Chapitre 80

Désolée du retard ^^

PDV Yuki

La réponse de ma sœur déstabilise l'ensemble de l'assemblée. Un seul mot, qui met fin aux espoirs du loup en face d'elle, tout comme de ceux du reste de la meute. Je comprends d'où venait ce mauvais pressentiment, que je ne parvenais pas à éteindre depuis mon réveil. Mon instinct me soufflait la réaction de Maï, aussi étonnante soit-elle.

Je n'avais pas envisagé qu'elle puisse sérieusement refuser. Douter de la rapidité de la demande, peut-être. Mais la rejeter de but en blanc, ce n'est pas une option qui me paraissait probable. Je connais ma sœur. Je sais qu'elle est fortement attaché à ce loup. Je sais que pour elle aussi, ce premier regard était particulier. Malgré les craintes qu'elle avait pu avoir, sur le fait de leur différence d'espèce, j'étais persuadée qu'elle accepterait Arman. Qu'elle envisagerait au moins d'y réfléchir. Pourtant, elle a l'air déterminée. Elle en a seulement l'air. Je la connais depuis suffisamment d'années pour reconnaître les moments où elle dissimule ce qu'elle ressent.

Je ne sais pas si le loup a vraiment compris sa réponse. Il s'est arrêté de parler, mais il semble ailleurs. Comme si son esprit refusait d'assimiler ce que ses oreilles ont pourtant capté.

Si je n'avais pas dans l'idée qu'elle puisse dire non, je suppose que lui non plus. Je n'ose pas imaginer ce qu'il doit ressentir. Ou ce qu'il va ressentir.

Je suis persuadée qu'il comprend, au moment où elle fait volte-face pour s'éloigner de lui, de nous, du plus vite qu'elle le peut. A cet instant précis, son regard se brise, puis se voile, et sa douleur éclate sur la toile, me vrillant le cœur. Il ne veut pas qu'on la ressente. Mais il est incapable de la camoufler, pour l'instant.

Il reste les bras ballants, fixant ce point derrière les arbres, où elle vient de disparaître.

Mes yeux s'accrochent un instant à ceux de Cyrus. Lui non plus, ne saisit pas l'attitude de Maï. Je ne saurais dire qui de nous deux est le plus dépassé par ce qu'il se produit. Il tente d'endiguer la douleur qui se répand sur les autres membres de la meute, qui restent tous pantois, sansoser dire ou faire quoi que ce soit.

D'un même geste, nous partons dans une direction opposée. Lui, s'approche de son loup, qui malgré sa fierté, accepte de se laisser entourer, moi, je prends le même chemin que ma sœur. Il y a définitivement quelque chose qui ne va pas.

Je ne sais pourquoi, mais je sens que ce non n'était pas la bonne réponse. Qu'il a été déterminé par autre chose que ce qu'elle voulait vraiment.

J'ai besoin de le comprendre, comme tous les autres. Et je sens qu'elle a besoin de s'exprimer là-dessus.

Je la trouve en plein milieu d'une clairière, dos à moi. Si je ne peux pas voir son visage, je remarque tout de même la pression exercée par ses mains sur ses béquilles. Elle retient des sentiments, mais je ne suis pas en mesure de déterminer lesquels pour l'instant.

- Tu vas plus vite que je ne pensais, avec ces trucs.

Elle se tourne doucement vers moi, mais ne plante pas son regard dans le mien. A-t-elle peur que j'y devine ce qui s'y dissimule ? Cela ne m'étonnerait pas. Je n'ai jamais eu de difficulté à comprendre ce que Maï ressentait, avec un seul regard.

- Les médecins sont très bons.

- Le mérite te revient.

- Sans leurs conseils, je n'y parviendrais pas. Ce matin, l'infirmière...

- Maï.

Le récit de sa rééducation m'intéresse, évidemment. Surtout depuis qu'elle ne m'autorise plus à la suivre, et que je peux qu'en avoir une vague idée grâce à mes échanges avec l'équipe médicale, et Arman. Mais pour l'instant, je me fiche bien des exercices que l'infirmière a pu lui faire faire. Elle le sait pertinemment d'ailleurs, mais l'occasion d'esquiver le sujet de ce qui vient de se produire était trop belle. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir essayé.

- Il va falloir que tu m'expliques.

- C'est ce que je faisais.

J'ai presque envie de sourire devant cette mauvaise fois qu'elle ne tente pas de dissimuler. Elle sait qu'elle va devoir m'en dire plus, sur ce refus. Elle tente de gagner quelques secondes, mais elle ne pourra pas indéfiniment retarder l'inévitable.

- Pourquoi tu as refusé ?

Elle baisse un peu plus la tête, fermement décidée à ne pas me laisser apercevoir ses yeux. Un point qui me conforte dans mon idée : elle n'a pas dit non parce qu'elle le voulait vraiment. Il y a autre chose.

- Je ne suis pas prête à un tel engagement.

- Tu aimes Arman pourtant.

- Ça ne veut pas dire que je peux envisager l'équivalent d'un mariage pour l'instant. Nous ne sommes pas ensemble après tout.

Je n'insiste pas sur le fait qu'elle vient d'avouer malgré elle aimer le loup. Ce n'est pas comme si j'ignorais ce point. Et ce sont des arguments tout à fait recevables. Je suppose que pour n'importe quel humain, être demandé en mariage par un homme que l'on connaît depuis quelques semaines, et avec qui on ne sort pas, c'est trop rapide. Mais nous ne sommes pas humains. Nous vivons plus longtemps, pourtant nous allons bien plus vite sur le plan sentimental. Pour une simple raison : nos liens sont surnaturels. Incassables. Ils ne peuvent être ignorés. C'est dans notre nature. Et tenter d'aller contre cela, c'est se blesser profondément. Il doit y avoir une meilleure raison que ces arguments-ci, pour qu'elle endure cette douleur en refusant la proposition du loup.

Elle ne lui a pas dit « mettons-nous ensemble et attendons pour faire cette cérémonie ». Elle a dit non. C'est comme si elle venait de rompre tout lien entre eux. Qu'elle essayait, tout du moins.

- Si tu n'avais pas 380 années, et des crocs, j'envisagerais peut-être d'accorder du crédit à ce que tu viens de dire.

- Au contraire, ça me paraît très logique. Je peux vivre encore des décennies, lui aussi. Pourquoi se lier si vite ?

- Je n'ai pas l'impression que ton « non » signifiait « peut-être plus tard ». J'ai plutôt entendu un « restons en là ».

Elle ne dit rien. Parce qu'elle ne peut pas nier, comme elle n'arrive pas à acquiescer. Je pourrais la laisser réfléchir, mais je sais qu'elle s'évertuerait à croire les arguments qu'elle avance. Je ne dois pas lui en laisser le loisir.

- Alors je me demande pourquoi tu as choisi soudainement de rompre tout lien avec Arman.

Elle a un sursaut sur son prénom, comme si l'entendre était douloureux. Je fronce les sourcils, intriguée par cette réaction. Elle ne peut définitivement pas venir d'une personne qui ne souhaite plus entendre parler du loup.

- Maï. Pourquoi le repousses-tu ?

Pendant un moment, je pense qu'elle ne va pas me répondre. Que la bataille pour obtenir le fin mot de cette histoire est loin d'être terminée. Et pourtant, son visage se relève vers moi, pour la première fois. Son regard brille, d'un chagrin qu'elle ne parvient plus à dissimuler.

- Parce que je ne peux pas lui imposer une vie avec moi. Une vie avec mon handicap. Évidemment que j'aime ce qu'il a préparé ! Évidemment que j'ai envie de me lier à lui. Mais il n'a pas à supporter ma douleur, et toutes les conséquences qu'entraînent cette perte. Quand il m'a posé cette question... j'ai pris conscience de la place qu'il a dans ma vie, qu'il s'est faite en si peu de temps. Et c'est à cause de cela que je ne peux pas accepter.

C'est une raison à laquelle je n'avais pas pensé. Et qui pourtant prend tout son sens, maintenant que je l'entends. Je ne parviens pas à détourner le regard de celui de ma sœur. L'ai-je déjà vu atteinte de cette façon ? Non. Parce que j'agissais toujours avant que cela ne puisse se produire. Si j'avais su ce qu'elle avait en tête, je serais intervenue avant qu'elle ne se brise elle-même le cœur. Et qu'elle mette Arman dans le même état.

J'ai envie de lui dire qu'elle a tort. Qu'il ne fuira pas pour une jambe manquante. Qu'il ne la demande pas par dépit pour éviter qu'elle ne se morfonde seule. Elle ne l'a pas dit, mais je suis certaine en la regardant qu'elle y pense.

Mais je ne suis pas dans la tête du loup. Et ce n'est pas à moi de lui dire tout cela. Alors j'attends. Parce que je l'ai senti, parce que je sais que sa voix va s'élever. Elle ne tarde pas à venir.

- Tu ne m'imposes rien.

Le visage de Maï pivote sur le côté, et se pose sur Arman, un peu plus loin. Derrière lui, l'ensemble des loups attend, observe. Si il y a quelques minutes, il était défait, là, il paraît incroyablement sûr de lui. A chaque mot, il avance. Et moi je recule, pour le laisser s'approcher d'elle.

- Depuis le début, je me fiche des prétendues barrières entre nous. Que tu sois une vampire. Que j'aille trop vite. Qu'on a jamais vu ton espèce sur une toile.

Un temps d'arrêt, qu'il marque, pour appuyer ses propos.

- Que tu aies perdu une jambe. Il pourrait te manquer la moitié du corps, que je ne m'en soucierais pas. Avec ou sans fauteuil, avec ou sans béquille, avec ou sans prothèse. Tu restes la même femme que j'ai croisé dans le couloir du Consulat. Celle que j'ai appris à connaître, qui m'a chamboulé au point que je veuilles marquer un précédent : faire de toi ma compagne. Je me fous d'aller vite.

Il se plante devant elle, et moi, je m'arrête à côté de mon loup. Il me lance un petit sourire en coin, un regard joueur, mais aussitôt il le replace sur le couple en face de nous. Parce qu'il ne fait aucun doute que ce terme est adapté à ce qu'ils ressentent l'un pour l'autre.

- Et tu sais pourquoi cela m'est complètement égal ?

Maï secoue la tête. Elle paraît complètement subjuguée par loup en face d'elle, et bercée par ses paroles. J'ai presque envie d'en rire.

- Parce que je t'aime.

Je crois que nous entendons tous le sursaut que peut faire le cœur de ma sœur. Cela fait monter un sourire sur mes lèvres, encore plus quand Arman fait un pas supplémentaire, et plaque ses lèvres contre les siennes. Nous restons là un moment, avant que je ne décide de disperser les troupes pour leurs laisser un peu d'intimité. Je crois qu'ils ont des choses à se dire. Ou tout du moins, des échanges buccaux à faire. Et ce n'est pas avec les réflexions de Ramin et d'un Jeiran nouvellement en forme qu'ils vont réussir.

- Finalement, leur histoire se finit bien. Pas comme Roméo et Juliette. Reste à savoir comment finira la notre.

Le regard de Cyrus se pose sur moi et il hausse un sourcil.

- Tu veux une jolie déclaration toi aussi ?

- Évidemment. Et n'oublies pas les fleurs.

- Je n'oserais pas te faire cet affront. J'espère que tu porteras une robe en dentelle, comme dans les films.

Mon image dans une telle robe nous tire un rire à l'unisson.

Mais si j'apprécie ce moment taquin, comme tous ceux que nous échangeons, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée récurrente qui tourne au fond de moi. J'ai peur.

Peur de ne pas avoir une fin similaire à celle de ma sœur. Peur de finir comme chacune de mes réincarnations. Peur de ne pas réussir à battre le Destin.

Et je me demande encore si c'est seulement possible, de gagner contre lui.

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Tout se finit bien pour Arman et Maï ! Vous êtes rassurés c'est bon ? x)

Yuki doute... vont-ils réussir, ou mourir ? Encore quelques chapitres pour le savoir.

Je pensais profiter des vacances pour écrire à fond, finir cette histoire, Amour Sourd, commencer les tomes 2, la réécriture et le dernier tome de OPBB. Et finalement, je suis débordée et je me retrouve encore à sortir mes chapitres en retard. Si ce n'est pas incroyable (et désespérant) x)

A dimanche, j'espère.

Kiss :*

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