Chapitre 26

PDV Yuki

Il n'est pas forcément difficile de comprendre que la louve n'a aucun titre, si ce n'est d'être la femme de l'alpha. Et c'est plutôt étonnant. Rare sont les meutes sans Luna, et l'on parle ici de la meute régnante, la meute suprême. Leur dominante n'en est pas vraiment une, et l'on peut passer outre ses ordres suivant qui l'ont est. La preuve étant que Cyrus peut permettre à ses loups d'aller contre ses décisions. Cette particularité éveille une certaine curiosité en moi, et je pose la question sans vraiment savoir si elle va trouver une réponse. Les affaires de leur meute ne me regardent pas, après tout.

Le regard verdoyant de Cyrus ne quitte pas le mien, et j'avoue ne pas bien comprendre pourquoi j'apprécie ce contact. Ses yeux ont quelque chose d'attirant. Comme si ils étaient aimantés aux miens, car je commence à me dire que nos regards se croisent bien trop souvent. Et me permettent bien trop régulièrement de comprendre ce qu'il pense sans avoir à ce qu'il ne le formule.

Il m'étonne presque, quand il se décide à me répondre, mais je ne vais pas m'en plaindre.

- Mon père n'aime pas ma mère. Bien plus que de parler d'amour avec un grand A. Il la supporte à peine. Il la tolère, tout au plus.

Tolérer ? C'est un mot bien fort pour parler d'un couple. Ils sont pourtant mariés et ont un enfant. N'y a-t-il jamais eu d'amour entre eux, ou celui-ci s'est-il éteint au fil des siècles ? Je n'ai pas besoin de poser la question. Je me contente d'écouter la suite de l'histoire, en gardant le bras au-dessus de l'évier. La plaie commence à se résorber, mais je me surprends à penser que je n'en ai pas envie, car je n'ai pas forcément envie que cette discussion s'arrête.

- Il aimait une femme. Une louve. Mais elle était soumise. Et à l'époque, ce n'était pas acceptable, surtout pour le futur alpha suprême.

Je commence à comprendre ce qui a pu se passer. Mais en même temps, je me dis que l'on n'a pas simplement imposé une épouse à son père. Il aurait fini par développer un minimum de sentiments pour elle. Alors que s'est-il passé ?

- On a voulu lui imposer une louve. Ma mère. Quand deux prétendantes étaient en course, à l'époque, on les départageait par un duel. Un duel à mort.

Je me retiens d'écarquiller les yeux quand je comprends ce que cela signifie. Une bataille à mort. Sa mère a beau ne pas être Luna, elle reste une dominante. Elle n'a dû faire qu'une bouchée de cette femme. Je suis presque amère pour cette jeune femme. Mais aussi pour l'Alpha. Voir mourir son amour. Et épouser celle qui l'a tuée. La sensation doit être horrible. Et je me demande même comment il a réussit à se tenir à ses côtés pendant toutes ces années. Je crois que si on m'enlevait la personne que j'aime -quoi que je n'ai jamais aimé- je tuerais le responsable. Mais lui l'a épousé, et enfanté, tout en vivant depuis des siècles à ses côtés.

- Autant dire qu'il n'a jamais réussit à aimer ma mère. Il a fait son devoir en me créant, puis ne l'a plus jamais touché. Et jamais il ne lui a donné le titre qu'elle attendait. Je crois qu'au fond, la seule femme qui le méritait à ses yeux est partie. Et qu'il se refuse à ce que quelqu'un d'autre ne l'ait.

Cela se tient. Et ne m'étonne pas. Comment aurait-il pu, après tout ? Malgré moi, j'admire cet homme. Respecter son peuple et son devoir au point de s'imposer durant tout ce temps une vie près de la personne qui vous a tout pris.

- Il a fait abolir cette tradition de duel. Et reste profondément contre les mariages arrangés. Ce qui n'est pas pour me déplaire, car j'ai son soutient face à ma mère et son idée de m'imposer Sheila.

Il fait une grimace en prononçant le nom de la louve. Au fond, je me demande si il refuse ce mariage car il est profondément contre le fait de se faire dicter sa vie, ou parce qu'il s'agit de Sheila. Je vois de la colère reprendre petit à petit de la place sur son visage. Repense-t-il encore à ce qui vient de se produire ? J'en suis persuadée. Même si je ne saisis pas bien sa réaction, ou celles de ses loups. Ni pourquoi j'ai aimé qu'ils réagissent tous de cette façon.

- Elle n'est pas méchante.

Il comprend de qui je parle et grimace. Pourtant, il doit bien l'admettre, cette louve n'est en rien une menace, ni un teigne. Elle n'est pas difficile à supporter en soi. Seulement, elle n'est pas au niveau, et apparaît comme un frein.

- Peut-être. Mais elle est soumise.

- Est-ce pour cela que tu refuses de l'épouser ?

Malgré moi, je ne peux m'empêcher de lui poser la question. Parce qu'au fond, je veux qu'il me réponde qu'il veut simplement choisir lui-même. Pas seulement à cause d'un jugement de valeur.

- C'est bien plus que ça. Je n'épouserais pas une personne que l'on m'impose. Mon père me soutient là-dessus : on n'a pas besoin de femme.

Je comprends ce qu'il veut dire, mais j'y vois là l'opportunité parfaite de le piquer, quelque chose que j'aime bien trop faire depuis que je suis arrivée. Et en plus, cela me paraît tout à fait naturel.

- Je dois prendre cela comme une insulte envers mon genre ?

Il lève les yeux au ciel mais doit comprendre ce que je cherche, car un sourire en coin s'affiche sur son visage. Pourquoi est-ce que j'apprécie ce sourire ?

- Non. Femme, ou homme, c'est la même chose, pour moi comme pour l'Alpha. Un ou une partenaire n'est pas essentiel pour être un bon dirigeant.

Je ne peux qu'être d'accord avec lui sur ce point.

- Et tu es plus « un » partenaire ?

Je ne sais pas pourquoi je pose la question. Je voudrais dire que c'est pour le taquiner, mais au fond, j'attends la réponse. C'est étrange, mais j'essaye de ne pas trop chercher d'explications pour l'instant. L'ensemble de mon comportement sur ces derniers jours m'interroge, mais pour le moment, je ne suis pas certaine d'avoir envie de connaître le pourquoi du comment.

- Non.

J'ai envie de sourire en entendant la réponse, malgré moi, alors je me retiens, et décide de dévier la conversation, pour en revenir à Sheila.

- Je ne pense pas que Sheila soit intéressée par toi.

Il hausse un sourcil et me laisse m'expliquer. N'a-t-il vraiment rien remarqué ? J'ai pourtant trouvé ça peu discret.

- Vu les regards qu'elle laisse couler, elle préférerait une partenaire.

Il manque de s'étouffer avec sa salive ce qui me tire un sourire. Alors il n'avait rien vu. Je crois qu'il s'imagine alors la louve entrain de mâter Emna ou Tala et cela est amusant à voir. Il finit par reprendre son sérieux.

- Alors que fait-elle là ? Si elle préfère les femmes, elle ne devrait pas accepter de suivre un potentiel fiancé.

Je lève les yeux au ciel. Tout cela me semble pourtant plutôt évident.

- Je n'ai pas l'impression que ta mère soit très ouverte d'esprit. Et si la sienne accepte un mariage arrangé, ça ne doit pas être le cas non plus. Elle est juste coincée entre sa famille et sa propre vie.

Il pince les lèvres. J'ai l'impression qu'il n'apprécie pas cette situation, et cela me fait plaisir, en un sens. Je n'aurais pas aimé découvrir qu'il refusait l'amour entre deux personnes du même sexe. J'ai beaucoup de mal avec les personnes fermées d'esprit. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles je ne m'entends pas avec ma mère.

- Ton égo en prend t-il un coup ? Elle n'a pas succombé à ton charme, finalement.

Il lève les yeux au ciel et secoue la tête, mais un sourire orne son visage.

- J'ai du charme ?

Je me retrouve prise à mon propre jeu, et je ne sais pas quoi répondre. Pourtant, je ne suis pas du genre à mâcher mes mots, mais il me prend de court. Je pourrais mentir, mais je dois bien l'admettre : il a plus que du charme. Je suppose qu'il fait tourner bien des têtes, et pour une raison que j'ignore, je n'apprécie pas cette constatation.

Je tourne la tête vers mon bras, pour éviter de soutenir son regard. Je l'entends ricaner, quand il comprend qu'il gagne cette manche. Mais il ne gagnera pas la guerre, je le promets. Ma blessure refermée, je retire mon membre de l'évier tandis qu'il continue de me chercher. J'ai l'impression qu'il désire réellement avoir la réponse. Mais je ne compte pas lui la donner.

- Tu as perdu ta langue, Shadow ? Peut-être as-tu succombé à la place de Sheila.

Je n'ai le temps de ne rien dire que la porte s'ouvre à la volée. Je ne sais pas qui de moi ou Cyrus apprécie le moins cette intrusion. Ce loup, que je ne connais pas, débarque ainsi dans l'endroit où je suis censée être chez moi. Mais en voyant son visage, aucun de nous ne dit rien. Il nous regarde tour à tour avant de se décider à parler.

- Il y a un problème avec le prisonnier. Le Sanscoeur.

Je grogne, m'avançant vers la sortie, suivit de l'Alpha. J'ai un mauvais pressentiment qui monte, et je me trompe rarement. Mais cela ne m'empêche pas d'exploser quand arrivée au niveau des cachots, on nous expose le problème en question : il s'est échappé.

Je ne sais pas ce que j'ai le plus envie de faire, entre foutre une raclée aux gardes, ou détruire un mur avec mon poing. Alors je me contente de gueuler un bon coup.

- Vous êtes entrain de nous dire qu'un humain, qui plus est avec le corps quasiment en miette, est parvenu à s'échapper d'une prison souterraine pleine de loups ?!

A côté de moi, Cyrus bouillonne tout autant, et enchaîne à me gueulante.

- Êtes-vous incapables ?! Comment a-t-il ne serait-ce que vous échapper un instant !

Le garde qui lui répond se fait tout petit. Il vaut mieux, sinon je ne parierais pas sur lequel de nous deux lui arrache la tête en premier. Notre seul otage, dans la nature. Déjà qu'il résiste à la torture et ne lâche pas un foutu mot, alors là, c'est la cerise sur le gâteau.

- Cette erreur n'est pas pardonnable, Monsieur. Nous pouvons en revanche vous assurer qu'il se trouve encore dans le camps.

- Et qu'est-ce que vous attendez pour le chercher !? Qu'il est tué quelqu'un ? Bordel !

L'Alpha se dirige au pas de course vers la sortie et je n'ai pas de mal à le suivre. A partir de là, les recherches s'organisent. Tout est fouillé et passé au crible, mais aucune trace de ce foutu rebelle, que ce soit dans les maisons ou dans la forêt. Il est tout simplement introuvable, et je ne vous explique pas l'état de colère dans lequel je suis. Ni celui de Cyrus.

Nous retrouvons les loups que nous avions laissé en entraînement, qui viennent à priori d'apprendre tout juste la nouvelle. Emna nous interroge, mais nous sommes obligés de lui répondre que nous ne trouvons rien. Et ça m'énerve encore plus de l'admettre à voix haute.

- Il reste un lieu que nous n'avons pas fouillé.

Je sais duquel il parle. La maison dans laquelle je réside. Il ne nous reste plus qu'à aller voir dans ce lieu qui reste notre dernière chance, et je ne peux que m'estimer heureuse que Maï ne soit pas là-bas.

Mais à l'instant où cette pensée me traverse l'esprit, je relève la tête vers le groupe et la panique me gagne.

- Où est Maï ?

Ils me regardent tous sans comprendre, sauf peut-être Cyrus qui est le seul à connaître le prénom de ma sœur. Mais là, je ne me soucis pas de leur avoir donné cette information.

- Ma sœur !

Un éclair de surprise passe sur leur visage, et c'est Arman qui est le premier à réagir. Et je décèle de l'inquiétude dans ses yeux qui ne me rassure pas.

- Partie prendre une douche.

Et à cette seule phrase, sans que je ne réfléchisse un instant de plus, je cours.  

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