Chapitre 44

 PDV Yuki

J'ouvre la porte en essayant de garder un minimum de force mentale pour ne pas faire demi-tour. J'avoue que quitter cette bulle apaisante dans laquelle nous nous sommes enfermés ces dernières heures n'est pas forcément ce dont j'ai envie maintenant. Mais je ne peux décemment pas rester plus longtemps dans sa chambre. J'ai déjà du mal à saisir ce qui vient de se produire... sans pour autant que je ne regrette quoi que ce soit.

C'est difficile d'exprimer clairement tout ce qui se passe dans ma tête, à ce moment précis. J'ai l'impression d'avoir choisi d'être avec lui dans ce moment intime. Et d'un autre côté, c'est comme si j'avais été contrôlé. Pourtant, je ne peux pas nier que je le voulais. Que je le veux encore. C'est plus fort que moi. Il m'attire comme un aimant, alors même que ce ne devrait pas être le cas. C'est un loup. Et plus encore, c'est un homme. J'ai toujours pensé ne pas avoir besoin d'homme dans ma vie, et je n'ai pas forcément envie que cela change. Cependant, pour une raison abstraite, je n'arrive pas à imaginer retourner à une vie où il n'y est pas. Ou tous ces loups n'y sont pas.

A part ma sœur, mon père, et Mayu, personne n'a trouvé autant d'intérêt à mes yeux que cette meute. C'est une première qui me surprend, et me déstabilise bien plus que je ne veux bien l'admettre. Parce qu'il y a énormément de choses que je ne comprends pas, et être dans le flou de cette façon, je n'apprécie pas. Et pourtant, je ne suis pas autant intriguée que je ne devrais l'être. C'est comme si une voix au fond de moi me soufflait de ne pas m'inquiéter, et que tout ça était normal. J'ai toujours eu tendance à faire confiance à mon instinct, car rarement il m'a trahit. Et encore une fois, je me dis que je dois lui faire confiance.

Mon premier pas dans le couloir est vite coupé par un corps qui se dresse devant moi, avec des yeux qui semblent prêts à me tuer sur place. Je dois avouer que ce n'est pas son visage que j'avais envie de voir maintenant. La mère de Cyrus se décompose en comprenant ce que je faisais dans cette chambre, et se met à hurler un tas de choses insensées. Paroles futiles que je n'ai pas envie d'entendre pour l'instant, alors je la laisse à sa crise et m'éloigne d'elle. Malgré son énervement, elle ne tente pas de m'arrêter, et se contente de continuer à me hurler dessus tandis que je m'éloigne. Je crois qu'elle finit par entrer dans la chambre de son fils, et je le plains presque.

J'ai d'autres pensées à l'esprit, et pas le temps de m'occuper d'une louve qui cherche à asseoir un pouvoir qu'elle n'a pas. Mon corps me porte de lui-même dans l'aile réservée à l'infirmerie, et je pousse sans bruit la porte de celle-ci. Je me retrouve bien vite face au lit sur lequel repose le loup. Son corps est littéralement couvert de bandage, ainsi que l'un de ses yeux. Mais le moniteur laisse chanter un pouls régulier, qui m'enlève un poids du cœur. Il est vivant.

Le regard de sa petite amie, campée sur un banc à côté de lui, se pose sur moi. J'ai presque du mal à le soutenir, moi qui ne suit pourtant pas du genre à baisser les yeux. Mais la culpabilité que j'ai pu mettre de côté en passant toutes ces heures entre les bras du loup me revient de plein fouet. Il est là à cause de moi. Son petit ami est dans cet état par ma faute. Elle ne dit rien, pendant un moment, se contentant de m'observer. J'aimerai pouvoir dire que je comprends tout ce qui se passe dans son regard, mais j'en suis incapable. Et je suis presque soulagée quand elle le repose sur Jeiran.

Sa voix, douce, et fatiguée s'élève alors.

- Les médecins le disent hors de danger. Mais... jamais il ne retrouvera son œil.

Je ne sais pas comment prendre cette nouvelle. Je suis à la fois soulagée de savoir qu'il va se réveiller. Et affreusement impactée de l'imaginer touché à vie pour ma propre erreur.

- Je suis désolée.

C'est sûrement la première fois qu'elle m'entend prononcer ces mots, et je me demande même si j'ai un jour présenté des excuses à quelqu'un. Mais là, j'ai des raisons de le faire. J'en ai besoin. Mais son visage se relève vers moi avec une réelle expression de surprise, qui me déstabilise quelque peu.

- Pourquoi ?

Elle ne semble vraiment pas comprendre, alors je me contente de lui expliquer. Pourquoi je me sens ainsi. J'ai foncé dans un piège en les entraînant avec moi. L'état de Jeiran est ma responsabilité.

- Ce n'est pas toi, la fautive. C'est moi.

Cette fois, c'est à moi de me trouver interrogatrice. Je m'installe sur le banc à côté d'elle, avant de me décider à l'interroger.

- Je me suis déconcentrée un instant, pour m'assurer qu'il allait bien. Un homme en a profité pour projeter un boulet avec une arme un peu particulière. Il contenait des balles, et de l'argent liquide. Jeiran s'est mis devant moi et a tout pris à ma place.

Je comprends le soucis, et me retrouve alors à la rassurer alors que de base, c'est moi qui me sentais coupable. Ce qui n'a pas changé. Une pensée me revient à l'esprit, mais je la garde pour moi. Je m'en doutais. Qu'un jour, l'importance qu'il accordait à l'autre pendant les combats leur porterait préjudice. Parce qu'ils se concentrent trop l'un sur l'autre, et pas assez sur l'adversaire. Ce n'est pas de leur faute. Mais c'est ainsi.

- Tu n'y es pour rien. Si je n'avais pas décidé de foncer dans le tas, il irait bien.

- Et si je n'avais pas regardé ailleurs, il ne serait pas dans cet état.

- Exact. Ce serait toi. Je ne suis pas sûre que l'option soit meilleure.

Elle se pince les lèvres, et baisse la tête. Mon argument a fait mouche. Elle finit par souffler.

- Je pense qu'il ne sert à rien de trouver un coupable. Il y a des choses qui sont censées se produire. Et l'on y peut rien.

Je ne réponds pas. Elle n'a pas tort, en un sens, même si c'est difficile à accepter. Elle baille, laissant échapper sa fatigue et fait tomber sa tête contre mon épaule. Comme si elle cherchait du soutient et du réconfort auprès de moi. Tala l'a fait aussi aujourd'hui... encore une chose que je ne comprends pas. Mais que je n'ai pas envie d'arrêter pour autant. Bientôt, sa respiration s'apaise, jusqu'à devenir régulière et calme. Elle dort, appuyée contre moi, et je me surprends à attraper une couverture au bout du lit pour la poser sur ses épaules, dans un geste protecteur.

Doucement, je la fais basculer, pour qu'elle se retrouve allongée sur le banc, dans une position bien plus confortable, et passe une main absente dans ses cheveux. Son visage est détendu, et je préfère la voir ainsi que de se sentir coupable. J'espère qu'elle va se retirer cette idée de la tête rapidement.

Du mouvement dans le lit me fait relever le visage, et je tombe sur un Jeiran réveillé, qui nous observe. Il semble encore chercher à comprendre tout ce qui lui arrive, alors il garde le silence pendant un bon moment. Et je vois dans ses yeux qu'il se repasse toute la scène, qu'il se remet en mémoire ce qui a pu se produire. Et enfin, il me voit vraiment.

- Elle s'en veut, n'est-ce pas ?

Sa voix est faible. Autant à cause de son état, que pour éviter de la réveiller. Elle a besoin de repos. Plus son esprit que son corps, d'ailleurs.

Je me contente de hocher la tête, et cela semble lui suffire.

- Toi aussi ?

Je laisse glisser un petit sourire sur mes lèvres et lui offre un nouveau hochement de tête.

- Vous faites la paire, toutes les deux. Le seul fautif, c'est le type qui m'a tiré dessus. C'est tout.

C'est facile à entendre. Bien moins à accepter.

- Je crois que je vais mettre un moment avant de m'y faire. Et elle aussi.

Il me fait un sourire, du mieux qu'il peut, et ne me demande même pas des nouvelles de son état. Il ne cherche pas à savoir si son œil va s'en remettre. Il doit savoir que non. Il devrait être sur pied d'ici deux ou trois jours, ses blessures cicatriseront vite, mais les cicatrices seront nombreuses. Et pas seulement physiques.

- Je n'aurai pas dû y aller. Et vous n'auriez pas dû me suivre.

- J'ai choisi de te suivre. Et je le referai, si on devait recommencer.

Mon cœur loupe un battement, alors que nos regards s'accrochent. Ses yeux... enfin son œil, se met à briller. Je ne comprends pas bien ce qui est en train de se produire. C'est comme si un lien se formait entre nous. C'est faible mais... c'est là.

Je me sens lié à lui. Je me sens liée à tous ces loups.

PDV Cyrus

Il brille. Le regard de Jeiran brille alors qu'il fixe la vampire, assisse à côté de lui. Je ne comprends pas bien, ou plutôt, j'ai peur de comprendre ce qui est en train de se produire. Dire que si j'avais passé quelques minutes de plus à écouter les sornettes de ma mère, j'aurai loupé ça. Ils ne m'ont pas vu. Pas entendu. Derrière la porte entre-ouverte, je regarde mon loup afficher clairement son soutient à une femme qu'il connaît à peine. Je le regarde créer un lien avec elle qui ne devrait pas exister.

Un lien que je contribue moi-même à créer, alors que je suis conscient qu'il ne devrait pas être là. Cela ne devrait pas être possible. Je m'écarte de quelques pas en arrière, déboussolé. Je ne sais pas quoi penser.

J'ai besoin qu'on m'aide, et qu'on m'éclaire sur tout ça, alors sans réfléchir, je me dirige vers le bureau de mon père, et me garde bien de frapper. Il me regarde m'avancer vers lui, et doit voir sur mon visage à quel point je suis chamboulé, car il pose les documents qu'il était en train de consulter pour se concentrer sur moi.

- Puis-je savoir ce qui te trouble autant ?

Je me laisse tomber dans un fauteuil et ramène mes mains devant ma bouche. Comment le formuler ? Je ne suis pas sûr qu'il y ait de bonne façon de le faire. Alors je décide de me lancer, tout simplement.

- Mes loups... je pense qu'ils commencent à voir Shadow comme une dominante. Leur dominante.

Il se laisse tomber en arrière dans sa chaise et je ne parviens pas à saisir ce qu'il pense de tout ça.

- Et qu'est-ce qui te fait penser ainsi ?

- Tout. Leurs manières d'agir, leurs regards... aujourd'hui, elle m'a dit avoir senti la douleur de Jeiran. Et le regard de mon loup pour elle... il n'y a rien d'anodin, dans tout ça. Et je ne peux pas dire que je n'y suis pour rien. Moi-même, j'agis avec elle d'une façon que je ne devrais pas.

Il affiche un sourire, et je me sens quelque peu honteux quand il me dit que sur ce dernier point, ma mère lui a déjà parlé d'une interlude dans ma chambre.

- Et pourquoi cela te dérange autant, qu'ils agissent – et toi – ainsi ?

Je fronce les sourcils, trouvant sa réflexion quelque peu étrange. C'est tout de même logique.

- C'est une vampire. Ce n'est pas possible que des loups la considèrent comme leur dominante.

- Je ne suis pas tout à fait d'accord. C'est d'ailleurs ce que j'ai rétorqué à ta mère.

- En quoi ne peux-tu pas être d'accord ?

- Mon fils, si tous les liens avaient une explication rationnelle, alors la vie n'aurait plus rien d'extraordinaire.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Oui, c'est vrai, un lien n'est pas forcément un chose que l'on peut expliquer... mais là, on parle d'espèces différentes, qui se détestent depuis la nuit des temps. En plus de s'entendre, nous nous retrouvons à nous lier à des vampires ? C'est gros, beaucoup trop gros pour que cela soit compréhensible.

Et pourtant... Je ne peux que voir la réalité en face. Il y a bien plus que du respect, entre mes loups et elle. Entre moi et elle.

Et même si je ne parviens pas à m'expliquer cette attirance que j'ai pour elle, je ne parviens pas à y résister.

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Les loups semblent se lier à Yuki de plus en plus... étrange que le père de Cyrus ne réagisse pas. En sait-il plus qu'il ne veut bien le dire ?

A samedi pour la suite, 

Kiss :*

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