Chapitre 53

PDV Yuki

Je ne sais pas comment réagir. Je reste statufiée, incapable de bouger ou d'intervenir. Et ce n'est pas la baffe, qui me fait cet effet, même si cette dernière m'a passablement énervée. C'est sa réaction, ce geste qu'il a fait. J'ai senti la rage monter en lui si vite et je me suis retrouvée bien démunie face à cela. Et la seconde suivante déjà, son corps se retrouvait devant le mien, sa main enserrant le coup de cette femme.

De sa mère.

Et je crois que c'est pile maintenant, avec ce geste, que je comprends notre lien. Que je saisis toute son intensité, et ce qu'il implique. Ce n'est pas juste une attirance entre nous, c'est si fort qu'il serait capable de tuer celle qui l'a mis au monde. Parce que je suis persuadée qu'il pourrait aller jusqu'au bout. Il y a tant de colère en lui. Ses yeux verts deviennent presque noirs, reflétant toute la haine qu'il éprouve. A cause de moi, parce qu'elle m'a touché.

Depuis le temps que je suis ici, jamais je ne l'ai vu dans un état pareil. C'est déstabilisant. Et c'est sûrement pour ça que je me contente de rester là sans bouger. Je vois la peur percer dans le regard de la louve. Parce qu'elle aussi, elle sait qu'il pourrait très bien ne jamais lâcher sa nuque. Elle doit sentir ses doigts qui se resserrent au fil des secondes qui passent.

Elle n'est plus sa mère, à ses yeux. Seulement la femme qui vient de me frapper. Il ne la voit même plus réellement. Je sens le lien qui courre entre lui et moi devenir plus épais, plus vivace. C'est comme un souffle nouveau, qui me permet d'appréhender avec encore plus de précision tout ce qu'il ressent. Et malgré tous ces sentiments négatifs, je ne parviens qu'à trouver ce lien magnifique, qu'à aimer le sentir avec tant de précision.

Je dois être folle. Je devrais seulement essayer de le faire lâcher prise, parce que j'ai beau ne pas porter cette femme dans mon cœur, elle reste sa mère. Comment réagirait-il à l'avenir, si il finissait par la tuer ? Je ne suis pas certaine qu'il s'en remettrait.

Contrairement à moi et ma « mère », je peux sentir l'amour entre eux. Elle n'est pas mauvaise au fond d'elle, seulement complètement ancrée dans ses traditions et son besoin de reconnaissance. C'est un peu comme un enfant battu par ses parents. Plus grand, il y a deux solutions. La plupart d'entre eux refuseront de suivre le même schéma, et d'autre reproduiront leur seul exemple d'éducation. Elle a été forcé à se marier. Elle a vécu sans amour toute sa vie. Elle n'a même pas été reconnu comme Luna. Mais elle a gagné une place de dominante. Et elle ne s'est jamais dit qu'un autre dessein pouvait être meilleur. Pour elle, c'est la seule façon de faire, et elle veut l'imposer à son enfant. 

Je ne hais pas cette femme. J'ai de la peine pour elle, pour ce qu'elle est devenue peut-être malgré elle. Alors même si elle m'horripile à un point inimaginable, depuis que je suis arrivée, je ne souhaite pas qu'elle meurt. Et surtout pas de la main de Cyrus.

Elle tente de lui parler, de le raisonner sûrement, mais sa voix est coupée par la main du loup qui serrent un peu plus sa nuque. Ainsi, il inspire la peur et le danger. Pourtant, je ne le crains pas, au contraire, je le trouve dangereusement attirant. Mais je reste lucide sur la situation qui devient plus que critique.

C'est heureusement l'instant choisi par l'Alpha pour entrer dans la pièce. Je ne doute pas qu'il a dû sentir les choses avant d'arriver, mais il laisse tout de même une expression de stupeur s'afficher sur son visage. Il nous rejoint en quelques pas, et passe son regard sur chacun de nous, s'attardant sur moi. Il doit voir la rougeur de ma joue et probablement le motif de la bague qu'elle porte encore incrusté dans ma peau, car il paraît saisir ce qui nous a mené à la situation actuelle. Il souffle un bon coup, et je ne sais pas si il est blasé du comportement de sa femme, ou de celui de son fils.

- Cyrus, lâche ta mère.

Mais le loup ne bouge pas d'un pouce, et Bahram fronce les sourcils, réitérant sa demande, cette fois-ci en y mettant les formes : c'est un ordre.

Un ordre que son fils se contente purement et simplement d'ignorer. Et Dieu sait comme il est difficile et douloureux d'aller contre ce que son Alpha ordonne. Encore plus quand il s'agit de celui qui gouverne tout le peuple lupin.

Je suis tout autant étonnée que lui, ainsi que le reste des personnes présentes. Pourtant, Cyrus n'a pas l'air d'avoir le moindre mal à aller contre la décision de son père. Au contraire, il renforce la pression sur le coup de la dominante, qui lâche un couinement significatif. Il va falloir qu'il la lâche, et vite.

Ma voix casse le silence pesant sans même que je ne m'en rende compte. Je l'appelle, sans crier, calmement, mais avec suffisamment d'autorité tout de même.

- Cyrus.

Et il m'écoute. Non, il m'entend. Son visage se tourne vers moi, et son regard se plonge dans le mien. Je vois à quel point sa mâchoire est contractée. Ce n'est pas l'homme devant moi, mais le loup. L'animal qui défend son semblable. Sa compagne. Je commence à l'appréhender un peu mieux, à l'intégrer.

- Lâche-la.

Je devrais m'étonner qu'il desserre sa prise jusqu'à complètement la lâcher. Mais au fond, je savais qu'il m'écouterait. Je ne sais même pas pourquoi, et je n'ai pas forcément envie de le savoir. L'important est qu'il m'écoute.

Il se dirige vers moi, et même si la situation est moins préoccupante, je vois qu'il reste plus que tendu. Et que le moindre pas de travers de sa mère pourrait tout faire exploser. Il se pose dans mon dos et entoure son bras autour de ma taille, me collant à lui. Il me revendique. Il défit du regard sa mère qui reste sous le choc de ce qu'il vient de se produire. Saisit-elle qu'il ne s'agit pas juste d'une rébellion, comme elle a aimé l'appeler ?

Bahram n'a pas l'air non plus de savoir comment réagir, mais la première chose qu'il fait, c'est de renvoyer Sheila et sa mère d'où elles viennent. Les deux louves se dirigent vers l'entrée, et je me sens froncer les sourcils quand j'intercepte le regard que lance la plus vieille des deux à sa fille. Il est mauvais, et je ne peux m'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment. Que va-t-il arriver à la louve ?

Je voudrais m'y attarder un peu plus, seulement le souffle lassé de l'Alpha ramène mon attention sur lui. Il se pince l'arrête du nez, avant de se poser son regard sur son fils.

- Je ne vais pas revenir sur ce qui vient de se passer, je crois que tout est dit. Pour ton loup, tu peux le récupérer.

Celle dont je connais maintenant le prénom, Zana, s'avance d'un pas.

- Quoi ? Mais, il m'a attaqué. Il ne peut pas s'en sortir ainsi.

Elle n'est même pas vindicative ou véhémente. Elle semble seulement complètement dépassée. J'aurai presque pitié d'elle.

- Si tu touches à la dominante d'une meute, peu importe ton rang, tu en assumes les conséquences.

- Mais je suis la dominante de la meute suprême.

- Peut-être. Mais tu n'es pas Luna. Ton fils est hiérarchiquement plus haut placé que toi. Par extension, sa compagne également. Il est donc normal que Ramin ait réagi lorsque tu l'as attaquée.

- C'est une vampire, elle ne peut pas être la dominante, peu importe ce lien entre eux. Et puis elle n'était rien encore quand ce loup a agi.

Ses arguments tiennent debout, mais elle les expose sans grande conviction, affligée par ce qu'il vient de se produire. Moi, je ne retiens qu'une seule chose : Ramin va s'en sortir.

- L'espèce n'a aucune importance. Et si en effet le loup t'a attaqué avant l'apparition du lien, ça ne change pas grand-chose. Si tu tiens vraiment à ce qu'il soit puni : soit.

Il se tourne vers nous, vers Cyrus plus particulièrement, et termine la discussion.

- Tu t'occuperas de le punir. Tu n'as qu'à lui faire récurer les toilettes.

Il ne laisse pas sa femme répliquer que déjà, il s'éloigne et quitte la pièce. Cette dernière suit rapidement le mouvement et disparaît, sûrement peu prête à faire face de nouveau à son fils. Je voudrais avoir le temps de plus me réjouir de cette nouvelle, et de savourer ce poids qui se retire de mon cœur. Mais toutes mes pensées se tournent vers le loup qui me tient encore fermement contre lui.

Seuls, il en profite pour me faire pivoter sur moi-même. Sa main vient caresser ma joue, comme si il restait des traces du coup. Je ne sens plus rien depuis longtemps, et une petite baffe ne risque pas de me faire grand mal. Pourtant, je le laisse faire, silencieuse, parce qu'il en a besoin. Ses doigts sur ma peau me chatouillent, me faisant frissonner bien malgré moi.

Son regard vert reste sombre, mais je ne l'en trouve que plus attirant. Sa bouche s'avance et vient se déposer à la place de ses doigts, qui continuent leur chemin dans mon cou. Il me recouvre de baisers, et je le laisse faire, consciente qu'il en a besoin, et savourant en même temps ce contact.

Tous mes doutes s'envolent, au profit de sensations que je ne suis pas capable de réfréner. Il se suspend au-dessus de mes lèvres, avant de les plaquer avec fougue aux siennes. Je lui offre ce dont il a besoin, tout ce dont il a besoin.

Et peut-être que j'en ai autant besoin que lui.


PDV Cyrus

Il y a tant de colère en moi. Je n'arrive pas à la contenir. Tout comme je n'arrive pas à croire que j'étais vraiment sur le point d'ôter la vie à ma mère, pour une simple baffe. Je veux dire, elle peut me casser les couilles à longueur de temps, elle reste la femme qui m'a mise au monde. Si Yuki n'avait pas réussi à m'arrêter... si elle avait gardé le silence, je suis persuadé que rien n'aurait pu m'arrêter. Cela me fait peur, en un sens. Parce que j'ai l'impression de ne plus avoir le contrôle de moi-même, quand il s'agit d'elle.

Et c'est sûrement ce qui m'amène à faire les cents pas en face de mon père, quelques temps après réussi à me détacher de la vampire. J'ai besoin de réponse. J'ai besoin qu'on me rassure sur ce qu'il vient de se produire, et personne n'est plus habilité que mon père pour cela.

- Tu veux bien arrêter de gesticuler ? Assis-toi.

Je grogne, mais j'exécute, cette fois-ci. Encore une chose qui n'est pas sans m'étonner. Je suis allé contre ses ordres, avec tant de facilité. Et il ne semble même pas sans soucier.

- Tu te rends compte de ce que je viens de faire ? Le pire, c'est que je suis tellement en colère que je pourrais recommencer si elle débarquait là maintenant.

- Ce sont tes instincts de loup. Il n'y a rien de plus naturel pour un lupin de vouloir protéger sa compagne.

- C'est un peu extrême tout de même. Un loup reste un loup. M'en prendre à ma mère, et qui plus est refuser tes ordres, ce ne sont pas des comportements naturels.

Il hausse les épaules, et si je n'étais pas déjà en colère, je crois que ce geste m'énerverait un peu plus. Il a l'air si calme et si serein par rapport à tout ça, que s'en est rageant.

Et déstabilisant, ce qui a au moins le mérite de me calmer un peu.

- Vous avez un lien bien plus particulier que de simples partenaires. Je suppose que cela joue énormément.

Un lien dont je commence à saisir vraiment toute l'ampleur maintenant. C'est bien plus gros que ce que j'imaginais, et j'ai l'impression que cela va nous emmener à faire des choses bien plus folles que ce qui vient de se produire.

- D'ailleurs, je ne serais pas étonné que ta mère soit le premier pion que le destin avance. Et pas le dernier.

En y réfléchissant, on peut y trouver une certaine logique. Encore un parallèle avec Roméo et Juliette. Deux génitrices refusant profondément leur lien, et cherchant à les marier à d'autres. Sauf que la mère de Yuki n'est pas sa mère, et que ce pion-ci peut donc être éliminé. La mienne va sûrement arrêter de jouer pour un petit moment, après ce qui vient de se produire. Mais je ne peux m'empêcher de chercher quels pourraient être les autres cartes qu'il utilise. Et là-dessus, mon père a encore un avis bien tranché. A croire qu'il sait tout sur tout, et qu'il attend sciemment pour me donner les informations.

- Les Sancoeurs.

- Tu penses vraiment que le Destin les auraient créé pour nous séparer ? Quitte à ce qu'ils tuent des centaines et des centaines d'innocents au passage ? C'est tordu. 

- Lorsque l'on a ce genre de pouvoir, penses-tu vraiment que l'on s'embarrasse de quelques pertes pour parvenir à nos fins ?

Je laisse ma tête tomber dans le fauteuil. La colère passe au profit de l'incompréhension, et de la lassitude.

- Pourquoi s'acharne-t-il autant ?

- Le Destin n'est pas mauvais. Mais il n'apprécie pas qu'on se mette en travers de son chemin.

- Donc tout ça, ce n'est qu'une question d'ego ?

- Y a-t-il un jour eu une autre raison de batailler que l'ego ?

Au fond, il n'a pas tort. Et c'est peut-être cela le vrai mal qui ronge le monde. J'espère juste qu'il ne finira pas par le détruire.  

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Le prochain chapitre arrive juste après ;)

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