Chapitre 1 : Stop ! (partie 2)
À : Avions de chasse <3
Réunion au QG ce soir 19h.
Je range mon portable, dis au revoir aux derniers parents venus récupérer leurs enfants et récupère mes quelques feuilles à l'imprimante.
La nuit a été fructueuse, non pas en sommeil mais en idées créatives. Et je crois que ça y est, je tiens la solution à mon été.
Le remède pour un célibat sans prise de tête.
Une heure plus tard, je retrouve mes meilleurs amis au bar où nous avons créé nos plus drôles souvenirs, depuis ma rupture l'été dernier. Ils sont tous là, ponctuels, et tirent des têtes d'enterrement.
À en juger par l'air soucieux de Sarah, qui ne gâche néanmoins rien à sa beauté naturelle de poupée, je devine qu'elle leur a tout raconté de ma crise d'hier.
Je les salue d'accolades enjouées, ce qui les fait tous tiquer.
— Respirez, les gars ! me poilé-je.
— Quand tu nous auras dit pourquoi on est là..., réplique Clément.
Lui, le trentenaire brun, barbu, au charme à la mousquetaire, aka « Lockheed » en référence au plus vieil avion de chasse français encore en service, c'est l'aigri mais aussi le plus âgé de la troupe. Avant tout, c'est l'un de mes proches les plus chers : de collègue et voisin, il était devenu mon confident. Nos nombreuses ressemblances, tant sur nos valeurs que notre manière de réfléchir, nous avaient à l'époque rapprochés de manière fulgurante. Je l'appelle mon clone, car c'est ce qu'on est, en plus d'amants maudits, au flirt jamais abouti.
— J'ai eu une révélation, éclairé-je.
— Tu as l'air d'une folle, déplore notre dénommée « Rafale », soit Sarah.
— Tu nous fais peur, Cléo, là... Explique nous, m'intime Killian.
J'avise le plus calme du groupe. Killian, aka Phénix, le fameux avion de ravitaillement qui colle avec le tempérament ultra généreux de ce beau gosse typé asiatique, est l'ami au soutien indéfectible par excellence. Sa tolérance n'a d'égale que sa stature, élancée et musclée, qu'il doit autant à son père anglais qu'à sa pratique de la boxe.
— Je me suis intéressée à la théorie de l'attachement, explicité-je.
— Est-ce que ça veut dire que tu as revu ta psy ? C'est une bonne chose, ça, commente Pénélope.
Je grimace et Marie, sa fiancée, fait de même.
Je crois que sans elles deux, sans ce couple merveilleux et solide, je penserais que l'amour n'existe pas. Mais il a uni ces deux femmes sublimes, aux minois aussi doux que leurs caractères, qui se ressemblent au point que parfois on dirait deux sœurs.
Du moins, jusqu'à ce qu'elles s'embrassent à s'en coincer leurs piercings.
Je ne fais pas durer le suspense :
— En fait, j'ai décidé de mettre mon cœur en babysitting. Je le récupère en septembre.
Sarah pouffe.
— On fait comment alors ? rationnalise Clément. On t'allonge sur la table et on prend les couteaux ronds pour t'ouvrir la poitrine ?
— Non, j'ai mieux ! assuré-je.
— Éclaire-nous..., encourage Marie.
— Un contrat.
— Sois encore plus vague la prochaine fois, marmonne Sarah.
Je fais mieux : je cherche dans ma pochette les feuilles imprimées et en distribue une à chacun.
— Qu'est-ce que..., commence Pénélope.
— Un contrat de « non-engagement » ?! hallucine Clément.
— Non mais lisez les clauses, s'écrie Sarah d'une voix blanche.
— Oh wow, commente Killian.
— Les relations humaines me désespèrent..., ajoute Pénélope.
— Avant que vous ne vous emballiez, contexte ! J'ai réfléchi, et ce qui me fout dans la merde à chaque fois, c'est que je m'attache. Alors j'ai réfléchi à un moyen de ne plus le faire.
— Et ce moyen, c'est... ça ?! s'égosille Sarah en secouant le papier du bout des doigts avec un dégoût affiché.
— Oui ! Je m'attache lorsque je prends du temps pour l'autre, lorsque je passe certains moments privilégiés avec l'autre, lorsqu'on parle beaucoup et qu'on tisse une complicité intellectuelle, lorsqu'il y a de la tendresse et des attentions, quand il s'implique dans ma vie, quand il me complimente, quand nous sommes compatibles au lit, quand il est drôle...
Tous, perdus, hagards, me fixent sans piper mot.
— Donc je me suis dit qu'en priorisant toujours mes loisirs, mes amis et mon travail, en évitant de dormir, manger ou faire des activités avec l'autre, en limitant les échanges et en ne m'ouvrant pas trop à lui, en refusant les cadeaux, les flatteries, les fourires...
Je m'arrête une fraction seconde pour observer leurs visages toujours figés dans une expression sceptique, puis continue avec un peu moins d'assurance :
— ... qu'en choisissant peut-être quelqu'un qui soit moins mon style, surtout niveau des valeurs, des ambitions, de la situation géographique...
— Elle veut vraiment en venir là où je crois qu'elle veut en venir ? s'enquiert Clément auprès du reste du groupe.
— J'en ai bien peur..., maugrée Sarah.
Marie, les yeux rivés sur le contrat, les cligne spasmodiquement. La bouche de Pénélope s'arrondit à mesure qu'elle fait lentement le lien entre mon support et mon discours.
Seul Killian, le médiateur par excellence, se saisit de quelques pincettes pour parvenir à comprendre :
— Arrête-moi si je me trouve, Mirage... En gros tu t'attaches quand le gars te plaît et là tu aimerais faire en sorte de fréquenter quelqu'un qui ne te plaise pas tant. Ou juste ce qu'il faut pour coucher. Et tu penses qu'en supprimant tous les avantages à une relation, tu éviteras de développer des sentiments...
— Exactement.
— Tu es complètement fêlée ma pauvre..., gémit Sarah.
— C'est expérimental ! me défends-je.
— Dis-nous que c'est une blague, supplie Clément.
— Tu es sûre que c'est une bonne idée ? ose Marie, prévenante. C'est un peu tôt, non ? Tu étais à fond sur Thibault il y a encore quelques jours...
— Ouais, fais une pause, bordel de cul ! s'emporte Clément.
Je le jauge avec sévérité.
C'est facile à dire, faire une pause, quand son corps n'aspire qu'à la chaleur d'un autre, quand on a l'impression de s'être fait voler une partie de son cœur, quand on a le besoin viscéral d'être physiquement « complétée ».
— Non ! répliqué-je alors. Parce que justement : le cul. Je ne vais pas passer mon été à larmoyer, encore, à cause d'un gars. Maxime a ruiné mon été dernier, celui-là m'appartient !! Puis, il faut que j'oublie Thibault.
Digne d'un enfant capricieux, Clément croise les bras et provoque :
— Je désapprouve.
— Tu en as eu des idées merdiques, reprend Sarah. Entre le néonazi, le pompier, te teindre les pointes en bleu en 2017... Mais là, ça dépasse l'entendement.
— Ça va mal se terminer cette histoire, ne peut pas s'empêcher de rajouter Clément, désapprobateur.
Je fronce les sourcils. Je ne m'attendais pas à l'euphorie générale, surtout pas venant de sa part, mais je pensais quand même qu'il serait moins fermé que ça.
— Beh non, pourquoi ? Au trente-et-un août, tranquillement, fin du contrat. On coupe contact. Je récupère mon cœur et la pause aura fait du bien, un repos avant de reprendre la course. Simple. Efficace. Sans tracas.
— Vous en pensez quoi, les filles ? s'enquiert Sarah.
Marie, pragmatique, hausse les épaules. Pénélope esquisse un maigre sourire :
— C'est son corps.
— Moi, j'comprends pas pourquoi elle a besoin de ça, marmonne Clément.
Je le fusille du regard.
C'est culotté de la part du mec qui sauterait dans mon lit si je lui en donnais le feu vert.
Je le confronte sans ménagement, éprouvant le besoin irrépressible d'être entendue et comprise, légitimée et respectée dans mon choix :
— Rappelle-toi que j'ai été en couple huit ans, fidèle comme Pénélope à Ulysse ! Donc si j'ai envie de m'envoyer en l'air maintenant, et de rattraper mes occasions manquées je ne vois pas ce qu'il y a de choquant !
Face à moi à table, il n'en démord pas :
— Ce qui l'est, c'est que tu ne fais tout ça qu'en rapport à Thibault.
Je croise les bras à mon tour, réfute sa théorie, touchée au plein cœur de mon ego.
— Eeeeeeeh, les gars, tente de s'interposer Killian, en digne porteur de paix.
Mais bien que ce dernier soit penché entre lui et moi afin de nous déconcentrer, Clément poursuit :
— Ça sert à quoi de coucher avec des gars si tu penses à un autre ?
Le rouge me monte aux joues.
Et ça sert à quoi, Clément, de coucher avec ta copine alors que tu m'as demandé des nudes il y a quelques mois tellement tu me voulais ?
— Ou de coucher avec un mec qui te plaît qu'à moitié ? Tu veux quoi, du cinquante pour cent ? Un beau-gosse sans cervelle ? Quel intérêt ?!
— Coucher ! réponds-je.
— Les gars..., essaie à nouveau Killian.
Malgré ses efforts, la joute se poursuit :
— Mais ça ne marche pas, Cléo ! C'est sur quoi, deux mois ? À raison d'une à plusieurs fois par semaine ? Tu ne peux pas voir quelqu'un dix fois sans créer quelque chose !
Qu'en sait-il ? Qu'il m'insupporte quand il campe autant sur ses positions ! Comme s'il avait tout vu, tout expérimenté !
— Eh bien si ça arrive je partirai ! Ou il partira. Mais je finirai moins détruite, c'est certain. Aucun engagement, esprit tranquille.
— Ça te va, vraiment, de coucher avec des gens qui sortiront forcément de ta vie, et pour lesquels tu ne développeras rien ? C'est si triste ! Tu voulais t'engager, avec Thibault. T'avais envie de sérieux.
— Mais le sérieux, en deux-mille-vingt-quatre, ça n'existe plus ! rugis-je. Alors je fais quoi ? Je continue d'être celle qu'on lamine et qu'on abandonne ? Sans façon ! Je dois développer des stratagèmes pour me protéger.
— Bon, beh moi je vais chercher la bouffe, capitule Killian.
— Arrête de rencontrer du monde alors. Là t'es juste en train de donner du crédit au fonctionnement déprimant des relations actuelles. C'est de la résignation. Moi, j'accepte pas.
— Tu fais ce que tu veux, Clem, mais moi j'ai pas prévu de me priver de flirter parce que les gens flippent de l'engagement. Je vais surfer avec la vague et voilà.
— Ils n'en valent pas la peine !
— Et moi j'en ai marre d'attendre et de n'être que spectatrice ! J'ai envie d'expériences, de contact physique, et je ne vais pas me préserver pour « le bon » alors que je ne crois plus en son existence !
— Stoooooop, intercède Sarah.
Elle rassemble les feuilles, me les retend et met fin à la dispute :
— Et si on changeait de sujet ?
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