Chapitre 13

PDV Cyrus

Je ne vois que ses yeux, mais j'y décèle très bien le changement qui s'opère. Tout comme je sens l'air qui se teinte de sa colère. Auparavant indifférente, elle laisse l'énervement monter en elle, et c'est ce que j'attendais. Je veux voir de quoi elle est capable, je veux comprendre qui elle est, comment elle fonctionne. Et la colère est ce qui affiche le mieux le tempérament d'une personne. Surtout une personne comme elle.

En disant cela, à mes loups, je savais qu'elle le prendrait pour elle également. Le but était là. Maintenant, je veux savoir ce qu'elle a à en dire. Et je ne suis pas déçu de la réponse.

- Que les choses soient claires, tu dis à tes subordonnés de la fermer si tu veux, mais je ne suis pas à tes ordres. Alors ce genre de phrase, tu les gardes pour toi.

Je sens la tension dans ses muscles et dans son corps. Elle est chétive, mais n'a pas l'air en manque de force. Une force que je retrouve dans son caractère, et qui m'amuse autant que m'impressionne. J'ai rarement rencontré quelqu'un avec une telle force de caractère. Et je suis sûr que je suis encore loin d'avoir tout vu. Elle a une personnalité particulière. Et particulièrement peu commune. Déjà, une guerrière aussi avisée, d'après les légendes en tout cas, ça ne court pas les rues. Nous avons des louves fortes. Mais pas à un point aussi développé. Alors c'est intrigant. Et je veux savoir où sont les limites de ce caractère.

Alors qu'elle est en colère, qu'elle me fixe pour me faire bien comprendre sa façon de pensée, je me contente d'un petit sourire, content d'avoir obtenu ce que je voulais. J'avance sans un mot vers l'extérieur de la pièce, brisant notre lien visuel, certain qu'elle va comprendre le message. Je vois que c'est le cas quand elle me suit, avec Tensai. Elle ne semble pas prête à laisser l'autre jeune femme seule entourée de loup, et si j'étais elle, cela serait aussi mon cas. Mes loups ne font pas preuve de beaucoup d'hospitalité. Pour le moment, je ne dis rien, et attend de voir comment elle gère les choses. J'interviens seulement quand ils me fatiguent. Et il faut dire que lors de ces deux rencontres, elle a géré sans problème.

Les idiots en question, je leur ordonne par notre lien de rester là. Je n'ai pas envie d'avoir l'un d'eux dans les pattes maintenant, pour qu'ils créent une nouvelle altercation. Je demande à Arman de se charger d'eux, et de s'assurer qu'ils restent en place. Je sais que certains râlent, mais ils obéissent. Il vaut mieux, car je ne suis pas d'humeur à laisser passer leurs conneries. A trop faire les imbéciles, ils font finir par faire capoter cette mission, et en plus d'un échec, je ne pourrais pas obtenir de réponse aux questions que je me pose sur notre invitée. Dans les deux cas, il est hors de question que cela arrive. Il va donc falloir qu'ils se calment un peu, car pour aujourd'hui tout du moins, ils en ont fait assez.

Nous sortons de la maison et avançons sans un mot vers les cachots. La plupart du temps, ils restent vides, nous n'avons pas vraiment d'ennemi. Mais aujourd'hui, l'humain qui s'y tient est coriace.

De ce que j'ai pu voir, il préférera mourir que de parler, et c'est un problème. Devant la grande porte de béton, à laquelle on accède par un escalier s'enfonçant dans le sol, Shadow se retourne vers sa seconde. Elle lui demande de patienter ici, et cette information confirme ce que j'avais en tête. Elle souhaite à tout prix protéger l'autre jeune femme, aussi bien physiquement qu'émotionnellement, si bien que je me demande ce qui les lient. Il me semble que ce soit bien plus qu'un lien professionnel, ou amical.

Je ne dis rien et ne demande rien, me contentant d'attendre qu'elle me fasse comprendre d'un regard que nous pouvons y aller. Je l'entraîne à travers le dédale de couloir sombre, et je ne peux que m'interroger sur ce que cela lui évoque. Cela lui rappelle-t-elle les jours qu'elle a passé enfermée à la solde des enflures que nous avons arrêté ? Si c'est le cas, elle ne montre rien, même pas une bride d'information. Car même si son visage est masqué, ses yeux et son corps reflètent en général plutôt bien ses émotions, d'après ce que j'ai pu voir aujourd'hui tout du moins. Mais cette fois-ci, elle est juste froide, concentrée, rien ne perce cette carapace autour d'elle. Elle n'en paraît que plus impressionnante, un adjectif que j'utilise rarement pour parler d'inconnu. Mais il faut dire les choses, et je ne suis pas du genre à me mentir à moi-même. Ce que je pense d'elle, je vais le garder pour moi en revanche. Déjà parce que mon avis n'est pas complet, et que mes questions sont encore bien trop nombreuses. Ensuite, parce que je ne sais pas quelles réactions cela susciteraient chez mes loups.

Pour l'instant, l'important est de réussir à cohabiter pour mener à bien cette mission. Et surtout que j'arrive à me sortir de la tête ces deux pupilles rouges qui me hantent depuis que je l'ai sorti de ce putain de cachot. Je l'ai déjà dit, je déteste rester dans le flou. Mais je doute qu'elle ne me facilite la tâche, alors il va falloir que je me débrouille pour obtenir ce que je souhaite sans sa coopération. Cela ne va pas être de tout repos, mais je suis résistant. Elle aussi, et cela risque de rendre les choses plus intéressantes.

J'arrête de penser à tout ce qui tourne dans ma tête quand nous arrivons en face de la porte au bout du couloir.

Je pose ma main sur le capteur d'empreinte, car oui, nous ne vivons pas au moyen-âge. Dans la forêt, peut-être, mais la modernisation ne nous a pas échappé. Quand on vit plus de 400 ans sur Terre, la capacité à s'adapter est déterminante pour la survie.

La lourde porte en métal émet un déclic, et s'ouvre devant nous. J'entre en premier, la laissant me suivre. La galanterie n'est pas mon fort, encore moins avec une vampire, et dans un lieu comme celui-ci.

Quand elle aperçoit l'homme attaché, elle ne dit rien, et ne laisse une nouvelle fois rien paraître. Pas de dégoût, en voyant son état peu attrayant, pas de rage, en se rappelant de ce qu'elle a vécue. Je me demande si elle ne ressent vraiment rien, ou si elle est juste très forte pour le masquer.

- Qu'a-t-il dit ?

J'ai peu entendu sa voix, depuis qu'elle est ici, depuis que je l'ai rencontré, en réalité. Je la trouve... particulière. Toute autant teintée de puissance que le reste de son être, mais froide, détachée, comme si elle n'en avait rien à faire de rien. J'ai l'impression que c'est aussi une mascarade, et se rajoute au reste de mes question celle-ci : à quoi cela ressemble-t-il, quand elle ne contrôle pas tout ?

Je regarde l'être endormi devant nous. Les interrogateurs sont passés ce matin, encore, pour tenter de le faire parler. L'état dans lequel il se trouve montre qu'il est résistant.

- Rien. Il n'a rien lâché.

Elle se tourne vers moi avec une pointe de sarcasme dans les yeux.

- Vous ne savez pas faire parler un homme ?

Je réponds à la pique, presque amusé. Elle ne se moque pas, elle me teste. C'est également ce que je fais, alors je ne peux pas lui reprocher.

- Essaye, je t'en pris.

Malgré son masque, je capte un petit sourire, et elle s'approche de la table sur laquelle les loups chargés de sa détention ont laissé leurs jouets. Moi, je recule, venant m'appuyer contre un mur de la pièce. Et j'observe, avide de savoir de quoi elle est capable.

Elle saisit une lame et la pèse, l'observant sur tout du long. Elle la repose et en cherche une autre, encore, avant de s'arrêter quand elle semble avoir trouvé ce qui l'intéresse.

Elle se rapproche de l'homme, et fait craquer ses poignets, ce qui m'amuse, je dois le dire. D'un coup rapide, fort, typique de la force surhumaine que nous possédons, elle lui assigne un revers de la main dans la joue. L'homme se réveille en sursaut, tiré de ses songes par le douleur. Ses yeux vont et viennent dans la pièce, avant de se fixer sur Shadow. Malgré son état, il parvient à sourire, d'un sourire fou caractérisant ces ordures que nous cherchons à arrêter.

- Tiens, la petite vampire.

- On échange les rôles ?

Il lui montre ses dents, et je ne ressens aucune peur en lui. Pourtant ce type est humain. Ses blessures ne guériront pas, il le sait. Mais il s'en fout. Il a mal, mais il est résistant. Comment peut-il ?

Elle laisse la lame qu'elle a choisi courir doucement le long de la jambe du tordu. Cela laisse un filet de sang couler, mais pas bien profond.

- Alors, où sont tes petits copains ?

- Va savoir.

Le couteau s'enfonce alors d'un coup dans son corps, et il ne peut retenir un cri.

- Mauvaise réponse. On réessaye ?

- Va mourir, monstre.

Une deuxième lame, qu'elle avait vraisemblablement bien caché, s'enfonce dans l'autre cuisse.

- Aie, toujours pas. Ton petit cerveau ne comprend pas les questions ?

- J'aime trop passer du temps avec toi pour le gâcher en parlant.

Il la cherche, mais elle ne tombe pas dans le piège. Elle reste neutre, et elle enchaîne les sévices. Elle est méticuleuse. Ce n'est pas la première fois qu'elle torture un homme. Et je parierais qu'elle a expérimenté la torture plus d'une fois elle-même. Mais à la différence du fou dont elle s'occupe, elle n'a pas l'air de prendre du plaisir à le faire souffrir.

Cela semble plus être une obligation. Il faut dire que les personnes normalement constituées n'apprécient jamais de faire du mal. Même les plus grands soldats, les plus redoutables guerriers et mercenaires. Seulement, quand on est plongé dans ce monde pourri jusqu'à l'os, on sait que parfois il faut faire des sacrifices. Il faut faire du mal pour récolter du bien. C'est une résignation qu'on prend dès lors où on voit l'horreur qui se terre dans l'ombre.

Un vrai soldat n'aime pas se battre pour faire du mal. Il aime se battre pour une juste cause. Elle m'a l'air d'être un bon soldat.

Encore une fois, je reste impressionné par cette femme dont je ne connais pas grand-chose, et cela ne me donne qu'envie d'en savoir encore plus. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi j'ai toutes ces interrogations sur elle. Mais je suis trop têtu pour me contenter de ne pas avoir de réponses et de laisser tomber.

En la voyant ainsi, je me dis que si elle n'était pas une vampire, elle s'entendrait très bien avec mes loups. Ils aiment les personnes au fort caractère, et elle n'est pas en reste.

Après plus d'une heure, l'homme tombe dans les vapes, signe que sa constitution d'humain ne peut pas en supporter plus pour l'instant. Mais il n'a rien dit. Pas la moindre bride d'information. Je vois que Shadow essaye de le cacher, mais elle est énervée. Elle n'a pas réussi à tirer le moindre mot utile à ce type, et je ne sais pas si sa frustration tient à son échec ou au fait que j'y ai assisté.

Je ne vais pas la juger ou la trouver faible à cause de cela. Ce type a résisté à nos meilleurs loups, cela ne fait pas d'eux des incapables. Mais j'ai envie de la piquer, c'est plus fort que moi. Observer ses réactions m'amuse énormément, sans que je ne le comprennes.

- Il semble décidé à ne rien dire. Faut croire que les vampires ne font pas mieux que nous.

Elle m'envoie un regard que je qualifierais de noir, mais pas méchant pour autant. En somme, elle est énervée, mais pas contre moi, malgré le fait que je la cherche. Il faut dire que c'est de bonne guerre.

- Il parlera.

Je me contente d'afficher un sourire en coin alors qu'elle sort de la pièce, se retenant vraisemblablement de râler. Quand nous remontons à la surface, nous retrouvons Tensai et les deux jeunes femmes partent ensemble.

Moi je reste là un instant à observer leurs dos, et une pensée me traverse l'esprit, alors qu'un nouveau sourire en coin apparaît sur mon visage.

Je crois que cette collaboration risque d'être forte intéressante.  

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Cyrus est très intrigué par Shadow, sans forcément le comprendre. La raison est bien plus profonde que la curiosité...

A quoi vont-ils devoir faire face par la suite ? 

A mercredi, 

Kiss :*

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