Chapitre 58

 PDV Cyrus

- Il faut qu'on parle.

Mains sur les hanches, Shadow nous regarde avec un air sérieux qui en ferai frémir plus d'un. Moi, je reste médusé devant son arrivée. Je m'attendais bien à ce qu'elle débarque dans le bureau de mon père dès que le jour aurait pointé le bout de son nez, mais je n'aurai pas parié qu'elle se contenterait d'ouvrir la porte à la volée et d'interrompre la discussion en cours sans en avoir quelque chose à faire. Y a-t-il une autre personne qu'elle qui oserait s'imposer de cette façon chez l'Alpha des alphas, sans trembler un instant ?

Je m'étonne presque d'être étonné. Je pense pouvoir dire sans me tromper que je la connais, maintenant. Ce bout de femme, quoi qu'elle ne peut pas être qualifiée de cette façon, a le plus fort caractère que j'ai rencontré jusqu'à présent. A part le mien. Et c'est sûrement pour cela qu'elle fait naître tant de ressentiments en moi.

La tête haute, elle s'avance dans la pièce et s'assoit dans le fauteuil à côté du mien, face à mon père. Les bras croisés, elle soutient le regard de l'homme le plus puissant de mon peuple. Est-ce parce que son père est au niveau du mien qu'elle ne craint pas un instant sa réaction ? Elle ne détourne pas le regard un instant et ne semble pas déstabilisée le moins du monde. Et si je ne sentais pas à quel point elle est sérieuse dans sa démarche, j'aurai attiré son attention sur moi, juste pour le plaisir de la contempler un peu plus. Parce qu'il faut dire qu'elle est sacrément attirante, lorsqu'elle affiche ce comportement.

- Il est d'usage de dire que ce genre de phrase n'est pas de bonne augure pour un homme.

Je dirige mon regard vers mon géniteur qui affiche une moue amusée. Et je crois pouvoir dire que si n'importe qui d'autre avait ce genre de comportement en face de lui, il l'aurait remis comme il se doit à sa place. Pourtant, il n'en fait rien. Au contraire, la situation semble lui plaire, d'une certaine façon. Je n'ai pas besoin qu'il en dise plus pour comprendre qu'il apprécie Shadow. Et bizarrement, j'aime me rendre compte de ce point.

- La tournure de la discussion vous dira si elle est de bonne augure ou non.

La menace est à peine voilée, et pourtant, elle ne tire qu'un rictus à mon père. Elle l'amuse, elle lui plaît. Pas dans un sens charnel ou autre, mais en tant que personne. Et je comprends aisément ce qu'il aime chez elle. Parce que c'est exactement ce que j'aime aussi. Cette audace, cette force de caractère, c'est sûrement ce qui m'a attiré en premier vers elle. Et ce qui me retient, bien que je n'ai aucune envie de m'éloigner.

- De quoi voulez-vous parler, Mademoiselle ?

Elle tourne un instant ses yeux vers moi, cherchant visiblement à savoir si je l'ai déjà mis au courant de la situation. Évidemment, il sait déjà tout ce qu'il y a à savoir, et elle semble le comprendre sans me poser la question. Comme si elle était dans mon esprit, capable de comprendre ce que je pense.

Cela ne m'étonnerait même pas, si c'était le cas.

- Je pense que vous savez exactement ce qui m'amène ici.

- En effet. Je n'ai pas pu me rendre auprès de cette jeune louve afin de vérifier son état. Comment va-t-elle ?

Un petit rire amer franchit la barrière de ses lèvres, presque dédaigneuse. Elle ose tout, face à un homme auprès duquel personne n'ose jamais rien. Et ce courage peut-être un peu fou accroît encore un peu plus l'intérêt que je lui porte, moi qui pensait qu'on ne pouvait pas faire plus.

- Comme quelqu'un qui a été torturée, défigurée à l'argent, et laissée pour morte par ses propres parents, à cause d'une orientation sexuelle. A votre avis, ça va comment ?

La réponse est claire, elle trouve la question de mon père stupide, et le fait bien comprendre. Et une nouvelle fois, étonnement, il ne trouve rien à y redire. J'ai presque l'impression qu'il la teste. Il semble vouloir saisir toute l'étendue de son caractère. Parce que je sais mon père révolté contre ce qui a pu arriver à Sheila. Jamais il ne tolérerait ce genre d'acte. Alors je doute qu'il pose ce genre de question idiote sans arrière pensée.

- Vous êtes très honnête.

- Je suis surtout en train de me retenir d'aller rendre une petite visite à un certain couple de loups. Et je pense que ma réputation me précède, alors nous devrions rapidement statuer sur leur sort avant que je ne prenne les choses en main.

Sans pouvoir me retenir, je grogne, laissant ma nature animale parler pour moi. Moi aussi, coule dans mes veines cette envie de faire justice par le sang. Avec mes griffes et mes crocs.

- Il est évident que ce genre de punition serait salvatrice, en revanche je doute qu'elle ne soit la plus efficace.

Je me doutais bien qu'il avait déjà statué sur leurs sorts, cependant je ne vois pas de quelle punition il peut parler. Je me décide à lui demander ce qui pourrait être pire qu'un châtiment incluant du sang, des cris et de la douleur.

- Qu'as-tu en tête ?

- Ces gens s'intéressent bien plus à leur statut et leur honneur qu'à leur intégrité physique. Ils vont être jugés traites au peuple lupin et destitués de leurs rangs de noblesse. Pour finir, ils seront mis en exil par leur alpha et contraint de vivre seuls, loin de leur meute. Cette déchéance leur causera une douleur psychologique bien plus dévastatrice que n'importe quelle torture.

Avant que Shadow n'ait pu ouvrir la bouche, comme si il s'attendait à ce qu'elle réplique, il la fixe et continu.

- Et si vous voulez une douleur physique, vous n'êtes pas sans savoir que rompre les liens entre des loups et leur meute est affreusement douloureux. C'est en quelques sortes double peine, pour eux.

Elle affiche pendant quelques secondes un petit sourire satisfait, avant de hocher la tête. Le jugement de mon père me semble plutôt bon. Et bien plus réfléchie que mon envie d'aller tout simplement leur arracher les membres un à un. Dire qu'il va falloir que je prenne ce genre de décision un jour. Il serait bon que je parvienne à mettre de côté mon impulsivité avant cela.

Mais alors que je la pensais satisfaite, Yuki m'étonne en en demandant plus.

- Ce n'est pas suffisant.

Mon père paraît étonné un instant, avant de l'enjoindre à exprimer le fond de sa pensée.

- Il est évident que ces loups doivent être punis, en revanche, vous n'apportez aucune solution concrète pour Sheila. Elle ne peut pas simplement rentrer chez elle, là où elle a vécue tant d'horreur.

- Une nouvelle demeure peut lui être allouée.

- Non. Ce n'est pas ce dont elle a besoin.

Le chef de mon peuple affiche un visage intrigué, mais toujours amusé, en un sens. Décidément, il doit vraiment l'apprécier pour la laisser se comporter de cette façon. Parce qu'elle n'est pas en train de proposer une solution, elle l'impose, et sans la moindre hésitation.

Si cette ténacité n'est pas nouvelle, je la découvre dans toute sa splendeur, et je ne peux que la trouver incroyable. J'adore la voir tenir tête de cette façon, et s'imposer là où on ne l'attend pas.

- Dîtes m'en plus.

- Elle doit s'éloigner d'ici au moins pour un moment. Et il se trouve qu'elle aimerait découvrir la vie étudiante. Je souhaite que vous l'inscriviez dans une université, dans la filière de son choix. Il va de soi qu'il faudra également lui trouver un logement, et subvenir à ses besoins jusqu'à ce qu'elle soit capable de le faire d'elle-même.

- Est-ce une demande de votre part, ou un ordre ?

- Prenez cela comme vous voulez.

J'écarquille les yeux tandis que mon père s'esclaffe un instant et se laisse tomber en arrière sur son fauteuil.

- Vous êtes vraiment très intéressante Mademoiselle. Soit, je vous laisse annoncer à la jeune Sheila qu'elle peut choisir où elle veut étudier, et quoi. Nous organiserons son inscription dans la semaine.

Le visage satisfait de la jeune femme ne m'échappe pas et m'amuse grandement. Je retiens un sourire, ce que mon père ne fait pas. Je ne l'ai jamais vu aussi démonstratif. Il finit par reprendre son sérieux, et je sais déjà de quoi il compte nous parler.

- Parait-il que vous êtes parvenu à obtenir des informations précieuses du prisonnier ?

Je laisse la vampire répondre, puisque cette avancée lui ai entièrement dû. Si nous avions su que notre prisonnier craindrait tant ses pouvoirs, nous les aurions obtenus bien plus vite d'ailleurs. Qui aurait cru qu'il craigne plus la glace que la douleur ? Mais au fond, ce n'est pas la glace qui l'inquiétait, mais bien la dimension magique. Il n'avait jamais dû rencontrer un vampire possédant un tel don, puisque la magie est rare.

- Le mont Adams... Un terrain compliqué. Une idée de comment vous y prendre ?

- La stratégie est en cours. Les mouvements de ronde ont été étudié, un point stratégique trouvé. Il nous reste quelques détails à régler. Le soucis avec Sheila nous a pris un certain temps, mais nous devrions boucler tout ça d'ici deux ou trois jours, maximum.

Il semble plutôt content de ce que je viens de lui apprendre.

- Bien, dans ce cas, organisons une Réunion avec le Conseil.

Je hausse les sourcils, pas vraiment certain d'en comprendre l'intérêt. Il répond à ma question silencieuse rapidement.

- C'est une grosse opération, qui plus est sur un territoire dont s'occupe les humains. Il faut les prévenir. Et ils seront ravis de savoir que nous sommes presque venu à bout de ces rebelles. C'est le fruit d'un effort collectif. Il est donc censé que tous en soit informés. Vous devez être là pour donner aux dirigeants les informations pratiques que vous allez mettre en place ces prochains jours.

Si il a bien une chose que je n'apprécie pas, c'est la politique. J'essaye d'éviter de me dire qu'un jour je vais devoir concilier comme mon père, lorsque je prendrais sa place. Je pense encore bien trop comme un soldat pour l'instant. L'avantage c'est que le vampire avec lequel j'aurai à traiter, je le connais. Très bien même.

Enfin, évidemment, il faudra que nous soyons encore en vie, pour ça. Un point dont je ne suis pas encore certain.

- Vous pourriez emmener tout le monde. Ils n'assisteraient pas à la réunion, mais je suppose qu'un petit moment à flâner dans la capitale, pourquoi pas y rester pour la soirée, pourrait faire du bien aux troupes.

Nous entendons la dernière proposition mais ne répondons rien. C'est un point à réfléchir. Nous nous accordons pour placer cette entrevue d'ici trois jours, et nous finissons par quitter la pièce tous les deux.

Pourtant, elle s'arrête dans l'entrebâillement de la porte, et je me fais m'étouffer avec ma salive alors qu'elle se tourne à moitié vers mon père.

- Il faudrait aussi constituer une petite garde-robe, pour Sheila.

Elle ne lui laisse pas le temps de répondre que déjà, elle s'avance dans le couloir, et la porte se referme sur un rire de l'Alpha. Décidément, cette fille n'a aucune limite. Et j'adore ça.

Après quelques mètres dans le corridor je ne peux m'empêcher de la chercher un peu.

- Tu ne recules devant rien toi.

Elle hausse un sourcil dans ma direction, gardant cette assurance qui me rend fou.

- C'est maintenant que tu le remarques ? Je m'inquiète de ta vision, loup.

- Je vois parfaitement. En particulier ce que j'ai en face de moi.

Elle s'arrête de marcher et se tourne vers moi, affichant un sourire que j'aime particulièrement.

- Le bout de ce couloir ?

J'avance d'un pas, vers elle, mais elle ne bouge pas, laissant nos corps se frôler. Elle lève légèrement le visage, pour combler les quelques centimètres qui nous séparent, et plonger ses yeux dans les miens.

- Deux jumelles particulièrement attirantes qui se trouvent dans ce couloir.

Pour lui faire comprendre de quoi je parle, mon pouce passe doucement sur ses lèvres, et je me délecte de l'étincelle qui s'allume dans son regard. C'est comme si j'avais appuyé sur un interrupteur, et je suis dans le même état.

Je m'intéresse particulièrement à sa respiration, à la mienne, qui s'affolent, se mélangent, et disent tout ce que nous ressentons. Comment pourrais-je rester indifférent lorsqu'elle agit de cette manière devant moi ?

- Hé, vous vous bécoterez plus tard, on vous attend pour parler de l'attaque.

Nos visages se détournent en même temps vers l'origine de la voix, pour trouver un Ramin mort de rire à quelques mètres de là.

Saleté de loup.

Il disparaît bien vite sous mon regard noir sans s'arrêter pour autant de rire. Et avant que je n'ai réagit, elle m'a déjà glissée entre les doigts.

Elle s'avance dans le couloir en riant, mais j'entends très bien la promesse qu'elle me murmure tout bas.

- On continuera cette discussion plus tard, mon loup.   

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Prochain chapitre en fin de soirée :)

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