus dans mes bras.
Je voudrais lui hurler de se battre. Mais je suis un soldat. Et je sais quand le combat est terminé.
- Qu'est-ce que tu foutais là, putain !
Je ne veux pas lui crier dessus. Je retiens mes larmes au milieu de mes mots. Elle me sourit encore. Comme si elle en avait vraiment la force.
- J'ai fait ce que je devais faire.
Mais non. Elle ne devait pas être ici. Elle devait être en sécurité. Elle ne devait pas mourir. Son regard penche vers Nader et dans une douceur qui lui est d'habitude étrangère, il se saisit de sa main.
- Tu dois vivre, Nader. Tu dois protéger notre dominante.
Il hoche la tête, retenant des larmes que moi je lâche enfin. Il veut lui crier qu'elle doit vivre aussi. Mais à quoi bon ?
Les battements de son cœur ralentissent déjà. Ses paroles deviennent moins intelligibles. Son souffle se saccade de plus en plus.
- Yuki... Toi et Cyrus... vous devez gagner. Promets-moi que vous allez gagner.
- Reste pour le voir.
Mais elle me lance un autre sourire. Comme un au revoir. Je ne veux pas l'accepter, alors que je sais la réalité. Une vérité que je connais sans vouloir la laisser se dérouler.
- Dîtes... dîtes à Ramin que cet idiot... ne doit pas faire de bêtises... on se retrouvera, mais pas trop tôt.
- Tala...
Mais ses yeux se ferment. Je répète son nom, doucement. Elle ne répond plus. Je cherche les battements de son cœur. Ils ne sont plus là.
Alors je laisse mon front tomber contre le sien. Je laisse la douleur m'envahir, tandis que je berce le corps sans vie de ma louve.
C'est une douleur que je n'ai connu qu'une seule fois, en perdant Mayu. Que je ne veux plus jamais ressentir.
- Nous aussi, on se retrouvera, Tala.
Peut-être plus tôt qu'elle ne le croit.
----------------------------------------------------------
Ce n'était pas Nader... Votre petit cœur est brisé ? Le mien oui.
On se retrouve dimanche prochain,
Kiss :*
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top