Chapitre 81

PDV Cyrus

Au milieu de nos taquineries, je la sens inquiète. Elle ne risque pas de le montrer. Mais plus notre lien grandit, plus il va devenir difficile pour elle, comme pour moi, de cacher ses sentiments à l'autre. Je n'ai pas besoin de lui demander ce qui lui trotte dans la tête. Je le sais déjà. Peut-être parce que ce sont des questions et des angoisses que je partage.

Elle est la personne la plus forte que j'ai rencontré. Et sans narcissisme aucun, je pense me débrouiller plutôt bien également. Un duo puissant, des guerriers dans l'âme, des soldats sans faille. Presque, sans faille. Car elle devient la mienne, et je parierai sans mal être la sienne.

C'est ce point qui m'inquiète. Celui-ci, et des millénaires de réincarnations ratées. Il devait bien pourtant y avoir parmi eux de vraies forces de la nature. Si elles n'ont pas gagné, si toutes ont fini par perdre la vie, pourquoi et comment notre sort pourrait-il être différent. Non pas que je me résigne à y passer. Seulement, je m'interroge sur les réelles chances d'une victoire.

J'ai affronté des milliers d'ennemis, de toutes espèces. Je n'ai en revanche jamais imaginé devoir me battre contre un adversaire de cette trempe. Le Destin. Est-il seulement envisageable pour un mortel de s'opposer à lui ?

J'ai vécu plus de 400 années. J'ai vu des dynasties et des pays sombrer, d'autres émerger. Je me suis battue contre des hommes, des vampires, et parfois même des loups. J'ai survécu à des ouragans, des tsunamis, des tremblements de terre. Nombre de guerre. Je n'ai jamais craint un instant de mourir. De ne pas m'en sortir. Malgré les blessures et les cicatrices, j'ai toujours eu foi en moi.

Pas cette fois. Cette fois, je découvre ce que cela fait, de se retrouver sur un fil suspendu au dessus du vide, en étant tiré vers le bas par une main invisible. Je ne veux pas mourir. Mais plus que tout, je ne veux pas qu'elle meurt.

C'est au-dessus de mes forces de l'imaginer. Vivre sans elle, ou mourir en sachant qu'elle y passera aussi, ce sont deux hypothèses qui me répugnent au plus haut point. Je commence à comprendre le choix qu'on pu faire Roméo et Juliette.

Nos regards se croisent, s'accrochent comme ils savent si bien le faire. Je voudrais lui dire que l'on va réussir, mais je ne peux rien affirmer. En revanche, on va se battre. Et cela, je n'ai pas besoin d'y mettre des mots. Cette pensée brille dans mon regard autant que dans le sien. Nous sommes des guerriers. Et nous n'abandonnons jamais un combat. Je préfère regarder la mort en face, plutôt que de lui tourner le dos. Je sais qu'elle aussi. Si il y a un mince espoir de gagner, de briser cette boucle infernale qui dure depuis des milliers d'années, nous allons nous y accrocher. Elle est Shadow, je suis Cyrus, futur Alpha Suprême. Nous ne baissons jamais les bras. Et nous ne plions pas l'échine. Même devant un adversaire dans ce gabarit.

Un loup se présente devant nous, nous obligeant à briser cet échange plein de promesses de courage. Il nous indique rapidement que mon père souhaite nous parler, et étrangement, nous le trouvons devant la maison, près d'une voiture au moteur allumé.

- Le représentant humain nous demande de toute urgence au Consulat. Tous les trois.

Il n'attend pas de réponse, seulement que nous montons dans la voiture.

- Je viens !

Je me tourne vers Ramin, étonné, tandis que Yuki ne réagit pas. Nader, un peu plus, s'avance vers nous, à la hauteur de son frère. Le reste des loups nous rejoint cherchant à comprendre ce qu'il se passe.

- Nous partons tout au plus pour la journée, vous pouvez rester ici.

Mais je sens une détermination chez deux d'entre eux. Ramin commence à insister pour nous accompagner, trouvant des excuses toutes aussi délirantes les unes que les autres, quand Nader laisse son aura me faire comprendre qu'il veut en être également. Qu'est-ce qu'ils ont, tous les deux ?

- Nous allons au Consulat. Nous n'avons pas besoin de gardes du corps. Vous n'avez pas cherché à venir, quand je m'y suis rendu la première fois avec Arman.

Sauf qu'Arman n'était pas Yuki. Et je le comprends quand ils grognent, mécontent de pouvoir nous suivre, et que leurs regards se posent sur la vampire. Ils sont brillants. Protecteurs. Des gardiens. La vérité m'éclate en pleine face, et je me demande comment je n'ai pas pu me rendre compte de ce lien auparavant. Ils ont toujours été plus protecteurs envers elle que n'importe quel loup. Peu importe sa haine pour son espèce, Ramin s'est vite retrouvé à la soutenir. A se mettre entre elle et le danger. Il a attaqué ma mère pour elle. Et Nader n'est pas en reste. Combien de fois a-t-il fait barrière de son corps ? Combien de fois a-t-il mis de côté son calme et son masque d'impassibilité quand il s'agissait d'elle ? 

Des comportements qui auraient dû me sauter aux yeux bien plus rapidement. Chaque dominante a son gardien. Je ne pensais pas que notre situation particulière le permettait. Ce n'est pas une louve, après tout. Mais au final, elle en a deux.

Ma mère en avait un, également. Il est décédé il y a quelques années. Il n'était pas très efficace, de toute façon. Un loup soumis, qui ne pouvait pas vraiment la protéger. Peut-être était-ce sa punition pour avoir pris la place de la femme qu'aimait mon père. Yuki hérite de deux gardiens plus que capable d'assurer ce rôle. Si je ne la savais pas entièrement capable de se défendre elle-même, j'en serais plus que rassuré.

Pour l'instant, c'est en revanche plutôt emmerdant, car les jumeaux sont têtus. Même Nader, à priori.

Ce dernier plante son regard dans le mien. Alors il sait. Ça ne m'étonne pas. Et vu la réaction de Shadow, elle sait également. Je me sentirais bien plus idiot si je n'étais pas persuadé en revanche que Ramin n'a rien saisi de ce qui l'unit à sa dominante. Au moins, je ne suis pas le dernier.

Ils ne m'écouteront pas, je le comprends à présent. Mes ordres sont inférieurs à leur lien, et Shadow est obligée d'intervenir, avant que l'un d'eux ne monte de force dans la voiture. Mon père observe le tout en silence, mais je capte un petit sourire de sa part.

- Restez là, on rentrera dans la soirée. Et ce n'est pas une question.

Si ils ne semblent pas heureux de devoir la quitter des yeux toute la journée, ils ne font pas un pas de plus quand nous entrons dans le véhicule, et nous éloignons d'eux.

- 2 gardiens. Ça fait deux loups qui vont m'écouter encore moins.

Elle ne me dit rien mais son sourire en dit long. Je souffle sans cacher mon amusement, et me laisse aller dans le siège pour le trajet qui nous attend. La bonne humeur laisse petit à petit place aux interrogations au fil des kilomètres qui défilent à travers les vitres. Une réunion de toute urgence, qui nous convoque tous les deux, c'est curieux. Et le sujet n'est pas forcément une surprise : cela touche forcément aux Sancœurs. Nous avons pris un moment de répit, avec les péripéties d'Arman et Maï, mais le trajet nous permet un retour à la réalité. Nous y oblige plutôt.

Nous tombons vite sur Fubuki, en arrivant. Il nous accueille avec un sourire, tandis que Shadow replace son masque après avoir embrassé son père. Je m'étonne de voir les deux représentants se taper dans le dos chaleureusement, comme deux amis de longues dates le feraient. Il n'y a aucune formalité entre eux, et c'est à la fois étrange et agréable.

- J'espère que tu prends bien soin de ma fille, Bahram.

- Évidemment. Et puis n'est-ce pas un peu la mienne aussi maintenant ?

Je manque de m'étouffer avec ma salive alors que Yuki secoue la tête dans un geste désespéré. J'avais déjà remarqué quelques similitudes entre les deux hommes. Leurs échanges me confortent dans l'idée qu'ils ont été fabriqué dans le même moule, à la différence près que l'un boit du sang et l'autre se transforme en loup.

- On peut dire que l'on fait parti de la même famille. Quel terme pourrait être utilisé pour nous définir ?

- Gênant ?

Je ne retiens pas mon rire devant l'intervention de la vampire, qui n'a pas tout à fait tort.

- Je te remercie pour le compliment, fille ingrate.

Elle lève les yeux au ciel, mais je distingue son petit sourire à travers son masque. Un garde arrive à ce moment là, nous indiquant qu'il est temps de mettre fin à ce petit intermède. Retour aux choses sérieuses. Et vu la direction qu'aurait pu prendre la conversation avec ces deux bouts en train, tant mieux.

Avant que l'on passe les portes tout de même, mon père se tourne une dernière fois vers son acolyte.

- Il faudrait que l'on se fasse un repas de famille tout de même.

Je me penche vers Yuki à mes côtés pour lui chuchoter quelques mots, bien que je sois conscient qu'ils m'entendent sans mal.

- Ils sont aussi fatiguant que nos loups.

- Au moins on a l'habitude.

Quand nous entrons et que mes yeux se posent sur l'humain qui nous attend, une sorte de malaise monte en moi. Je ne sais pas ce qu'il signifie, mais ce pressentiment est bien là. Un seul coup d'œil vers ma partenaire me laisse comprendre qu'elle ressent exactement la même chose que moi. Et si il y a bien une chose que j'ai appris sur elle depuis que je la connais, c'est que ses pressentiments sont toujours fondés.

Quelque chose cloche. C'est dans l'air, et cela m'étonne que les deux hommes devant nous n'en ressentent rien.

Ils sont calmes, sereins. En confiance.

C'est ce point qui me perturbe le plus. Si eux, forts de leurs expériences et de leurs siècles de vie ne ressentent pas la même chose que nous, peut-être que nous sommes trop sur la défensive. C'est en tout cas à ce sentiment que je décide de m'accrocher.

Des banalités sont échangées, que je n'écoute pas. J'attends seulement que l'humain nous donne l'information pour laquelle il a décidé de nous réunir de toute urgence. Cela ne tarde pas.

- J'ai trouvé la dernière unité de Sancœurs. Et il se trouve que la seconde, qui vous a piégé la dernière fois, ont rallié la base de celle-ci.

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