Chapitre 82

 PDV Yuki

J'ai senti un malaise dans l'air, avant même d'entrer dans cette pièce. Un pressentiment malsain, mauvais, qui a mis mes sens en alerte, attiré mon attention d'une façon trop précise pour n'être qu'illusion.

Je n'arrive pas à déterminer pourquoi, mais cette boule au fond de ma gorge est bien là. Elle ne diminue pas, malgré l'apparent calme de nos géniteurs, qui semble parvenir à détendre le loup à côté de moi. Il a confiance en leurs instincts. Je voudrais que ce soit également mon cas, cependant, c'est plus fort que moi. Je reste sur la défensive, tentant de saisir ce qui fait réagir mon subconscient de cette manière. Il se trompe rarement. Et je n'arrive pas à me dire, malgré le regard apaisé de mon père, qu'il puisse en être autrement aujourd'hui.

Je n'écoute que d'une oreille l'humain. Mon regard se pose discrètement tout autour de nous. Cela vient-il de ce garde, dans le coin de la pièce ? Y a-t-il quoi que ce soit de suspect ou dangereux, caché dans le mobilier ? Des ennemis en approche, que mes sens sentiraient arriver de loin ?

J'en viens même à me demander si ce ne sont pas nos loups, dans une mauvaise position à des kilomètres de nous, que je sentirais à travers nos liens.

Mais rien ne paraît cohérent, et toutes les hypothèses que formulent mon esprit n'éveillent pas en moi ce que je ressens pourtant en ce moment. Je n'ai pas encore mis le doigt sur ce qui ne va pas, quand une phrase du représentant des Hommes attire mon attention.

Je la capte avant de la comprendre vraiment, mais déjà, mes sourcils se froncent, tandis que je reste intriguée par ce qu'il vient de nous révéler. Mon pressentiment est définitivement lié à cette révélation, je peux l'affirmer. En quoi, je ne saurai encore le déterminer.

Je braque mon regard sur lui, et cela semble le déstabiliser. Il a un petit mouvement, que je ne prends pas le temps d'analyser.

- Comment ?

- Je ne suis pas certain de saisir le sens de votre question.

- Comment vous êtes parvenu à les trouver ?

Si nous, avec toute notre détermination, notre colère et notre envie de débusquer ces connards, nous n'avons pas réussi à réunir la moindre information sur leur localisation, je me demande bien comment lui, perché de son bureau doré, il a pu les débusquer. Si mon père et Bahram participent régulièrement à des missions pour aider leurs troupes, c'est loin d'être son cas, de ce que je sais. Et la mission des Sancœurs est confiée depuis le début aux créatures surnaturelles, il n'aurait donc même pas dû se pencher sur le dossier. Si les humains ont été écarté, c'est notamment parce qu'ils n'avaient ni les moyens, ni les ressources pour leur faire face ou bien seulement les traquer. Et peut-être aussi, parce que ces « rebelles », sont tous des hommes. Mon père ne m'a jamais officiellement présentée cette raison, mais il n'a pas besoin de le faire.

- Un de nos haut-gradés en permission a aperçu un convoi étrange qu'il a décidé de filer. Il est parvenu à apercevoir la base, et à partir de là, nos drones ont pris le relais pour organiser une cartographie de la zone, mais aussi comprendre les déplacements des hommes sur place.

Quelque chose cloche, et je n'arrive pas à savoir quoi. Non, décidément, cette histoire ne me paraît pas réaliste. Comme par hasard, un militaire en vacances les croisent ? Il comprend de suite qu'il s'agit d'eux ? Il parvient à les suivre sans se faire repérer une seule fois ? Si il s'agissait d'un loup, j'aurai pu comprendre. Ils peuvent se placer suffisamment loin grâce à leurs facultés extrêmement développées pour les suivre sans se faire voir. Mais un homme, non, impossible. Je ne nie pas que certain sont très doués. Mais les Sancœurs aussi. Ce ne sont pas n'importe quel homme. Ils sont justement composé en grande majorité d'anciens militaires, espions, ou tout du moins, de personnes suffisamment entraînées pour ne pas se faire tracer si facilement. Ils n'existeraient plus depuis longtemps si c'était le cas.

- Quel type de zone ?

- Hangar désaffecté, à l'écart de la route. Il y a deux étages, et probablement un sous-sol pour les prisonniers, même si ce dernier n'est pas mentionné sur les plans d'origine du bâtiment.

- Zone dégagée donc ?

- Comme vous pouvez le voir sur ces images.

Il allume le vidéo-projecteur, et une vue aérienne du site s'affiche sous nos yeux. Une petite route de gravas, qui ne mène à rien d'autre, et n'est donc jamais empruntée, un paysage alentours totalement désert, à découvert. Les traces de végétations les plus proches sont à 5 bons kilomètres. Impossible donc pour un homme de s'approcher sans se faire repérer, ni de voir quoi que ce soit de précis caché derrière les arbres à l'œil nu. Et un soldat en permission ne se promène pas avec de quoi voir à une telle distance, en théorie.

- Et sur un tel terrain, votre soldat a pu les suivre sans se faire repérer ? C'est l'homme invisible ? Il va falloir nous le présenter, dans ce cas, il pourrait être utile.

Cyrus retient un rire, mais son hilarité n'échappe à personne, et nos pères contiennent la leur avec difficulté. Je suis rarement aussi acide, mais je veux pousser l'homme dans ses retranchements, pour vérifier si la version exposée correspond à la réalité.

- Nos hommes n'ont peut-être pas de super-pouvoirs, mais cela ne les empêche pas d'être aussi bons que des loups ou des vampires. C'est un heureux hasard de les avoir croisé, et nul doute que vous n'auriez pas tardé à les trouver, si ce n'était pas arrivé.

La pique est à peine dissimulée. Comme la première qu'il nous a lancé, à peine plus tard que notre entrée. « Ceux qui vous ont piégé ». Un échec que je ne peux pas nier, mais que l'humain semble apprécier me rappeler. Je n'aime pas son attitude, comme je n'aime pas les souvenirs que ces piques éveillent en moi, qui me font oublier cette envie de forcer pour comprendre si il dit la vérité. Cependant, je ne peux nier : nous avons échoué, et par deux fois. La première sur le champ de bataille, la seconde ces dernières semaines, en ne parvenant pas à les trouver.

Peut-être est-ce pour cela que je suis plus réfractaire à apprécier les informations que me livre le représentant. Je ne saurai pas le dire avec certitude, mais je n'ai pas l'impression que ce soit cela, pourtant.

Nous aurions dû faire mieux. Nous aurions dû les débusquer, pour que cette conversation n'ai pas lieu. Pour qu'elle ne fasse pas remonter ma colère, ma honte et ma culpabilité. Des sentiments que je n'apprécie pas ressentir, mais dont je compte bien me servir, en faisant face à ces monstres.

- Seriez-vous prêt à attaquer d'ici 48H ?

Au fond, ce n'est pas une question, et aucune personne dans cette pièce ne peut en douter. Cyrus est celui qui se charge de demander en quoi un tel empressement est-il nécessaire.

- Il semble qu'ils vont déménager d'ici très peu de temps. Nous supposons qu'ils se serviront de la fête nationale ce week-end pour partir sans éveiller les soupçons. Ils doivent penser que les forces de l'ordre auront trop de travail pour s'inquiéter de cette zone.

Je n'aime pas cette information, et plus particulièrement, je n'apprécie pas de devoir mener une attaque de cette ampleur en si peu de temps. Ce ne serait pas la première fois. Mais en 48h, nous n'avons pas le temps d'étudier les lieux, de comprendre leur fonctionnement. Nous ne pouvons nous fier qu'aux éléments que va nous fournir l'homme aux cheveux grisonnants en face de moi. Compter sur les autres, qui plus est sur une personne que je connais à peine et qui ne peut donc pas avoir ma confiance, j'ai du mal.

- Nous serons opérationnels dans 2 jours.

Oui, nous le serons. Cela ne veut pas dire que je ne reste pas sur ma défensive, et que j'apprécie la situation. La seule chose qui m'empêche de me lever pour faire retirer ce sourire narquois sur le visage de cet homme, c'est l'aura de mon père, que je sens couler sur moi. C'est presque comme si il me murmurait à l'oreille de ne pas faire de vague.

Je n'arrive pas à saisir comment il peut rester si calme. Comment il peut ne pas se poser les mêmes questions que moi. Il connaît mieux l'humain, et je me raccroche à cette idée.

En tout cas, je ne lui demande pas. Ni à Bahram. Je me contente de rester silencieuse, n'intervenant que lorsque c'est vraiment nécessaire.

Même lorsque nous prenons le chemin du retour, je ne pipe pas grand mot. J'essaie de ne pas trop penser à tout ce qui m'inquiète, tout ce qui me fait tiquer dans les informations qui ont pu nous être données. Nous avons parlé plan d'attaque, et si j'ai tenté de rester évasive sur ce que j'envisageais, j'ai tout de même dû donner des points précis de ce dernier. Et pour une raison tout aussi mystérieuse que le reste, je n'en ai pas été à l'aise. Encore moins que la dernière fois.

Cette sensation de quelque chose qui ne tourne pas rond ne me quitte pas, malgré les tentatives des uns et des autres pour la faire disparaître. Bahram et mon père sont confiants. Cyrus se raccroche à leurs sentiments. Mais je n'y parviens pas. Et je me demande pourquoi je suis la seule à ne pas réussir à me décrocher de ce mauvais pressentiment.

La voiture s'arrête, et je me rends compte que je n'ai même pas entendu Cyrus demander à la faire stopper. Je déteste cela, car mes sens devraient être en alerte chaque seconde. Mais depuis mon arrivée, j'ai tendance à me laisser dépasser, et à perdre les bases d'un bon soldat. Je suis Shadow, et je ne devrais jamais me laisser surprendre. En tout cas, cela ne m'était jamais arrivé, en tant d'années, que depuis que je l'ai rencontré.

Et pourtant même cela, ne me le fait pas regretter.

Il me fait signe de sortir avec lui de la voiture, qui redémarre avec son père à l'intérieur. Je remarque que nous ne sommes pas loin de la maison, malgré la pénombre.

- Une petite course, vampire ?

Un moyen de me sortir de mes pensées, plutôt. C'est ce qu'il cherche, et je ne l'en empêche pas. Je dirais même que je l'attendais, puisque je n'y parviens pas moi-même. Un sourire, en guise de réponse, et déjà, il s'élance. Son corps se change au fil de ses pas, laissant vite place à ce loup majestueux qu'il devient. Je le rejoins, entrant dans la course, laissant l'air frais de la nuit fouetter mon visage.

Le paysage défile vite, les mètres sont avalés en quelques millisecondes. L'avantage de nos espèces, la malédiction peut-être, de ne pas pouvoir épuiser son corps si vite qu'on le voudrait.

J'évite les branches des arbres, alors qu'il fonce dans la forêt. Je ne cherche pas à savoir où l'on va, je me contente de courir, à ses côtés. Aucun de nous ne semble gagner, nous sommes deux égaux peu importe l'activité.

Parfois, il s'amuse à faire un pas sur le côté, me bousculant légèrement, tentant de me déstabiliser. Et si je ne peux pas le voir rire, je sens son hilarité.

Je ne regarde pas ce qui m'entoure, mais le loup à mes côtés. Il est beau. Les reflets de sa fourrure m'attirent, et je dois me retenir de laisser mes doigts s'y perdre.

L'animal ralenti, avant de s'arrêter. Nos regards se plantent l'un dans l'autre pendant un moment, avant qu'il ne redevienne qui il est. Il s'avance d'un pas, glisse un doigt sur ma joue, avant de me murmurer de regarder autour de nous.

Alors je le fais, et j'en reste bouche bée.

Une petite cascade, un morceau de lac à peine profond, dans lequel se reflètent les étoiles, un bout de paradis, caché au milieu des bois. J'ai l'impression de me trouver ailleurs, et l'insensible que je suis, ne peut que rester subjuguée devant tant de beauté.

Dos à lui, je le sens s'approcher, et je frissonne quand son souffle vient chatouiller la peau de mon cou.

- Regarde le ciel.

Je lève les yeux, sur les étoiles qui constellent cette étendue sombre. Un sourire me monte sur les lèvres, quand j'aperçois la forme que prennent les plus brillantes d'entre elles. Un cœur.

- Je ne te pensais pas si sentimental, alpha.

- Avoue que tu aimes, vampire.

C'est peut-être le cas. C'est sûrement le cas. C'est le cas.

Un moment d'un romantisme incroyable qui ne me ressemble pas, mais qui résonne au fond de moi. La volonté qu'il a, celle de me sortir de ces pensées tourmentées, pour les diriger sur un sujet bien plus léger.

J'aime le moment, le paysage, le côté niais. J'aime l'intention qu'il y met.

Non, au fond, ce n'est pas la vérité.

Ce n'est pas l'attention, que j'aime.

C'est le loup.  

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Yuki se rend compte de ses sentiments ! Cyrus va-t-il la suivre ? 

Ce pressentiment, mais qu'est-ce que cela peut être ? Peut-être sent-elle la tournure que va prendre la mission...

A dimanche prochain, 

Kiss :*

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