Chapitre 87

 PDV Cyrus

C'est comme un mauvais rêve. D'abord, il y a notre cœur qui bat à vive allure. Témoin d'une situation qui va nous échapper d'un moment à un autre. Ensuite, tout s'enchaîne, bien trop vite, mais suffisamment lentement pour que l'on puisse décrire chacun des sons qui nous parvient. Des bruits de pas, nombreux, trop nombreux. Des respirations, des armes qui sont chargées. Le juron de ma louve, au creux de mes oreilles, les sentiments contradictoires de mon loup et de ma compagne, sur la toile. La grande porte en taule qui grince en s'ouvrant, l'alarme qui résonne sur des mètres autour de nous.

Et puis il y a une vague humaine qui s'abat sur nous.

Pas le temps de réfléchir. Pas de plan pour nous secourir. Ils sont bien trop nombreux, bien plus que prévu. Ils sont prêts, surtout.

Un autre piège. Un pressentiment qui se réalise. Et la sensation que tout est joué d'avance. Le Destin a lancé son offensive.

J'évite une balle, attrape un canon que l'on pointe sur moi, et le dirige vers l'un de ces hommes quand son propriétaire tire. Ma tête vient cogner contre la sienne, l'assommant sur le coup, sans que la douleur ne me déstabilise.

Nous sommes plus rapides. Plus forts. Mais en nombre si peu important.

Ma main à moitié transformée arrache la gorge d'un de ces hommes, un autre et encore un.

Ils tombent, mais semblent toujours plus nombreux. C'est sans fin.

La poussière dégagée par le sable sous nos pieds rend les choses plus difficiles. La marrée de Sancœurs qui s'abat sur nous est compacte, bien équipée. Leurs yeux protégés par des lunettes leurs donnent un avantage certain sur ce point.

Ils parviennent à nous faire reculer, suffisamment pour que l'on ne puisse espérer entrer avant de les avoir éliminés.

Les balles fusent, le sang vient recouvrir le sol. Pas le notre, pour l'instant. Mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas prochainement. Jamais je n'ai tant redouté l'issue d'une bataille. Jamais mon esprit n'a à ce point imaginé le pire. Nous sommes forts, puissants. Une équipe de guerriers parmi les meilleures. Je n'ai jamais eu peur pour mes loups. Mais aujourd'hui est différent, je le sens. Mon cœur ne parvient pas à se calmer quand mon esprit l'oblige à se concentrer sur mes mouvements.

Là, mon poing s'abat, ici, je brise une nuque, et de ce côté, mon pied s'encastre dans un abdomen. Pas le temps de respirer, pas le temps de regarder autour de moi. Je voudrais pouvoir trouver des yeux mes loups, seulement ce sont les corps mouvant de ces ordures que je découvre à perte de vue. Combien sont-ils, exactement ? Jamais nous n'avons soupçonnés un si grand nombre d'ennemis. Depuis des mois, comment ont-ils pu se cacher de façon si efficace ?

Ils ne sont pas faibles, physiquement parlant. Je suppose que la dernière base, celle des hauts gradés, regroupait le fleuron de leurs troupes. C'est ce qui est problématique. Nos capacités surhumaines ne font pas tout. Pas face à de l'argent ou du fer. Pas face à une foule si dense.

En réalité, nous ne nous battons pas contre eux. Mais contre une entité qui a décidé de nous faire tomber. Peu importe le sort que réserveront à nos espèces ensuite ces hommes que le Destin a crée pour nous éliminer. Où est la justice, dans tout ça ? Des milliers de victimes pour un jeu qu'il ne souhaite pas perdre ? Est-ce vraiment cela, qui dirige le monde ?

Je projette un corps contre un arbre et j'entends distinctement la colonne vertébrale de ce type se briser. Pas de pitié pour eux. Aucune compassion. Leur mort est un soulagement pour des milliers de vie à travers le pays. Le monde. Toutes les espèces confondues sont leur cible. Même la leur. Les tuer fait-il de moi une personne qui se met à leur hauteur ? Je ne me pose pas vraiment la question. Je me fous de la réponse. Aussi macabres puissent être mes actions, elles ne me rebutent pas quand il s'agit de la mort de ces hommes. Et si je ne suis personne pour décider de qui doit vivre ou mourir, je m'accorde ce droit quand il s'agit d'eux.

Ramin arrive à ma hauteur et envoi dans les roses un homme qui s'approchait de moi. Anxieux. En colère. En pleine crise. C'est tout ce que je vois chez lui. Il n'a même pas parlé que je sais pourquoi. Pour qui.

- Où est Shadow, bordel !

Je ne saurais dire exactement ce qui teinte sa voix. Un mélange de sentiments qui semblent le dévorer de l'intérieur, alors qu'il transperce le cœur d'un homme fonçant sur lui. Sa dominante. Sa protégée. Un lien qui semble lui jouer des tours et qu'il ne parvient pas à contrôler. Ne pas l'avoir sous les yeux, dans une situation telle que celle-ci, ne pas parvenir à se souvenir de sa force à elle. Je le comprends. Trop bien, même. Mais j'ai la vie d'autres personnes qui pèsent sur mes épaules. De chacun de mes loups. Lui ne pense plus à rien d'autre qu'à elle. Nous ne pouvons être deux à faire cette erreur. Alors je tente de le calmer, sans cesser un instant d'éliminer tout ce qui me tombe sous la main.

- Elle sait se débrouiller. Aide les autres.

Mais il n'écoute pas. L'ordre ne lui chatouille même pas l'oreille. Mon lien est moins fort que le leurs, et je n'ai pas envie maintenant de penser à ce contrôle que je perds sur mes loups quand il s'agit d'elle.

- Je dois la trouver.

Il grogne, de rage, déchirant de ses griffes sorties le corps d'un homme. Il tombe à ses pieds, dans une marre de sang, qui éclabousse le visage de Ramin. Il ne cligne même pas des yeux.

Là, il paraît impitoyable, foutrement dangereux. C'est ce qu'il est. Ce qu'on a tendance à oublier quand il agit au quotidien.

- Tu dois surtout éviter de nous foutre dans la merde en abandonnant ton poste.

Mais quel poste ? Plus personne ne tient ses positions. Nous cherchons seulement tous à rester en vie, et à venir à bout de l'ennemi.

Une balle me frôle l'épaule et je râle, plus d'énervement que de douleur. Aussi vite m'a telle touchée, aussi vite je sépare la tête du corps de l'idiot qui l'a tirée.

- Alpha.

Je n'aime pas son ton. Je m'apprête à lui en foutre une bonne, comme si je n'avais que cela à faire, de m'occuper de lui remettre les idées en place, quand une voix me coupe.

- Bats-toi, idiot de loup.

Les épaules de Ramin se détendent, et il élimine deux ou trois hommes pour avancer vers celle qu'il cherchait activement. Elle fait un signe de tête à Nader, l'enjoignant à aller donner un coup de main à Jeiran et Emna, qui se font submerger un peu plus loin. Malgré son envie bien affichée de ne pas la quitter, il fonce vers eux, envoyant voler sur plusieurs mètres l'homme s'attaquant à la blonde de dos.

Ramin se place à côté d'elle, et au fond, je dois avouer être soulagé de la voir là. Mes yeux ne se retiennent pas de passer sur les quelques blessures qui recouvrent son corps. Je n'aime pas voir une seule goutte de sang s'échapper de sa peau, mais je suis conscient que c'est une vision à laquelle je vais devoir m'habituer.

- Vous auriez dû rester à l'intérieur.

Malgré ce soulagement qui prend part de moi en l'ayant à mes côtés.

- Pour faire quoi ? Sortir les otages ? Impossible. Vous regarder vous faire mettre en pièce à travers des écrans ? Quelle belle idée.

Je ne fais pas de remarques sur son ton acerbe et laisse monter un sourire, malgré l'urgence de notre situation.

- Quelle caractère, vampire.

Elle attrape la tête d'un Sancœur et la fracasse contre le sol, d'un coup tel qu'il ne s'en relèvera jamais.

- Je ne crois pas que tu le découvres, loup.

- Reste derrière moi, Sha'.

Elle lève les yeux au ciel devant la phrase de Ramin, et cogne les visages de deux Sancœurs ensemble. Si j'étais une autre personne, j'aurais détourné le regard de leur boîte crânienne explosant sous le choc violent qu'elle leurs impose.

- Espère toujours Min'.

Il râle mais la laisse faire, et commence alors une danse macabre dont nous connaissons parfaitement les pas.

Là, elle se baisse, quand la jambe du loup tourne au dessus d'elle pour s'enfoncer dans le visage d'un ennemi, tandis que je passe mon bras armé d'une lame entre eux, pour la planter dans la gorge d'un second.

Ici, elle utilise ma cuisse pour sauter sur un homme, entourer ses cuisses autour de ses épaules, bloquant son cou, que Ramin se fait un plaisir de briser en retournant violemment son corps.

Un protecteur, une protégée, qui se complètent.

Un compagnon, une compagne, qui se complètent.

Nos mouvements s'accordent, deux duos réunis à la perfection par un seul point commun, elle.

Je sens une vague de puissance nous entourer, et dans un nuage blanc qui me fait frissonner, tous nos ennemis se retrouvent gelés. Je vois les moins téméraires des Sancœurs reculer, tandis qu'un sourire satisfait prend place sur mes lèvres. Je me tourne vers Yuki, qui hausse les épaules comme si de rien n'était.

- Tu ne peux pas tous les geler ? Ça irait bien plus vite.

- Tu penses que je suis la reine des neiges ?

- Ramin peut être ton Olaf.

Je l'entends pester mais n'y fais pas attention. Ce n'est pas le moment de plaisanter. Mais ces quelques secondes sont comme une bouffée d'oxygène après de trop longues minutes en apnée.

Elle est puissante. Et je suis sûr qu'au fond elle pourrait parvenir à un tel résultat. Mais à quel prix ? La magie tire sur l'énergie de son utilisateur. Elle a besoin de conserver des forces. La victoire serait trop facile, et je doute que le Destin ne nous réserve pas quelques surprises.

Le temps que quelques Sancœurs osent approcher de nouveau, elle brise le corps piégé dans la glace de l'un d'eux, observant avec une certaine satisfaction l'homme tomber en petit morceau de glace.

Elle me regarde en souriant, et je lance mon bras vers elle, ma lame glissant à côté de sa joue, pour s'enfoncer dans le crâne d'un ennemi dans son dos. Elle ne le regarde pas tomber, mais me fait un clin d'œil.

- Bien visé.

Une vingtaine d'hommes se dirigent vers nous, cependant le regard de la jeune femme se porte plus loin. Ramin se débarrasse des ordures qui s'approchent trop près d'elle, tandis qu'elle reste fixée sur un point au milieu du champ de bataille.

- Ils emmènent des bombes à l'intérieur.

Tenant un homme dans chacune de mes mains, je ne peux rien faire quand elle s'avance à toute vitesse vers l'entrepôt. Les otages sont encore à l'intérieur. Mais elle ne risque pas de s'en sortir seule vu leurs nombres. Je grogne, autant que Ramin, tandis que nous tentons de nous débarrasser de ceux qui nous barrent la route.

Mais même si je constate avec satisfaction que les corps de ces types s'entassent en masse au sol, ils sont encore suffisamment nombreux pour nous retenir.

Je ne peux que la voir se faufiler jusqu'à l'entrée, gelant ou décapitant tout ce qui se met en travers de son chemin, puis disparaître dans le bâtiment.

Je veux la rejoindre, mais mon esprit est tiraillé quand je vois Nader suivre le même chemin. Il la protégera. Emna et Jeiran ont aussi besoin d'aide. Nous ne pouvons pas tous entrer et les laisser seuls s'occuper de la masse d'ennemis à l'extérieur.

Alors malgré mon envie de la suivre, je ne rentre pas. Je me dirige vers mes loups et entraîne Ramin avec peine derrière moi. 4 dehors, 2 à l'intérieur, et Arman et Tala toujours à l'abri plus loin. Nous ne pouvons guère faire mieux.

Je sens mon Second se retenir de venir nous aider, pour ne pas laisser seule la louve à l'écart.

Les ennemis tombent et leur nombre diminue nettement. Si nous poursuivons sur cette voie, un espoir sera peut-être là. Il faut seulement tenir le rythme.

Nous ferrons avec ce qu'on a.

Reste à savoir si cela sera suffisant.

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