Chapitre 56

PDV Cyrus

Étonnement, stupéfaction, inquiétude, il y a une multitude de sentiments qui se sont entrechoqués en moi quand j'ai vu Ramin sortir de la forêt avec Sheila entre les bras. Je ne ressentais rien de particulier pour cette louve. Ce n'est pas une camarade, une amie, ni quoi que ce soit d'autres. Mais je ne peux pas la voir dans cet état et ne rien ressentir. Et puis il y a eu l'incompréhension, et le besoin de savoir ce qu'il lui était arrivé.

Les Sancoeurs ? Non, Yuki aurait rameuté tout le monde sur leurs traces. Si elle a choisi de la ramener sans rien dire, c'est que les coupables étaient bien plus près. Bien trop près.

Colère. C'est la dernière émotions qui m'a traversé. Alors que Tala s'affairait depuis près d'une heure pour soigner tout ce qu'elle pouvait, Yuki m'a expliqué la cause du problème.

J'ai dû me retenir de tout retourner. J'ai serré mes poings avec tant de force que ma paume en est encore douloureuse. Une rage folle m'a envahie. D'abord parce que je ne conçois pas qu'on puisse faire ce genre de chose à sa progéniture. Ensuite parce que d'un côté, je me sens fautif.

Je ne devrais pas. J'ai beau savoir que ses parents sont suffisamment conservateurs pour chercher à la marier de force, qui pourrait imaginer qu'ils la défigureraient ? Pour avoir refusé de m'épouser, pour avoir osé dire ce qu'elle voulait vraiment dans sa vie... rien qui ne puisse justifier un tel acharnement.

C'est monstrueux, et je pèse mes mots. Ils ne l'ont pas giflée, mise dehors, insultée. Non, ils l'ont torturée, pendant de longues heures, ils l'ont frappée, coupée, brûlée. Défigurée. Ce sont des actes innommables. J'ai déjà torturé. Des ennemis. Des Sancoeurs, des personnes affreuses. Mais jamais des innocents. Jamais une personne dont le seul crime est d'aimer différemment de vieilles traditions obsolètes.

Je voudrais me pointer chez eux, et leurs faire endurer le même supplice. Ils le mériteraient bien, et je crois qu'une certaine vampire serait prête à m'accompagner. Mais je ne peux pas faire ça. C'est à mon père de choisir comment les châtier. Et si ce dernier était présent, j'aurai réglé ce soucis il y a bien longtemps. Mais je vais devoir attendre qu'il revienne demain de l'une de ses longues réunions, et je dois dire que patienter dans ce genre de situation ne me plaît guère.

Je les imagine, tranquillement dans leur canapé, inquiétés de rien. Ils devraient déjà être en train de souffrir, et pas qu'un peu. Plus les heures passent et plus il devient difficile d'attendre sans rien faire. Au moins, Shadow a de quoi s'occuper l'esprit. Elle a ramené Sheila chez elle, avec Maï et Tala.

Moi je me retrouve à errer et à ne rien pouvoir faire d'autre que de ruminer. Son visage brûlé apparaît dans mes pensées. C'est d'une telle violence, ce qu'elle a vécu. Et j'ai mal au cœur pour cette louve innocente qui s'est simplement retrouvé au milieu de nos histoires. Si ma mère n'avait jamais essayé de me marier à elle, et si je n'avais pas refusé, elle n'aurait pas été dans une telle situation. Mais je suppose qu'il est facile de refaire le monde avec des si.

J'avance dans la pénombre avant de distinguer une silhouette seule, un peu plus loin. Je l'observe pendant un moment avant de me décider à m'approcher, et en silence, je m'assois à côté de lui. J'attends qu'il se décide à parler, car je sens qu'il a un poids sur le cœur. Après tout, c'est mon loup. Un loup toujours joyeux, mais qui semble pour le moins malheureux, en cet instant.

- Je ne devrais pas venir avec vous.

Jeiran ne me regarde même pas. J'entends sa peine dans sa voix. Mais aussi une pointe de colère. Et je commence à saisir pourquoi, avant même qu'il ne se décide à m'en dire plus.

- Dans mon état, je ne serais qu'une gêne pour cette mission.

- Ta blessure est parfaitement refermée.

Il secoue la tête comme si je disais la plus grosse des absurdités. Et pourtant. Les jours passent, et si il gardera à jamais des séquelles, on ne peut nier qu'il est guéri.

- J'ai perdu un œil, Cyrus. Je suis amputé de la moitié de mon champ de vision. Je ne pourrais jamais me battre comme avant, dans cet état. Je ne suis plus qu'un poids. Et si vous devez passer votre temps à prendre soin de moi, nous risquons de tout faire foirer. Par ma faute.

- Et donc ? Tu veux rester ici ? A ce que j'ai vu, tu es tout à fait en mesure de participer à cette mission.

- Tu me surestimes. Comme Emna.

Je tique quand il baisse la tête en prononçant son prénom. Alors le problème se trouve là, en réalité.

- Qu'a-t-elle dit ?

- Comme toi. Que j'en étais capable, que je me dévalorisais... mais vous ne comprenez pas.

- Je crois que tu ne comprends pas. Tu ne vois pas ce que nous voyons.

- Et qu'est-ce que vous voyez ?

- Toi. Jeiran. Le même qu'avant. Peu importe que tu es perdu un œil, tu restes mon loup. Tu restes son compagnon. Et je ne laisse pas mes amis sur le banc de touche. Pas parce qu'ils ont peur de ne pas réussir à protéger les autres.

Il relève le visage vers moi, surpris. Pensait-il que je ne le comprendrais pas ? Ce qui l'inquiète, ce n'est pas de ne pas réussir à se battre. Il en est capable et il le sait. Mais il a peur, peur de ne pas parvenir à nous protéger. A la protéger elle.

- Emna n'est pas en sucre. C'est une battante, autant que toi. Elle n'a pas besoin de ta protection, mais de ton soutien. Alors ça suffit. Tu vas venir avec nous, tu vas gagner avec nous. Tu en es largement capable.

- Comment tu peux en être sûr ?

- Je suis ton alpha, et ton ami. Peut-être qu'en ce moment tu n'arrives plus à voir ta valeur, mais pour moi rien n'a changé.

Il m'offre un sourire, et je lui tape sur l'épaule, avant de lui faire signe de venir contre moi. Nous nous faisons une accolade, et si il ne le dit pas de vive voix, je sais qu'il me remercie pour mes mots. Je ne suis pas dupe, et je sais que je ne suis pas parvenu à le convaincre totalement. Mais pour cette fois au moins, j'ai pu faire taire ses doutes. C'est déjà ça.

- Moi aussi je veux un câlin !

Je ris et me détache de mon loup pour me tourner vers Arman qui s'approche de nous.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas collé aux basques de Maï ?

Il me fait une grimace déçue, et nous rions quand il nous annonce qu'elle l'a virée de chez elle, pour une « soirée filles ».

- Ce n'est pas drôle ! D'ailleurs vu la tête d'Emna, tu ne devrais pas rire Jei'. Tu vas dormir sur le canapé pendant un moment.

Le concerné arrête de rire et grimace aussi. Fier de son effet, Arman affiche un petit sourire, et nous nous appuyons tous contre un muret. C'est Jeiran qui se décide à briser le nouveau silence installé entre nous.

- Qui aurait cru que tu tomberais sous le charme d'une vampire ?

Arman lève les yeux au ciel, mais ne trouve rien à y redire. En même temps, il s'est accroché à elle comme si il était aimanté dès le jour où il l'a vu. Je n'ai jamais vu mon meilleur ami chamboulé de cette façon durant toutes les décennies passées ensemble. C'est pour dire.

- Pourquoi elle ?

Il hausse les épaules mais ne réfléchit pas longtemps à la réponse.

- Il n'y a pas de raisons particulières. Je l'ai juste senti.

- Comme c'est mignon.

- La ferme, Jei'. Tu sais très bien de quoi je parle, depuis le temps que tu es avec Emna.

Il affiche un sourire triste. Je suppose qu'il est conscient qu'il va devoir présenter des excuses rapidement, car la louve n'est pas la plus calme de toute. Autant dire que son caractère n'est pas le plus facile à gérer. Arman laisse peser le silence mais je sais que quelque chose le tracasse. J'attends patiemment qu'il se décide à en parler, et je sens que son interrogation pourrait étrangement être la mienne.

- Une vampire et un loup. Est-ce que cela peut vraiment marcher ?

Je hausse les épaules tout en lui répondant. Mais est-ce que je lui réponds vraiment à lui, ou bien à moi-même ?

- Je suppose que l'important se situe plus au niveau de la personne, plutôt que de l'espèce. De toute façon, si je te disais de t'éloigner d'elle, est-ce que tu le ferais ?

- Certainement pas !

De la rage dans sa voix, l'espace d'un instant seulement. C'est son cœur qui me répond, en colère à l'idée que je puisse chercher à lui imposer une séparation. Je ne le ferais pas. Non, parce que je sais ce que cela fait, d'imaginer être séparé de celle que l'on veut. Parce que je me mets en rogne rien que de penser à Shadow qui partirait. Je la veux. Je ne sais pas encore vraiment si c'est moi, ou bien la force divine qui m'oblige à le penser et à le ressentir. Quoi qu'au fond, je sais que c'est réel.

- Calme-toi, je ne le ferais pas. Mais toi, tu vas faire quoi ? Vous allez continuer longtemps à jouer les idiots qui se regardent et se tournent autour sans rien faire ?

- Qui te dit que nous n'avons rien fait ?

- Un bisou il y a plus d'une semaine ne compte pas. Tu es trop timide pour officialiser ?

- Attends, attends, tu as embrassé Maï ?

Arman se tourne vers Jeiran, blasé.

- C'est si étonnant ?

Pour toute réponse le loup ricane, et se reçoit un coup dans l'épaule. Il feint une douleur horrible et parvient à me tirer un sourire. Arman peste encore quelques minutes avant de reprendre la conversation, ou plutôt, de tenter de la dévier.

- Et toi, avec Shadow ? Pas besoin de me faire croire qu'il n'y a rien. Outre le fait que vous êtes liés, vos odeurs sont mélangés. Mais quand est-ce que tu l'as désigne comme compagne ?

- Elle est ta dominante, et par extension ma compagne. Pas besoin d'en faire tout un foin. On parle de toi, là.

En vérité, j'ai encore du mal à l'admettre, autant qu'elle je pense. Et c'est bien pour ça que je préfère ne pas en parler plus longuement.

- Nos espèces sont censées se détester. Est-ce normal que ce soit différent pour nous ?

- Pour moi et Yuki, le destin cherche à nous tuer. Vous, il vous met ensemble. Profite-en.

J'en serais presque amer, mais en même temps, je ne souhaiterais jamais à mon ami d'être dans cette situation. Je suis bien content que la seule chose qui puisse le bloquer, c'est une impression de casser les codes. Justement parce que briser une tradition est plus simple que d'aller contre une entité magique.

Arman souffle un bon coup avant de se gratter la tête. C'est comme si la timidité prenait le dessus. Sauf qu'Arman n'est pas un timide, loin de là. Mais cette femme le chamboule, et je serais mal placé pour le charrier là-dessus.

- Je pensais... l'inviter officiellement à un rendez-vous. Un truc romantique, classique. Un cinéma, un dîner, ce genre de truc...

- Et le loup se transforme en canard...

- Ça fait des décennies que tu es un canard Jeiran, alors la ramène pas où je le répète à Em' !

Le concerné lève les mains en signe de reddition mais garde un petit sourire.

Je me décide à donner mon avis sur la question.

- Maï aimerait ça.

Il affiche un petit sourire, mais au fond, je suis sûr qu'il n'en doutait pas. Il doit la connaître mieux que moi, après tout.

- Alors que Yuki préférerait une bonne baston.

Je ne retiens pas mon rire devant sa réplique. Il a tout à fait raison, et après tout ... c'est exactement pour cette raison que je l'aime.

J'ouvre grand les yeux et manque de m'étouffer. Bordel. Qu'est-ce que je viens de penser ?

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Oups, son cœur l'a laissé échapper... va-t-il le reconnaitre ou tenter de se persuader du contraire ? 

A mercredi prochain

Kiss :*

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