Chapitre 71

PDV Yuki

Tout devient plus clair, et la colère, déjà forte, devient dévastatrice. Les paroles de Sheila sur sa sœur me reviennent en mémoire. Elles s'associent à tout ce que j'ai déjà pu voir et ressentir pour elle depuis que nous l'avons ramenée ici. C'est un poison, qui s'est insinué tranquillement parmi nos rangs. Si nous n'avions pas vu cette marque... pendant combien de temps encore nous aurait-elle pourrit de l'intérieur ?

Derrière moi, je sens les émotions de Cyrus changer. Enfin, il se rend compte que nos ressentis n'étaient pas juste le fruit d'une certaine jalousie. Si il avait fait l'effort de nous écouter, peut-être n'en serions-nous pas là. Il semble tomber des nues. Moi pas tant que cela. L'impression que j'avais et que j'ai encore sur cette fille est si mauvaise qu'elle est logiquement aussi forte que celle que j'ai sur ses parents. Il fallait bien deux ordures pour en engendrer une troisième. Sheila semble être la seule à ne pas avoir hérité de la tare familiale.

Je serre les dents si fort qu'elles sont à la limite de se briser. Mes ongles s'enfoncent dans la chair de mes paumes. Mais la douleur ne représente pour moi rien de plus qu'une fourmi qui viendrait chatouiller un éléphant. Je ne la sens pas. Je ne l'écoute pas. Je n'entends que ma rage, celle qui monte en moi depuis de longues minutes. Le corps de ma sœur étendu, rougit de sang, dépecé, s'affiche derrière mes paupières. La possibilité qu'elle n'ouvre plus les yeux me fait frémir. Mais la tristesse n'a pas de place, pour l'instant. Ce que je veux, c'est des aveux. Celle de cette louve en face de moi.

La main de Nader remplace celle d'Arman. Vite, fort, il l'emmène contre un mur, la maintient par le cou et colle son front au sien. Si la couleur de son aura pouvait nous apparaître, elle serait d'un noir profond. Je n'ai jamais vu le loup dans un tel état. Il a toujours été des plus inquiétants, de part sa froideur et son mystère. Mais sa puissance explose. Pour n'importe qui, il en ressortirait effrayant.

Une pure sensation de peur, c'est exactement ce qu'il fait naître chez Negin. Déjà bien plus frêle que le loup, elle se ratatine encore un peu plus sur elle-même. Je crois l'entendre couiner, ce qui n'empêche pas Nader de serrer un peu plus son cou. Il n'hésiterait pas, si je lui demandais, à serrer encore. Serrer jusqu'à la mort.

- Parle.

Un mot. Je crois que ma propre voix n'a jamais été aussi inquisitrice et inquiétante que la sienne à ce moment là. Le corps tremblant de Negin semble être prêt à se briser à tout moment. Et quand elle secoue la tête de droite à gauche, je suis certaine d'une chose. Elle n'est pas capable de mentir, à ce moment là. Ce n'est pas elle. Elle n'est pas à l'origine de ce piège.

Je voudrais dire que cela me calme, mais ce n'est pas le cas.

J'ai du mal à admettre qu'elle puisse être innocente, malgré les certitudes qui m'habitaient quelques secondes auparavant. Arman aussi, semble ne pas réussir à y croire. Et pourtant, la voix sombre de Nader me le confirme.

- Elle ne ment pas.

J'aurai préféré qu'elle mente. Cela aurait été bien plus simple. Déjà, je n'aurai pas à admettre mettre trompée, et surtout, nous n'aurions pas cherché qui. Car quelqu'un a parlé. Mais que je n'ai aucune idée de celui ou celle qui en est à l'origine.

Nader ne la lâche pas, malgré tout. Elle n'ai peut-être pas celle qui a mise indirectement ma sœur dans cet état, mais sa présence n'en reste pas moins calculée. Alors si je ne peux trouver maintenant qui est le traître, j'ai besoin de retourner ma colère contre autre chose. Contre elle.

La trouver devant une boîte de nuit et la ramener ici alors qu'elle est la sœur de Sheila serait une coïncidence bien trop grosse.

Et l'arrivée de la génitrice de Cyrus me le confirme.

Je crois qu'elle cri, dans un premier temps, puis qu'elle ordonne à Nader de lâcher la louve. Mais mon ordre implicite est bien plus fort. Elle essaye de s'approcher du loup, cependant le corps de son fils lui barre la route. C'est peut-être les premières paroles que je parviens à distinguer correctement, au milieu de la rage qui pulse dans mes tempes.

- Tu n'as pas quelque chose à me dire ? Comme le nom de famille de Sheila, par exemple.

La visage de cette femme blanchit à vue d'œil, sous le regard inquisiteur de son fils. J'ai l'impression qu'elle hésite pendant un moment à nier, à trouver des excuses. Mais à quoi bon ? Elle finit par se dire que cela ne vaut pas le coup. Alors elle tente de garder la tête haute, et de conserver le peu d'honneur qu'il lui reste.

Elle n'a pas besoin de tout expliquer. Le déroulé des évènements devient limpide. Elle a fait en sorte que Negin soit devant le club, ce jour là. Que nous la trouvions et cherchions à la ramener avec nous. Je me demande quand même si elle l'avait prévenu qu'elle mettait en scène une agression, tant son jeu d'actrice était de haut niveau. Pour berner des êtres aux sens sur-développés, il faut avoir du talent.

- Et alors quoi ? C'est la sœur de Sheila. Elle est de bonne famille, a de bonnes manières. Elle serait parfaite dans le rôle de ton épouse.

- De bonne famille ? Sa famille a été mise en exil pour haut crime.

Sa mère se pince les lèvres un instant, et pendant ce bref moment, je vois en elle un peu d'humanité. Elle n'a pas l'air d'apprécier le traitement que ce couple a réservé à son enfant. Peut-être n'est-elle pas si affreuse. Je ne dirais pas qu'elle est une bonne mère. Mais elle en est une, contrairement, à ce que j'ai pensé être la mienne pendant des siècles. Alors je suppose que l'idée de torturer sa propre chair la débecte.

Cependant, son aversion pour ce qu'ils ont fait est plus faible que celle qu'elle ressent pour moi. Elle n'a pas besoin de le dire pour nous le faire comprendre. Il lui suffit d'un regard sur ma personne. Elle préfère la fille de loups en exil pour avoir torturé leur aînée, plutôt qu'une vampire. Plutôt que moi.

Ça ne me touche pas. Son avis et son regard sur moi n'ont pas la moindre importance. Surtout pas en ce moment.

Un couinement lui fait reporter son attention sur Nader et Negin toujours dans la même position.

- Lâche-la maintenant !

Il ne bouge pas d'un pouce. Ce n'est pas son ordre, qu'il attend. Mais le mien.

Je hoche imperceptiblement la tête et la prise du loup se desserre suffisamment pour qu'elle s'en échappe. Elle file à toute vitesse vers son seul allié dans la pièce, avant que ma main sur son bras ne l'arrête et la ramène vers moi.

- Je ne veux plus jamais te voir.

Ce n'est pas un ordre, c'est un avertissement. Une promesse que je ne retiendrais plus ma colère si elle ose interférer une nouvelle fois dans nos vies.

La mère de Cyrus a un hoquet de stupeur, mais elle ne dit rien sur l'instant, tandis que la louve se réfugie derrière elle. C'est ensuite sur la plus vieille, que mon regard se pose.

- Hors de ma vue.

- Je suis chez moi.

Oui, elle l'est. Mais à l'instant, je suis incapable de rester dans la même pièce que cette femme sans que cela ne se termine en bain de sang. Et il est hors de question que je m'éloigne d'un pas de plus de l'endroit où se trouve Maï. Alors elle va quitter cette pièce, ou je ne réponds plus de moi.

Mon pouvoir se déploie et alourdit l'air, encore plus qu'il ne l'était.

Cette démonstration de force la fait frémir, et lui déplaît. Elle avance d'un pas, sûrement pour me dire que je n'ai pas d'ordre à lui donner. Son avancée est stoppée par un grognement. Elle pose son regard sur Ramin et semble hésiter. Il n'hésitera pas, lui. Elle le sait pertinemment. Elle semble se rendre compte de sa position. Dans une pièce, entourée de loups. Je suis la dominante. Si elle fait mine de me toucher, elle risque gros. Elle risque la vie.

Le bon sens prend visiblement le dessus, car elle attrape la louve par le poignet et sort de la pièce. Elle lance dans le vent un « on en reparlera », auquel son fils ne répond pas. Il n'a pas l'intention de revenir là-dessus. Negin n'a aucune chance. Encore moins maintenant que sa filiation a été révélée.


Si la colère est encore là, le tic sonore de l'horloge me fait prendre conscience du temps qui s'allonge sans nouvelles de ma sœur. Je fais les cents pas un moment. Puis mes forces semblent me quitter au fur et à mesure que l'angoisse reprend sa place. Je m'affale dans un des canapés. Je ne m'étonne pas de Tala qui vient se coller contre mon flanc gauche, et Ramin qui suit le mouvement de l'autre côté. Je le suis un peu plus de Nader qui s'assoit devant moi, et s'appuie contre mes jambes, la joue reposant contre ma cuisse.

Là, malgré les milliers de sentiments négatifs qui m'assaillent, cette bulle qu'ils créent autour de moi me fait du bien.

Arman n'arrête pas de marcher lui. Il en semble incapable. Emna et Jeiran se collent dans un fauteuil et Cyrus s'assoit en face de moi. Son regard ne me quitte pas, comme si il veillait à ce que je ne craque pas.

Je ne suis pas encore sur ce fil suspendu au-dessus du vide. Je le regarde encore avant de m'y engager.

Je grogne, n'en pouvant plus de la trotteuse de cette horloge. Si j'avais un couteau sur moi, il serait profondément planté dessus, afin de m'assurer qu'elle ne fasse plus le moindre bruit. Tout me dérange. Ce tic tac, le vent qui entraîne le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux, par delà les fenêtres. Tout m'angoisse, parce que le seul bruit que je veux entendre, c'est la voix du médecin lorsqu'il me dira « elle est sauvée ». Je refuse de l'entendre dire quoi que ce soit d'autres.

Une heure.

Deux heures.

Quatre heures.

C'est précisément au bout de 4 heures, 47 minutes et 29 secondes, que les portes de la section infirmerie s'ouvrent sur le chirurgien en chef. Je ne me lève pas. Je ne me précipite pas sur lui. J'ai la sensation qu'il faut que je reste assise. Alors même que je sens à peine mes membres après tout ce temps sans bouger, alors que l'impatience de savoir ce qu'il en est transperce mon cœur, j'attends. J'attends en silence qu'il l'annonce. 

- Elle est vivante.

C'est un poids qui se retire de mon cœur. Une tension qui se dénoue. Pourtant je ne dis rien. Parce que je sais qu'il a autre chose à annoncer.

- Cependant... nous avons dû amputer sa jambe.

Un bruit assourdissant retentit dans la pièce jusqu'à lors silencieuse. Le poing d'Arman reste imprimé sur le mur de brique, tandis que du sang coule de ses phalanges.

Moi je ne bouge pas. Je voudrais frapper dans un mur, moi aussi. J'en suis incapable. J'ai l'impression de ne pas pouvoir bouger d'un pouce. Je ne sais même pas comment je parviens à respirer, tant tout me paraît compliqué.

Amputer sa jambe. Maï a perdu sa jambe. L'information tourne dans mon esprit sans que je ne parvienne à l'assimiler. J'aurai dû m'en douter. Mais j'ai l'impression d'avoir complètement occulté cette possibilité, ces dernières heures. Vivre ou mourir, voilà les seules options que j'ai envisagé. Vivre en ayant perdu une partie d'elle-même... j'ai le sentiment que c'est une situation encore plus difficile.

C'est Nader, qui se lève à ma place. Il m'attrape les mains et me tire. Je ne sais pas comment je parviens à tenir sur mes jambes et marcher, pourtant, il arrive à m'entraîner derrière lui. Une première série de portes, puis une autre, et une dernière. Une petite pièce, plutôt sombre, avec une grande vitre. Il me place devant, et sans un mot, il sort.

J'aurai voulu qu'il reste. Mais j'avais besoin qu'il parte.

Mes yeux se posent d'abord sur les machines. Elles clignotent, elles font du bruit, semblent toutes plus compliquées les unes que les autres. Puis ils dérivent sur les tuyaux, les fils.

Viennent se poser sur son visage, ses yeux clos, l'énorme tuyau qui entre dans sa bouche. Elle est encore intubée, encore inconsciente.

Et enfin ils descendent. Le drap cache ses jambes. Pourtant je le vois. Ce vide, là où elle devrait se trouver.

Une larme roule sur ma joue, et je visualise encore le fil suspendu. Au lieu d'y marcher, je m'effondre directement dans ce ravin. Celui du désespoir. Et la culpabilité.   

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Je ne l'ai pas tuée, alors ne m'en voulez pas trop de lui prendre une jambe x)

Si Negin n'est pas le traitre... alors qui ? Des idées ? 

La suite dimanche prochain, 

Kiss :*

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