Chapitre 86

 PDV Yuki

L'atmosphère est lourde, elle pèse sur nos épaules. Il n'y a aucun sourire, seulement des regards déterminés. Peut-être un peu affligés, également. Chacun contrôle ses respirations, pour retenir ses émotions. Mais c'est un vrai capharnaüm, au fond de nous. Les angoisses, les peurs, les doutes. Y a-t-il un jour où nous avons tant été affligés avant de partir en mission ?

Les sacs s'entassent dans les voitures, les derniers équipements sont enfilés. Le silence est brisé par les battements de nos cœurs, trop puissants, traîtres à ce que l'on ressent.

Les heures sont passées si vite, jusqu'à ce moment. Il paraît presque hors du temps, pas assez réel, comme si tout ceci ne se passait que dans mon esprit. Un mauvais rêve, dont je me passerais aisément.

Je regarde mes loups, si tendus, Nader dans un coin, dont le regard me souffle tout ce qui lui passe par la tête. Ses inquiétudes ne se sont pas taries. Les miennes non plus. 

Maï nous regarde faire. Assisse sur les marches de la maison principale, sa moue nous hurle toutes les émotions qui la traversent. Elle ne veut pas nous voir partir. Comme si elle doutait que nous parvenions à revenir.

Quand le dernier sac est posé dans le coffre d'une des voitures, celui-ci se referme dans un bruit sonore. Il semble réveiller tout le monde. Les regards se croisent, s'accrochent, les paroles silencieuses glissent entre nous.

Il ne faut pas que nous partions dans cet état. Il nous faut plus de calme, de sérénité. Mais dans un moment comme celui-ci, n'est-ce pas trop demander ?

Maï vacille lorsqu'elle essaye de se lever. La main de son loup vient bien vite la stabiliser, et le regard qu'elle laisse couler sur lui me donne envie de sourire autant que de vriller. J'y vois tout l'amour et la tendresse qu'elle éprouve. Et toute sa peur et sa tristesse. Elle s'accroche à son corps, et je suis prête à parier que c'est presque autant pour ne pas tomber, que pour l'empêcher d'y aller.

Elle veut le retenir. Elle veut nous retenir tous, je le lis quand nos yeux tombent les uns dans les autres.

Je n'ai pas réussi à la rassurer. Comment aurai-je pu, quand moi-même je ressens au fond de moi l'envie de me terrer et ne pas y aller.

Je n'ai jamais été lâche. Pour la première fois de ma vie, je le regrette presque.

- Juste un !

Mon regard se tourne vers Ramin, qui gravite autour de Tala. Ce dernier semble mettre de côté son sérieux pour lui réclamer plus que ce qu'il n'a jamais demandé. Elle lève les yeux au ciel, et l'ignore, en resserrant ses protections aux avant-bras.

- Imagine que nous ne revenions jamais. Accorde-en moi au moins un !

Il dit ça avec tant de décontraction que j'ai presque envie de relativiser. Si nous ne revenions jamais. Une hypothèse que je me hais d'envisager. Mais qui semble bien probable, en ce moment.

Elle le regarde, sans dire un mot. Pendant un instant, je me demande ce qu'elle va faire. Je crois que nous nous posons tous cette question. Et qu'aucun de nous n'aurai envisagé la voir s'avancer, et lui offrir un rapide baiser.

Même le loup concerné reste bouche-bée. Jamais elle ne lui a accordé ce qu'il demandait.

- Et bah alors ça...

Le ton qu'emploie Jeiran résume à lui seul ce que nous pouvons tous penser de ce qu'il vient de se passer. Emna charrie en douceur la plus jeune, quand Ramin reste planté là, rouge comme un adolescent qui vit ses premiers émois.

Je laisse un sourire courir sur mes lèvres, devant ces quelques minutes de détente qui font du bien à chacun d'entre nous.

Je me demandais quand la louve allait laisser ses sentiments s'exprimer. Il aura fallu du temps, pour qu'elle le fasse, tout autant pour qu'elle les comprenne seulement. Ce n'est pas une déclaration... simplement la marque de l'affection qu'elle peut lui porter. Le feu vert qu'elle lui donne pour la courtiser. Quand bien même il le fait -maladroitement certes- depuis des années.

Cyrus fait comprendre à tout le monde qu'il est temps d'y aller. Arman reste plus longtemps que les autres, semblant avoir du mal à se décoller de ma sœur. Il s'écarte d'elle et cesse de lui caresser la main quand je m'approche. Un signe de tête à mon attention, un baiser sur son crâne en guise d'au revoir, et nous nous retrouvons seules sur le parvis de la maison.

Mes mains trouvent les siennes, quand les mots ne parviennent à franchir la barrière de mes lèvres. Je n'ai pas de paroles réconfortantes, pour elle. Pas de promesses à lui faire. Je ne suis pas certaine de parvenir à les tenir. Je me contente de serrer ses mains, et de poser mon front sur le sien. Un instant coupé du temps, juste entre nous. Comme un adieu silencieux, que je n'ose pas prononcer. Que je ne veux pas prononcer. Pour ne pas laisser gagner le Destin avant même d'avoir joué.

Je m'écarte juste assez pour poser mes lèvres à la place de mon front, avant de lâcher ses mains, et de monter dans une voiture. A travers le rétroviseur, je vois des larmes silencieuses rouler sur ses joues, jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse dans l'horizon.

Les quelques instants de répit offerts par l'interlude Tala/Ramin sont terminés. La tension remonte en flèche, chaque seconde un peu plus.

Le trajet paraît long, trop long. Et en même temps si court.

Tout se met en mode automatique, en moi. En nous, je pourrais dire. Un premier arrêt, légèrement à l'écart, pour déposer Tala. La zone découverte est grande, alors elle sera à une grande distance de nous. Heureusement, nos conditions nous permettent de passer outre ces 5 kilomètres. Ils peuvent être franchis en quelques minutes, pour des loups, ou moi-même. Cette fois, nous ne faisons pas l'erreur de la laisser seule. Arman descend avec elle. Une force en moins pour l'attaque, mais une précaution nécessaire pour la louve. Hors de question que nous prenions de nouveaux risques.

Nous laissons les voitures à l'écart d'eux, et nous continuons à pied. Nous allons nous faire repérer, vu le configuration des lieux. Tout ne va alors être qu'une question de stratégie, de rapidité.

Dans mon oreillette, j'attends que la louve en charge de la technologie nous donne le top départ.

Quand ce mot résonne, je sais que le temps nous est compté.

8 minutes. C'est le temps qu'il faudra aux hommes pour se rendre compte que nous avons hacké leurs caméras, et qu'ils regardent des images préenregistrées. Peut-être un peu moins, si ils ont l'œil très avisé.

L'ensemble des loups, à part Nader, se dirige de front vers le bâtiment. Ils sont visibles, de façon à ce que les Sancœurs qui parviendraient à nous repérer malgré les caméras HS se dirigent en priorité vers eux. Pendant que le jumeau taciturne et moi passons par l'arrière. Une porte dérobée, que nous savons moins bien gardée.

Nous mettons environ une minute à la rejoindre, il m'en faut une de plus pour l'ouvrir sans attirer l'attention.

Encore 6.

Je fronce les sourcils en ne découvrant aucun homme derrière. Ils devraient être 2. Mon regard croise celui du loup, et cette facilité l'inquiète autant que moi. Un sabre à la main, une arme à feu et un couteau pour lui, nous avançons à pas de loup -c'est peu de le dire- dans les lieux sombres. Aucune fenêtre ni lumière pour nous éclairer.

La voix de Cyrus résonne dans mon oreille. Ils sont parvenus au bâtiment, sans aucun signe d'avoir été repérés. L'environnement est trop calme. Je n'aime pas ça, et cela ne fait que renforcer ce pressentiment qui couve en moi depuis des jours.

Au détour d'un couloir, nous nous plaquons dans l'ombre, tandis que des hommes passent non loin, sans nous apercevoir. Nous ne cherchons pas l'attaque, pas maintenant. Notre part de la stratégie ne consiste pas à les éliminer pour l'instant.

Je ne mets pas longtemps à trouver l'escalier de fortune qui permet de descendre au sous-sol dont nous n'avions pas les plans. Je m'y engage, trouvant mon chemin grâce aux quelques lampes qui fonctionnent, ici et là.

C'est l'odeur qui me monte au nez, en premier. Celle du sang. De la souffrance. De la mort.

Puis j'entends les gémissements, les plaintes, et les pleurs.

Et enfin je vois. L'horreur.

Derrières des barreaux rouillés, des centaines de corps. Morts ou vivants. Des loups, des vampires, des hommes. Femmes, hommes, enfants. Les vivants, amincis, marqués, couverts de sang et de crasse, s'entassent au milieu des cadavres, certains frais, d'autres dans un état de décomposition avancée. 

Nous restons dans l'ombre. Si ils nous parlaient, nous appelaient, cela alerterait les hommes qui les ont mis dans cet état.

La bile me monte à la gorge. J'ai vu des choses affreuses dans ma vie. Mais chaque fois, je découvre un peu plus à quel point certains êtres peuvent être affreux.

La voix de Tala me souffle qu'il ne reste que quatre minutes. A contre-cœur, je détourne le regard de la scène abominable qui s'étend sous nos yeux. Nous les sortirons de là. Les Sancœurs n'en ressortiront pas, eux.

Je mets de côté ce que je peux ressentir et avance, à la recherche de notre but. 2 minutes de plus, pour trouver cette salle. J'ouvre la porte avec une lenteur mesurée, un sourire satisfait orne mon visage, quand je constate que les deux hommes attablés devant leurs écrans de sécurité ne nous remarquent pas entrer. Et n'ont pas conscience de regarder un enregistrement depuis de longues secondes.

D'un geste commun, Nader et moi brisons la nuque de ces ordures. Pas de bruit, et pas autant de douleur que ce qu'ils auraient méritée. Mais nous ne voulons pas alerter.

Je referme la porte pour pouvoir parler. Nader gère avec Tala pour désactiver complètement le système de sécurité, tandis que je m'adresse aux loups encore devant le bâtiment.

- Bien plus d'otages que prévu. Au moins deux cents personnes. Et presque autant de cadavres.

- Ça va prendre du temps pour tous les sortir. Surtout sur un tel terrain. Ils se feront abattre à vue.

Je hoche la tête, comme si Emna pouvait me voir acquiescer ses paroles.

- Il va falloir éliminer tous les ennemis avant d'entreprendre le sauvetage. On va s'occuper d'en avoir le maximum sans faire de bruit. Ensuite, vous lancez l'attaque. Tout ceux qu'on peut tuer sans alerter la masse nous font gagner du temps, et une marge d'avance.

Nader me fait signe quand avec l'aide à distance de la louve, il parvient à arrêter tous les systèmes de sécurité. Plus de caméras, plus d'alarmes.

- Tout est désactivé. Attendez notre signal pour entrer.

Je fais un rapide compte dans ma tête. Les loups de l'unité de la dernière fois doivent être une quarantaine encore en vie. Celle-ci est la principale. Des haut-gradés, sûrement plus d'hommes. On table sur au moins 100 personnes en tout. On en a déjà 2 en moins. Il faudrait en éliminer au moins une trentaine, pour que nous n'en ayons plus que 10 chacun à gérer, quand les choses vont se gâter. Réussir à en éliminer autant sans se faire repérer... Difficile mais pas impossible.

- Shadow.

Mon regard se tourne vers Nader, son ton ne me disant rien qui vaille. Il pointe du doigt les écrans, censés être éteints, qui grésillent. Je m'avance, posant mon regard sur eux, tandis que ce mauvais pressentiment explose.

Les images reviennent, et j'entends Tala lâcher un juron. Je ne sais pas quoi dire. Mes sens se mettent en alerte, et une alarme retentit dans tout le bâtiment.

Je ne cherche pas comment c'est possible. Je me contente de garder le regard fixé sur cette caméra, qui montre nos loups contre les parois de l'entrée. La grande porte du hangar s'ouvre, et des hommes fortement armés se jettent sur eux.

D'autres sortent des côtés du bâtiment, et même de l'arrière.

Ils sont bien plus de 100.

Ils savaient que nous étions là avant ces 8 minutes. 

Ils nous ont laissé entrer. Penser que nous avions réussi à tout désactiver.

Un nouveau piège.  

Peut-être le dernier. 

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